Introduction

La rupture d’un découvert professionnel ou d’une facilité de caisse est l’une des décisions les plus violentes qu’une banque puisse prendre à l’encontre d’une entreprise. Les conséquences sont immédiates :

  • rejets de paiements en cascade,

  • agios massifs,

  • impossibilité de régler fournisseurs et salaires,

  • perte d’un marché,

  • parfois défaillance en quelques jours.

Et contrairement à ce que certains dirigeants pensent, la banque n’a pas le droit de couper un découvert du jour au lendemain.

Le Code monétaire et financier (art. L.313-12) impose un préavis de 60 jours, sauf exception limitée. La jurisprudence rappelle qu’en plus de ce préavis, la banque doit :

  • justifier sa décision,

  • adopter un comportement loyal,

  • éviter toute contradiction,

  • anticiper les conséquences pour l’entreprise.

Lorsque ces obligations ne sont pas respectées, la rupture devient abusive, et l’entreprise peut obtenir réparation.

La réalité :

  • dans la majorité des dossiers, la rupture était prévisible.
  • les banques laissent toujours des signaux d’alerte, parfois 2 à 8 semaines avant.

Ce guide détaille les 5 signaux majeurs à reconnaître immédiatement, illustrés par la jurisprudence, pour éviter la catastrophe et préparer un recours efficace.

Pour une analyse complète des conditions légales et des recours, voir également ma page dédiée à la rupture abusive de crédit et à la dénonciation de concours bancaires.


1. Premier signal : le changement de comportement du conseiller (2 à 6 semaines avant la rupture)

Une rupture de découvert n’arrive jamais « comme ça ». Les banques préparent la décision en interne. Le conseiller, lui, change d’attitude parce qu’il sait que le dossier passe en “surveillance”.

1.1. Le conseiller devient silencieux ou distant

  • réponses tardives,

  • absence d’appel,

  • renvois systématiques à un “responsable risques”,

  • demandes floues.

Jurisprudence : La Cour d’appel de Paris (2019) a condamné une banque ayant rompu une ligne de trésorerie en soulignant que le comportement du conseiller dans les semaines précédant la rupture révélait une intention de couper les concours sans respecter la loyauté. Le juge a considéré que ces signaux montraient une rupture “préparée, puis dissimulée”.

1.2. Demandes inhabituelles de documents

Les banques demandent soudainement :

  • bilans déjà fournis,

  • plans de trésorerie “actualisés”,

  • explications sur un poste comptable sans importance.

Ce n’est pas de la simple “surveillance”. C’est un montage du dossier interne de rupture.

1.3. Changement de ton

Exemples typiques :

  • « Nous devons revoir votre structure de financement. »

  • « Nous suivons votre dossier avec attention. »

  • « Rien n’est décidé pour l’instant… »

En pratique, c’est déjà décidé.

Jurisprudence : Dans un arrêt du 14 novembre 2018 (Cass. com.), la Cour a rappelé que la banque manque à son obligation de loyauté lorsqu’elle adopte un comportement ambigu destiné à préparer une rupture.

1.4. Transfert du dossier au service risques

Quand le dossier passe “au comité”, c’est rarement bon signe.


2. Deuxième signal : les anomalies sur le compte professionnel

Avant de rompre un concours, la banque “prépare le terrain” par des ajustements discrets sur le compte.

Ces anomalies doivent être lues comme un signal clair.

2.1. Dates de valeur défavorables (agios artificiels)

  • crédits valorisés à J+1,

  • débits valorisés rétroactivement.

  • Impact : le compte devient artificiellement débiteur, pour justifier la rupture.

Jurisprudence : La Cour de cassation (Com., 13 février 2001) sanctionne le calcul abusif des intérêts résultant de dates de valeur irrégulières, considérant que cela peut fausser le solde et justifier à tort une rupture.

2.2. Rejets injustifiés

Les banques rejettent parfois :

  • chèques,

  • virements,

  • prélèvements,

alors que la provision était disponible.

Jurisprudence : La Cour d’appel de Versailles (2017) a jugé fautif le rejet d’un paiement alors que le découvert autorisé n’était pas dépassé, considérant que la banque a provoqué l’incident avant d’en tirer argument pour rompre les concours.

2.3. Frais bancaires “multipliés”

  • commissions d’intervention répétées,

  • frais d’incidents,

  • agios injustifiés.

Ces frais ont un objectif : faire glisser artificiellement le compte vers le rouge.

2.4. Restrictions subtiles sur les instruments de paiement

  • carte bancaire refusée,

  • virements professionnels mis “en attente”,

  • demandes de validation inhabituelles.

Jurisprudence : Un arrêt de la Cour d’appel de Lyon (2020) a retenu que ces restrictions constituent des indices d’un retrait de concours non assumé, caractérisant une rupture progressive et dissimulée.


3. Troisième signal : les attaques sur les garanties bancaires

Les banques sécurisent leur position avant de couper un concours.

3.1. Exigence d’une garantie supplémentaire “urgente”

Hypothèques, nantissements, garanties autonomes : si ces demandes surgissent soudainement, c’est mauvais signe.

Jurisprudence : Cass. com., 8 janvier 2020 La Cour a rappelé que demander une garantie manifestement disproportionnée constitue un indice d’un comportement déloyal en amont d’une rupture.

