CE, 10 juin 2015, Brodelle et Gino, req. n°386121

 

Les dispositions de l’article 1er de l'ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 ont considérablement réduit l’intérêt à agir des tiers à l’encontre des autorisations d’urbanisme, afin de lutter contre les contestations abusives.

Selon l’ article L 600-1-2 du Code de l’urbanisme issu de cette réforme, « une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ».

Autrement dit, il ne suffit plus d’être voisin d’une construction pour avoir intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire, mais il faut démontrer une véritable lésion dans l’occupation, l’utilisation ou la jouissance du bien.

L’article L 600-1-3 du Code de l’urbanisme ajoute que « sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

 

Dans un arrêt du 10 juin 2015, le Conseil d’Etat a précisé les modalités d’application de l’article L 600-1-2 du Code de l’urbanisme, et ce pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions.

  • C’est au requérant de démontrer son intérêt à agir (s’agissant d’une condition de recevabilité du recours). S’il ne le fait pas au moment du dépôt de sa requête, il sera invité par le juge, conformément à l’article R 612-1 du Code de justice administrative, à la régulariser.
  • Le requérant doit être rigoureux dans la démonstration de son intérêt à agir.

Le requérant doit faire état d’« éléments suffisamment précis et étayés ». Démontrer que la localisation de la construction à venir, sa taille ou bien la pollution qu’elle générerait, son aspect, etc., sera susceptible de créer une lésion.

 

  • Si le défendeur (pétitionnaire ou commune par exemple) entend contester l’intérêt à agir, il devra « apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ».

 

  • Le juge formera sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées.

 

En tous les cas, le juge ne pourra pas « exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ».

S’il existe un doute donc, ce sera au bénéfice du requérant.

 

En l’espèce, la visibilité à 700 mètres du projet ne suffit pas au juge pour caractériser l’intérêt à agir : « les circonstances, invoquées par les requérants, que leurs habitations respectives soient situées à environ 700 mètres de la station en projet et que celle-ci puisse être visible depuis ces habitations ne suffisent pas, par elles-mêmes, à faire regarder sa construction comme de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des biens des requérants ».

 

En revanche, le Conseil d’Etat caractérise l’intérêt agir des requérants sur les nuisances sonores : « ceux-ci font également valoir qu'ils seront nécessairement exposés, du fait du projet qu'ils contestent, à des nuisances sonores, en se prévalant des nuisances qu'ils subissent en raison de l'existence d'une autre station de conversion implantée à 1,6 km de leurs habitations respectives ; qu'en défense, la société Eleclink, bénéficiaire de l'autorisation de construire, se borne à affirmer qu'en l'espèce, le recours à un type de construction et à une technologie différents permettra d'éviter la survenance de telles nuisances ; que, dans ces conditions, la construction de la station de conversion électrique autorisée par la décision du préfet du Pas-de-Calais du 14 août 2014 doit, en l'état de l'instruction, être regardée comme de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des maisons d'habitation des requérants ».

 

Enfin, l’arrêt mentionne que l’obligation de joindre l’étude d’impact au dossier de demande de permis de construire prévue par l’article R 431-16 du Code de l’urbanisme n’est applicable que si l’étude d’impact est obligatoire en vertu des dispositions du Code de l’environnement.

 

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Hélène LELEU 

Avocat

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