Quand la photographie devient-elle un art ? C’est une question délicate et subjective. Les photos d’un chat, de la fin d’un repas en famille ou d’un soleil couchant sur la plage de l’Ile-Tudy (oui, le soleil existe aussi à l’Ile-Tudy…) peuvent-elles être qualifiées d’œuvres d’art ?

On notera que la jurisprudence civile est confrontée à cette difficulté de qualification. Par exemple, la Cour d’appel de Paris s’est récemment intéressée à cette question sous l’angle, très actuel, du statut juridique d’un selfie. Il s’agissait de savoir si le selfie d’une influenceuse pouvait être considéré comme une œuvre protégée par le droit d’auteur (CA Paris 12 mai 2023 n°21-16270). La Cour a répondu par la négative, en l’espèce, faute d’une originalité suffisante.  

Sur le plan fiscal, le positionnement de la jurisprudence et de l’administration fiscale s’est fixé difficilement. L’enjeu n’est pas neutre : il s’agit essentiellement de l’application ou non du taux réduit de la TVA (pour plus de détails voir https://www.glf-avocats.fr/marche-de-lart-et-reforme-de-la-tva-les-nouveaux-reflexes-au-1er-janvier-2025/).   

Concernant l’administration, elle avait raisonné en ajoutant aux conditions réglementaires des critères sur lesquels elle gardait une certaine maîtrise. Ces derniers critères ont fait l’objet de débats récents aux termes desquels l’administration a du adapter sa doctrine.

 

1°) les conditions classiques

Elles sont tirées d’une annexe d’une directive communautaire (Annexe IX partie A point 7 de la directive 2006/112/CE) qui définit les objets d’art. Pour les photographies, il s’agit de celles « prises par l'artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus ».

Cette définition est reprise, au mot près, par l’article 98 A de l’annexe III du CGI.

La doctrine administrative (BOI-TVA-SECT-90-10 n° 280 et 290) dans sa version actuelle et dans la version précédente reprend également cette définition.

On retiendra notamment qu’une numérotation de chaque exemplaire (dans la limite de 30) de la photographie mise en vente est impérative pour qu’il soit considéré comme une œuvre d’art au sens de la réglementation sur la TVA.

2°) Peut-on poser d’autres conditions ?

L’administration fiscale était sans doute un peu embarrassée par ces critères finalement très peu contraignants. Une photo de la tante Monique plombant le repas de famille avec sa reprise très personnelle des Bee Gees, sous réserve qu’elle trouve son marché et du respect des conditions fixées par la directive, pourrait donc être cédée en bénéficiant du taux réduit.

Pour faire barrage à cette éventualité insupportable, l’administration s’était donc risquée à une appréciation de la qualité artistique de la photographie. Dans la version antérieure de sa doctrine, elle précisait ainsi : « ne peuvent être considérées comme des œuvres d'art que les photographies qui portent témoignage d'une intention créatrice manifeste de la part de leur auteur.

Tel est le cas lorsque le photographe, par le choix du thème, les conditions de mise en scène, les particularités de prise de vue ou toute autre spécificité de son travail touchant notamment à la qualité du cadrage de la composition, de l'exposition, des éclairages, des contrastes, des couleurs et des reliefs, du jeu de la lumière et des volumes, du choix de réalise un travail qui dépasse la simple fixation mécanique du souvenir d'un évènement, d'un voyage ou de personnages et qui présente donc un intérêt pour tout public.

Il résulte de ce qui précède que les photographies dont l'intérêt dépend avant tout de la qualité de la personne ou de la nature du bien représenté ne sont pas, d'une manière générale, considérées comme des photographies d'art. Tel est le cas, par exemple, des photographies illustrant des événements familiaux ou religieux (mariages, communions, etc.), des photographies d'identité, des photographies scolaires ainsi que des photos de groupe. »

Adieu donc, pour la TVA à taux réduit, la tante Monique massacrant, en tenue d’époque, Stayin’ Alive.

Néanmoins, c’était sans compter sur la CJUE qui, saisie par le Conseil d’Etat, allait briser la volonté de l’administration d’imposer ses critères artistiques.

La CJUE (décision du 5 septembre 2019, aff. C-145/18, Regards Photographiques SARL contre Ministre de l'Action et des Comptes publics) énonce que les critères doivent « être objectifs, clairs et précis ». Il convient donc d’en rester au texte et strictement au texte.

L’administration a récemment pris acte de cette décision puisque dans la mise à jour de sa doctrine en 2024 (BOI-TVA-SECT-90-10 n° 280 et 290, 20 mars 2024) elle précise « pour être considérées comme des objets d’art, des photographies doivent avoir été prises par leur auteur, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, à l’exclusion de tout autre critère, en particulier l'appréciation, par l'administration fiscale nationale compétente, de leur caractère artistique (CJUE, décision du 5 septembre 2019, aff. C-145/18, Regards Photographiques SARL contre Ministre de l'Action et des Comptes publics, ECLI:EU:C:2019:668). »

Conclusion

L’administration fiscale renonce à développer une compétence de critique d’art et c’est sans doute mieux comme cela.  

 

 

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Nda : L’illustration accompagnant cet article est une photographie d’Alfred Stieglitz sur un pont en 1905