Dans cet arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation affirme qu’en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail.

1) Faits et procédure (pourvoi n°22-17.638)

Un salarié a été engagé en qualité de conducteur receveur par la société Transports Daniel Meyer.

Le 21 février 2014, le salarié a été victime d'un accident du travail. Il a fait l'objet d'un arrêt de travail jusqu'au 8 octobre 2015.

Après la délivrance par le médecin du travail d'un avis d'inaptitude définitive, le salarié a été licencié le 19 novembre 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 4 novembre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes relatives à l'exécution du contrat de travail.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 9 février 2022, a limité à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre de l'indemnité de congé payé, au motif que l'article 7 de la directive 2003/88/CE, qui doit guider le juge dans l'interprétation des textes, n'est pas d'application directe en droit interne quand l'employeur n'est pas une autorité publique.

L’arrêt d’appel ajoute que la période écoulée entre la date de l'arrêt de travail du 21 février 2014 et expirant un an après, soit le 21 février 2015, ouvre droit à congés payés, mais nullement la période qui a suivi.

Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation.

2) Moyens

Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme le rappel d'indemnité de congés payés.

Il invoque, à titre principal que :

  • Il résulte de l'article L. 3141-5 du code du travail interprété à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et de l'article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que les salariés absents du travail en vertu d'un congé maladie au cours de la période de référence sont assimilés à ceux ayant effectivement travaillé au cours de cette période ;
  • Qu'il s'en infère que le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, assimilé au travailleur ayant effectivement travaillé, acquiert des droits à congés payés pendant la totalité de la période de suspension du contrat.

Subsidiairement, le salarié fait valoir que :

  • Lorsqu'il n'est pas possible d'interpréter la réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et l'article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser la réglementation nationale inappliquée ;
  • A supposer qu'il ne soit pas possible d'interpréter l'article L. 3141-5 du code du travail de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, il appartenait à la cour, en application du second de ces textes, de laisser cet article inappliqué.

3) Solution

La chambre sociale de la Cour de cassation considère que le premier moyen relatif à une interprétation de l’article L. 3141-5 du Code du travail à la lumière de la directive 2003/88/CE n’est pas fondé, car l’interprétation est contraire aux termes de la loi française.

Les juges de la haute Cour accueillent en revanche le second moyen et casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.

Après avoir méticuleusement expliqué son raisonnement, la Cour de cassation en conclu, sur le fondement de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que le droit interne ne permet pas une interprétation conforme au droit de l’Union et que :

« Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du code du travail en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail ».

4) Analyse

L’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, prévoit que :

« 1.    Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.    La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.»

Le délai de transposition de la directive 2003/88/CE, qui codifie la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 dont le délai de transposition expirait le 23 novembre 1996, a expiré lui-même le 23 mars 2005.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (notamment de l’arrêt du 26 juin 2001 C 173/99 Broadcasting, Entertainment, Cinematographic and Theatre Union) que la directive doit être interprétée en ce sens que :

  • Elle fait obstacle à ce que les États membres limitent unilatéralement le droit au congé annuel payé conféré à tous les travailleurs, en appliquant une condition d'ouverture dudit droit qui a pour effet d'exclure certains travailleurs du bénéfice de ce dernier ;
  • Elle s’oppose à des dispositions ou à despratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale pendant la période de référence.

Cette directive n’est toutefois pas invocable dans un litige entre particuliers (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285).

Elle produit effet uniquement à l’égard des employeurs de droit public ou assimilés. Les salariés de ces employeurs peuvent donc s’en prévaloir (Cass. soc., 13 avril 2023, n°21-23.054).

En revanche, depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur en décembre 2009, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a la même valeur juridique que les traités de l’Union européenne.

La charte peut donc être invoquée dans un litige entre particuliers.

Or, le droit au congé payé est consacré par l’article 31 paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui prévoit que :

« Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ».

La France a déjà été sanctionnée à plusieurs reprises par la Cour de Justice de l’Union Européenne en raison de la non-conformité de sa législation relative aux congés payés vis-à-vis du droit européen.

La Cour de cassation, quant à elle, a suggéré à de nombreuses reprises au législateur de mettre le droit français en conformité avec le droit européen, au sein de ses rapports annuels.

Le 13 avril 2023 (n°21-23.054), la Cour de cassation avait déjà écarté les dispositions françaises contraires à la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, dans un litige opposant un salarié à un employeur assimilé à un organe étatique. La chambre sociale avait alors considéré que le salarié avait droit à des congés payés d'au moins quatre semaines du seul fait de sa qualité de travailleur, peu important qu'il ait été absent à raison d'un arrêt de travail pour maladie.

Ainsi, la Cour de cassation assume pleinement son rôle de juge de droit commun de l’application du droit de l’Union européenne, chargé de veiller à l’application des conventions internationales (arrêt Jacques Vabre, chambre mixte, 24 mai 1975, n°73-13.556).

Cette série d’arrêt du 13 septembre 2023 laisse toutefois de nombreuses questions sans réponses.

Ce véritable bouleversement au cœur du droit du travail français n’est donc pas terminé.

Sources

. Communiqué de la Cour de cassation : Congé payé et droit de l’Union européenne

https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2023/09/13/communique-conge-paye-et-droit-de-lunion-europeenne

. c. cass. 13 septembre 2023, n° 22-17.638

 

https://www.courdecassation.fr/decision/65015d62ee1a2205e6581658?search_api_fulltext=22-17.638&op=Rechercher+sur+judilibre&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=&nextdecisionindex=

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

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