Dans un arrêt retentissant du 4 mars 2020 [1], la Cour de cassation reconnait à un chauffeur de la plateforme Uber qu’il est salarié.

Dès lors, tout travailleur Uber (ou d’une plateforme de mise en relation) peut saisir le conseil de prud’hommes pour demander la requalification de sa relation de travail en contrat de travail.

C’est une bombe atomique dans le monde des travailleurs de plateformes de mise en relation.

1) La Cour de cassation invoque la jurisprudence de la CJUE et le droit comparé.

Dans la note explicative, la Cour de cassation affirme qu’elle s’est départie du critère de la dépendance économique qu’une certaine partie de la doctrine lui suggérait, pour privilégier celui du lien de subordination.

Elle justifie ce choix en invoquant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE, arrêt Fenoll, 26 mars 2015), retenant une définition qui « est semblable à celle de la chambre sociale depuis l’arrêt Société générale ».

La Cour de cassation se retranche également derrière la décision du Conseil constitutionnel qui « a censuré en partie l’article 44 de la loi d’orientation des mobilités en ce qu’il écartait le pouvoir de requalification par le juge de la relation de travail d’un travailleur de plate-forme en contrat de travail » en se fondant également sur le critère de la subordination juridique.

La note se termine par une référence de droit comparé.

En effet, l’Italie ou le Royaume-Uni bénéficient des catégories juridiques de travailleur dites « intermédiaires », entre le salariat et le statut de travailleur indépendant.

La comparaison avec des pays étrangers, et surtout, cet arrêt ferme venant trancher le contentieux phare du modèle économique des plateformes, constituent sans doute un appel du pied au législateur français.

Et pour cause, est-ce l’arrêt de la provocation après le faux espoir provoqué par la Loi d’orientation des mobilités, qui n’a pas apporté de solution véritable ?

Cet arrêt va probablement inciter les chauffeurs Uber à saisir le conseil de prud’hommes pour demander la qualité de salarié.

2) Rappel des faits

Le chauffeur, Monsieur X. était « contractuellement lié avec la société de droit néerlandais Uber BV par la signature d’un formulaire d’enregistrement de partenariat ». A compter du 12 octobre 2016, il « a exercé une activité de chauffeur […] en recourant à la plateforme numérique Uber ».

Afin d’exécuter sa prestation de travail il a « loué un véhicule auprès d’un partenaire de cette société », et il s’est ensuite « enregistré au répertoire Sirene en tant qu’indépendant, sous l’activité de transport de voyageurs par taxis ».

Au mois d’avril 2017, « la société Uber BV a désactivé définitivement son compte sur la plateforme ».

Par suite, Monsieur X. « a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber en contrat de travail ».

3) Arrêt du 4 mars 2020 (n°19-13316) : reconnaissance de la qualité de salarié du chauffeur auto entrepreneur d’Uber

3.1) Le chauffeur Uber est intégré dans un service organisé.

La Cour de cassation commence par relever que Monsieur X. a « intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber BV » en s’inscrivant au Registre des Métiers, et en n’ayant « aucune clientèle propre », en ne fixant pas librement « ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport ». En effet, ce sont tout autant de paramètres qui sont « entièrement régis par la société Uber BV ».

Elle énonce également que « le fait de pouvoir choisir ses jours et heures de travail n’exclut pas en soi une relation de travail subordonnée, dès lors que lorsqu’un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service organisé par la société Uber BV ».

3.2) Le lien de subordination.

3.2.1) Le pouvoir de contrôle d’Uber.

Concernant l’existence d’un pouvoir de contrôle par la plateforme sur l’exercice de la prestation de travail, les juges relèvent que le contrat qui lie le travailleur et la plateforme prévoit la clause suivante : « Uber se réserve également le droit de désactiver ou autrement de restreindre l’accès ou l’utilisation de l’Application Chauffeur ou des services Uber par le Client ou un quelconque de ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d’Uber ». Elle déduit de cette clause qu’elle a pour effet de conduire les « chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant ».

A ce propos, elle relève également que le chauffeur n’a pas toujours connaissance de la course lorsqu’il l’accepter, et qu’il doit en outre répondre en « seulement huit seconde » à la course proposée.

3.2.2) Le « lien de subordination » est caractérisé « lors des connexions du chauffeur de VTC ».

Dans la note explicative accompagnant l’arrêt, la Cour de cassation précise que le « lien de subordination » est caractérisé « lors des connexions du chauffeur de VTC » [3].

Les tarifs, qui dépendent de l’« itinéraire particulier » imposé au chauffeur et qui comportent une « possibilité d’ajustement par Uber », traduisent que Uber « donnait des directives » au salarié et « en contrôlait l’application ».

3.2.3) Le pouvoir de sanction d’Uber.

Enfin, selon la Cour il existe un réel pouvoir de sanction de la part d’Uber. Elle détecte à ce titre l’existence de « corrections tarifaires appliquées si le chauffeur a choisi un "itinéraire inefficace" », ou encore « la fixation par la société Uber BV d’un taux d’annulation de commandes […] pouvant entraîner la perte d’accès au compte », ainsi que « la perte définitive d’accès à l’application Uber en cas de signalements de "comportements problématiques" par les utilisateurs ».

En conséquence, elle valide la déduction opérée par la Cour d’appel et confirme que « le statut de travailleur indépendant de M. X... était fictif et que la société Uber BV lui avait adressé des directives, en avait contrôlé l’exécution et avait exercé un pouvoir de sanction ».

Pour lire l’intégralité de la brève, cliquez sur le lien ci-dessous.

https://www.village-justice.com/articles/les-chauffeurs-uber-sont-des-salaries-selon-cour-cassation-cass-mars-2020-no17,34007.html#comment23212

[1] Cass., Soc., 04 mars 2020, n° 19-13316 :

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/374_4_44522.html

[2] Cass., Soc., 28 novembre 2018, n°17-20.079 :
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1737_28_40778.html

[3] Note explicative relative à l’arrêt n°1737 de la Chambre sociale du 28 novembre 2018 (17-20.079) :
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/notes_explicatives_7002/relative_arret_40779.html .

Frédéric Chhum avocat et membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

Claire Chardès juriste
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes et Lille)

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