2) Sur la prise d’acte de rupture du contrat de travail

2.1)Le harcèlement moral dont a été victime la salariée justifie que la prise d’acte de la rupture produit les effets d’un licenciement nul.

Le Conseil de prud’hommes de Paris, le 14 janvier 2021 (n° RG F 17/07435), statuant en départage, rappelle que les manquements par l’employeur à ses obligations, dès lors qu’ils sont suffisamment graves et récents pour empêcher le maintien du contrat de travail, justifient la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat, aux torts de l’employeur. 

Cette rupture s’analyse alors en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le cas échéant en un licenciement nul, si la rupture intervient en raison des faits de harcèlement moral dont le salarié aurait été victime.

La preuve des manquements reprochés à l’employeur doit être rapportée par le salarié.

Le juge prud’homal rappelle également les dispositions légales applicables.

Aux termes des dispositions de l’article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1154-1 du Code du travail précise que, lorsque survient un litige relatif à l'application des dispositions précitées, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. 

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. 

En l’espèce, Madame X, qui justifie avoir pris acte de la rupture du contrat de travail par courrier du 24 novembre 2017 après avoir adressé à son employeur des mails en date du 18 juillet 2017 et du 29 aout 2017 par lesquels elle se plaint de faits de harcèlement moral, produit les éléments suivants :

-          Plusieurs arrêts maladie pour dépression.

-          Un avertissement, qu’elle estime injustifié, notifié le 8 novembre 2015.

-          Un questionnaire en date du 18 octobre 2016 établi dans le cadre d’une enquête pour harcèlement moral dans lequel Madame X fait état d’une surcharge anormale de travail et des insultes dont elle est victime de la part d’une autre salariée, madame Y.

-          Des mails du 1er juin 2015 et du 25 avril 2016 par lesquels elle sollicite la régularisation de ses tickets restaurants 2014.

-          Un mail du 23 décembre 2016, aux termes duquel elle se porte candidate sur deux postes de chargé de contentieux et un mail de relance du 10 janvier 2017 par lequel elle s’étonne de n’avoir eu aucune réponse, un courrier adressé à son employeur le 17 janvier 2017 par lequel elle refuse son affectation sur un poste d’« assistante technique » estimant qu’il s’agit d’une rétrogradation et enfin un mail du 24 janvier 2017 par lequel elle s’étonne d’être convoquée à un entretien pour un poste de chargé d’attribution spécifique sur lequel elle n’a pas postulé.

-          Des relances de son employeur, en novembre 2016, pour ne pas avoir adressé ses arrêts maladies dans les délais.

-          Des échanges de courriers démontrant qu’une visite de contrôle a été mise en place le 10 juillet 2017, alors qu’elle était en arrêt maladie, DOMAXIS SA d’HLM ayant alors décidé de lui retenir son complément de salaire.

-          Une proposition de rupture conventionnelle faite par son employeur.

-          Le refus de son employeur de lui accorder ses RTT le 7 aout 2015.

-          Des courriers de relance d’absences injustifiées en date des 17 et 18 novembre 2017 alors qu’elle était en arrêt maladie.

Le juge prud’homal estime, en revanche, que Madame X ne justifie pas d’éléments démontrant qu’elle ait fait l’objet d’une pétition par laquelle son départ du service aurait été sollicité ou d’une tentative d’éviction sur les objectifs de relogement.

En outre, il estime que les éléments établis par la salariée, dont les éléments médicaux, laissent néanmoins présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Le juge prud’homal relève que DOMAXIS SA d’HLM produit de son côté des éléments de nature à démontrer que certain des faits invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

S’agissant de postulation de la salariée au poste de contentieux, DOMAXIS SA d’HLM fait valoir que cette postulation a été faite oralement, qu’il lui a été répondu également oralement au cours d’un entretien du 13 janvier 2017, que ce poste supposait une formation juridique que la salariée n’avait pas et que pour répondre au souhait de mobilité de la salariée, un poste de chargée d’attribution spécifique lui a été proposé, ce que cette dernière a accepté.

Le juge prud’homal relève que ces points sont confirmés par les échanges de mails versés aux débats.

En outre, il établit que la classification et la rémunération restait la même et qu’il ne s’agissait pas, contrairement à ce que prétend la salariée, d’une rétrogradation.

S’agissant du problème des tickets restaurants, le juge prud’homal estime que DOMAXIS SA d’HLM justifie que la divergence qui l’opposait à la salariée à ce sujet, a en définitive été régularisée début juin 2016, après que Madame X ait adressé, le 27 mai 2016, un tableau explicitant son calcul.