3.2. Réévaluation ou révision forcée des garanties existantes

Exemples :

  • revalorisation d’un nantissement,

  • mainlevée-reinscription,

  • “actualisation nécessaire”.

Souvent inutile — mais cela permet à la banque de mieux récupérer après la rupture.

3.3. Pressions contradictoires

Exemple réel vu en cabinet :

« Nous pouvons maintenir le découvert si vous acceptez un nouveau nantissement. »

Le dirigeant signe. La banque coupe le découvert deux semaines plus tard.

Jurisprudence : CA Paris, 24 mars 2016 La banque a été condamnée car elle avait exigé une garantie seulement pour préparer une rupture imminente.

3.4. Menace ou début de mobilisation des garanties

Quand la banque commence à parler d’“activation” des sûretés, la rupture est déjà décidée.


4. Quatrième signal : la dégradation volontaire de la relation bancaire

Avant une rupture abusive, les banques adoptent un comportement incohérent — parfois destiné à provoquer volontairement l’incident.

4.1. Contradictions manifestes

  • un chèque est payé, mais un virement de même montant est rejeté,

  • un prélèvement régulier est refusé sans motif,

  • un paiement carte est autorisé, un virement interne est bloqué.

Jurisprudence : Un arrêt de Bordeaux (2015) a considéré qu’un ensemble d’incohérences bancaires constituait un comportement fautif préalable à la rupture, engageant la responsabilité de la banque.

4.2. Refus d’étudier un projet pourtant cohérent

La banque :

  • encourage un projet,

  • demande des pièces,

  • laisse croire à une validation,

  • puis refuse brutalement.

C’est le schéma classique du refus de crédit professionnel fautif. Ces refus cachent souvent une intention : mettre fin aux relations.

4.3. Gel des moyens de paiement

C’est en général le dernier jalon avant la rupture.

4.4. Absence de transparence

La banque refuse :

  • de confirmer les autorisations,

  • de valider le renouvellement du découvert,

  • de donner les critères internes.

Jurisprudence : Cass. com., 22 mai 2019 La Cour sanctionne l’absence de transparence et de loyauté, considérant qu’un tel comportement préfigure une rupture abusive.


5. Cinquième signal : l’effet bunker — lorsque la banque verrouille toute communication

C’est le signe que la décision de rupture est définitivement arrêtée.

5.1. Refus de s’engager par écrit

Même sur des points élémentaires. C’est une stratégie pour ne rien laisser opposable.

5.2. Rigidification des interlocuteurs

Les conseillers ne peuvent “plus rien dire”. Ils renvoient vers un service risques invisible.

5.3. Filtrage des opérations

Chaque virement sortant devient une “demande d’analyse”. Cela traduit un placement du dossier en “surveillance renforcée”.

5.4. Silence sur les décisions internes

Jurisprudence : La Cour d’appel de Rennes (2022) a jugé que le manque de transparence et le verrouillage du dialogue justifient la qualification de rupture abusive, même si un préavis formel a été respecté.


6. Quand la rupture intervient : les fautes les plus fréquentes retenues par les juges

La jurisprudence confirme que la rupture est abusive lorsque :

6.1. Le préavis n’a pas été respecté (ou pas correctement notifié)

Nombreux arrêts (CA Paris 2019, CA Lyon 2020…) → Résiliation nulle + indemnisation.

6.2. La banque a créé ou aggravé les incidents

Dates de valeur, frais, rejets… → Comportement fautif.

6.3. La banque s’est contredite dans ses engagements

Promesses orales → rupture → faute.

6.4. La banque n’a pas tenu compte des conséquences sur l’entreprise

Cass. com., 14 novembre 2018 → obligation de loyauté.

6.5. La banque a utilisé des garanties de manière abusive

Pression, disproportion, activation injustifiée. → Responsabilité engagée.


7. Que doit faire immédiatement l’entreprise ?

7.1. Réunir les preuves

  • relevés bancaires avant/après anomalies,

  • échanges écrits,

  • demandes de garanties,

  • rejets injustifiés,

  • comportements contradictoires.

7.2. Demander la justification formelle des anomalies

Il faut exiger par écrit :

  • explication des refus,

  • justification des dates de valeur,

  • motifs des frais.

7.3. Faire analyser la rupture par un avocat

Une rupture abusive peut donner droit à :

  • dommages-intérêts,

  • indemnisation de la perte d’une chance,

  • remboursement des agios,

  • réparation du préjudice commercial,

  • annulation de la rupture dans certains cas extrêmes.


Conclusion

Les ruptures de découvert ou de facilités de caisse sont rarement « brutales » au sens juridique. Elles sont souvent préparées, annoncées et détectables.

Les 5 signaux d’alerte — changement de comportement, anomalies de compte, pressions sur les garanties, incohérences, verrouillage de la communication — doivent être pris au sérieux dès leur apparition.

Si l’un de ces signes apparaît, l’entreprise doit immédiatement se protéger et envisager la qualification de rupture abusive de crédit, fondée sur :

  • le non-respect du préavis,

  • la déloyauté bancaire,

  • la contradiction dans les engagements,

  • les manœuvres préalables (dates de valeur, rejets, garanties),

  • et les graves conséquences financières pour l’entreprise.

Le droit permet d’obtenir réparation mais tout dépend de la vitesse de réaction et de la capacité à documenter les irrégularités.