Comment s’organise le retour en France d’un salarié expatrié résidant et travaillant à l’étranger ? Quelles sont les obligations de son employeur en France ? Salarié expatrié, quelle protection juridique en présence d’un retour en France ?
Les difficultés liées à la mobilité internationale apparaissent le plus souvent au moment du retour en France, c’est-à-dire au terme du contrat local signé dans le pays d’expatriation.
Lorsqu’un salarié, qui a travaillé pour une société mère située en France, voit son contrat local le liant à une filiale étrangère se terminer, il doit faire l’objet, de la part de la société mère, d’un rapatriement et d’une réintégration selon les dictats de l’article L1231-5 du Code du travail.
L’interprétation extensive de cet article par la jurisprudence de la Cour de cassation appelle de nombreuses interrogations :
-Quand réintégrer le salarié expatrié ?
-Sur quel poste ?
-Quid de l’absence de poste du niveau hiérarchique du salarié expatrié ?
-Peut-on licencier le salarié de retour d’expatriation sur le motif de l’absence de poste ?
-Quel salaire prendre en compte ?
I) Les conditions d’application extensives de l’article L1231-5 du Code du travail.
L’article L.1231-5 du Code du travail prévoit que :
« Lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein. Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables. Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l’indemnité de licenciement. »
Le texte, prévoyant une obligation de rapatriement et de réintégration en faveur des salariés expatriés, impose trois conditions cumulatives : - Un emploi initial avec la société mère ; - Une mise à disposition à une filiale étrangère ; et - Un licenciement par la filiale.
A) Un emploi initial auprès de la Société Mère.
La société Mère doit, pour être redevable de cette double obligation, avoir embauché initialement l’employé, et ce avant sa mise à disposition de la filiale étrangère.
La Jurisprudence a précisé qu’il n’était cependant pas nécessaire que le salarié ait matériellement travaillé pour la société mère avant d’être mis à disposition de la filiale étrangère [1].
Identiquement, l’absence de maintien durant la période d’expatriation du contrat de travail signé entre le salarié et la société mère n’est pas un critère permettant à la société mère de se décharger de ses obligations de réintégration et de rapatriement naissant au terme du contrat signé avec la filiale étrangère.
Dans le même sens, l’absence de contrat écrit avec la société mère ne permet pas d’écarter l’application de l’article L1231-5 du Code du travail, dès lors qu’un lien de subordination peut être démontré. Pour ce faire, on tiendra compte d’une multitude de critères.
B) Une mise à disposition auprès d’une filiale étrangère.
La mise à disposition auprès d’une filiale étrangère impose la signature d’un contrat local avec cette filiale. A défaut, la démonstration de l’existence d’un lien de subordination avec la filiale est aussi envisageable.
La jurisprudence n’a pas souhaité retenir un critère capitalistique pour définir la relation Mère-Fille, comme peut le faire le Code de commerce, mais retient une notion de « contrôle ».
L’exercice par la société mère d’un « contrôle » sur sa filiale suffit à retenir l’application de l’article L1231-5 du Code du travail [2].
C) Le terme du contrat avec la filiale étrangère.
L’article L.1231-5 du Code du travail impose un licenciement par la filiale étrangère. De nouveau, la jurisprudence est venue, de manière extensive, interpréter cette condition.
Le licenciement n’est pas l’unique critère d’application de cette mesure, bien au contraire. La Cour de cassation a reconnu que l’article L1231-5 s’appliquait « quelle qu’en soit la cause », autrement dit indifféremment de la cause de rupture du contrat de travail.
Un départ à la retraite, le terme d’un contrat de missions ou à durée déterminée, l’expiration d’un visa de travail permettent la mise en œuvre dudit article. L’unique réserve porterait éventuellement sur une démission du salarié.
La Cour de cassation a ainsi élargi le critère du licenciement par sa formulation, devenu aussi célèbre que le « quoi qu’il en coûte », le « quelle qu’en soit la cause » [3].
II) Les conséquences pratiques de l’application de l’article L.1231-5 du Code du travail.
Une fois les critères retenus, les conséquences pratiques devant être anticipées par l’entreprise sont nombreuses.
A) L’initiative du rapatriement et de la réintégration.
L’initiative du rapatriement et de la réintégration incombent uniquement à l’entreprise. A défaut d’initiative, la jurisprudence a pu condamner une société mère n’ayant pas réintégré son salarié, pourtant resté à sa disposition. Ce dernier procéda à la saisine du Conseil de prud’hommes territorialement compétent une année plus tard, et obtint le paiement d’une année de salaire sur la base de son salaire d’expatriation. Le risque financier lié à un immobilisme de l’employeur est donc conséquent.
B) La réintégration du salarié expatrié.
L’obligation de réintégration du salarié par la société mère s’incarne par la transmission « d’une offre sérieuse, précise et compatible avec les précédentes fonctions du salarié en son sein » [4].
La réintégration se distingue de l’offre de reclassement applicable dans le cadre d’un licenciement économique :
- L’offre doit être faite sur un poste compatible avec les précédentes fonctions ;
- Elle doit être faite au sein même de la société mère, et non dans une autre société ou filiale du groupe.
C) Le licenciement du salarié expatrié.
A la différence du licenciement économique et de l’obligation de reclassement, aucun licenciement ne peut être pris sur le motif de l’absence de poste disponible dans le cadre de l’obligation de réintégration.
Cette dernière spécificité est très certainement la plus importante. Alors qu’en présence d’un licenciement économique, et en l’absence de poste de reclassement, l’entreprise peut licencier son salarié, cela n’est pas autorisé pour une réintégration. Autrement dit, en l’absence de poste de réintégration, l’entreprise ne pourra pas mettre en œuvre un licenciement sur ce fondement, et devra rechercher une cause réelle et sérieuse autonome.
Les conséquences financières seront de surcroit importantes. En l’absence d’offre de réintégration, la société mère est tenue « au paiement des salaires et des accessoires de rémunération du dernier emploi, dès lors que le salarié s’est tenu à sa disposition » [5]. Elle doit donc verser la rémunération que le salarié percevait au sein de la filiale, avantages en nature compris.
En résumé, les difficultés liées au retour d’expatriation ou de détachement sont très nombreuses. L’interprétation extensive de l’article L1231-5 du Code du travail permet de réaffirmer l’objectif premier, à savoir la protection de nos expatriés. Ces difficultés inhérentes au droit du travail se doublent de difficultés afférentes à la fiscalité internationale qu’incarne le droit public international et ses conventions fiscales bilatérales visant à éviter la double imposition. Le cadre expatrié aura ainsi tout intérêt à se protéger en amont en faisant intervenir un conseil spécialisé en la matière.
Maître Gauthier Chevalier, Cabinet CHG-Avocat / Expatriation & défense des cadres expatriés www.chg-avocat.com
[1] Cour de cassation, 23 janvier 2019, n°17-17.244
[2] Cour de cassation, chambre sociale, 7 juin 1990, n°86-43.483.
[3] Cour de cassation, chambre sociale, 26 mai 2016, n°15-12.448.
[4] Cour de cassation, chambre sociale, 20 octobre 2016, n°15-17.526.
[5] Cour de cassation, chambre sociale, 14 octobre 2020, 19-12.275.
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