S’agissant de la rupture conventionnelle, le juge prud’homal estime encore que l’employeur justifie d’échanges de mails démontrant que les parties ont envisagés cette solution qui a été discuté et que la salariée a en définitive refusé estimant le montant de l’indemnité proposé insuffisant.

S’agissant des relances lors des arrêts maladie des 17 et 18 novembre 2016, le juge prud’homal soutient qu’il appartient à la salariée de démontrer qu’elle a, conformément à l’accord d’entreprise, justifié de son absence en adressant à son employeur un avis d’arrêt de travail dans un délai de 48 heures.

Or, le juge prud’homal constate que Madame X ne justifie pas avoir adressé son arrêt dans les délais, DOMAXIS SA d’HLM affirmant ne l’avoir reçu que 10 jours plus tard, les relances ayant ainsi été générées de façon automatique jusqu’à réception de l’arrêt maladie.

Le juge prud’homal considère que les autres faits établis par Madame X ne sont pas justifiés par des éléments objectifs.

En effet, le juge prud’homal constate que, si la possibilité pour l’employeur d’organiser, en cas d’arrêt maladie, une contre visite est expressément prévue par l’accord d’entreprise du 7 décembre 2012 qui prévoit qu’en cas d’absence du salarié lors du contrôle ou de refus du salarié de se soumettre à la contrevisite, l’employeur cesse immédiatement le versement du complément de salaire après avoir averti le salarié, il résulte des éléments versés aux débats et des explications données par les parties que le contrôle mis en place par DOMAXIS SA d’HLM n’a pu aboutir, non pas en raison de l’absence ou du refus de la salariée, mais du fait que son nom ne figurait pas sur la boite aux lettres de la personne par qui elle se disait hébergée, sans que le contrôleur ou l’employeur n’ait néanmoins recherché à la joindre pour se faire préciser ce nom et que la visite puisse aboutir.

Par ailleurs, le juge prud’homal considère qu’il résulte d’une première enquête CHSCT relative à des faits de harcèlement moral concernant un autre salarié, et du questionnaire rempli par Madame X le 18 octobre 2016, que cette dernière a elle-même été victime d’insultes répétées et de graves menaces de la part d’une supérieure hiérarchique, ce que DOMAXIS SA d’HLM ne conteste d’ailleurs pas, affirmant avoir pris toutes les mesures utiles pour licencier la salariée responsable des faits.

Le juge prud’homal considère qu’il résulte de cette même audition et des entretiens d’évaluation que Madame X se plaignait d’une surcharge de travail, confirmée par plusieurs échanges de mail au sujet notamment de Madame Z, DOMAXIS SA d’HLM n’ayant jamais pris la moindre mesure à ce sujet  et pris au contraire la décision de sanctionner Madame X qui n’arrivait plus à faire face à l’ensemble de ces tâches par un avertissement en novembre 2015 ou de lui refuser ses RTT, au motif, non justifié, d’un délai prétendument non respecté.

Selon le juge prud’homal, il est ainsi établi que la salariée a été victime de faits de harcèlement moral en 2015 et 2016, qu’elle a fait l’objet de plusieurs arrêts maladies pour dépression en 2017 et fait état auprès de son employeur d’une souffrance au travail, que DOMAXIS SA d’HLM n’a aucunement pris en compte, lui répondant par courrier du 1er septembre 2017 qu’elle « s’inscrivait en faux contre les allégations selon laquelle Madame X subirait des faits de harcèlement moral au sein de l’entreprise », alors qu’aucune enquête n’avait encore été établie.

Le juge prud’homal considère que, si DOMAXIS SA d’HLM justifie d’une enquête du CHSCT postérieure à la saisine du conseil de prud’hommes par la salariée, concluant aux termes d’une série d’entretiens tenus les 22 novembre et 7 décembre 2017, à l’absence de harcèlement moral, au motif que les griefs invoqués par Madame X lors de son audition étaient imprécis, cette enquête qui entérine le point de vue adopté par l’employeur le 1er septembre 2017 et contredit les termes d’une première enquête du CHSCT diligentée en 2016, ne peut se substituer à l’appréciation du conseil de prud’hommes.

En conséquence, le juge prud’homal soutient qu’il y a lieu de dire et juger que Madame X a été victime de faits de harcèlement moral.

Selon le juge prud’homal, ces faits qui ont débutés en 2015 et se sont poursuivis jusqu’au mois de novembre 2017, sont suffisamment graves pour empêcher le maintien du contrat de travail, justifient la prise d’acte par la salariée de la rupture de son contrat, aux torts de l’employeur.

En conséquence, le juge prud’homal soutient qu’il y a lieu de dire et juger que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul.

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Frédéric CHHUM avocat et membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

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