De quoi s’agit-il ? De l’article 930 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006.

En présence d’un vendeur qui dispose d’un bien, acquis par le biais d’une donation, le ou les héritiers réservataires, dans l’hypothèse où la libéralité consentie porterait atteinte à leur réserve héréditaire, disposent, aux termes de l’ancien article 930 du Code civil, d’une action en revendication contre les tiers détenteurs.

En l’espèce, une femme décède le 15 avril 2002, en laissant pour lui succéder son fils, et trois petits-enfants. Aux termes d’un acte authentique du  19 décembre 1994, la « de cujus » avait fait donation préciputaire et hors part (désormais hors part successorale) à son fils de la nue-propriété de son patrimoine immobilier, dont elle s’était réservé l’usufruit. Par un acte du 24 août 1999, reçu par le même notaire, la mère et son fils ont vendu à M. et Mme B… l’un des immeubles, objet de la donation.

Au cours des opérations de partage de la succession, le notaire chargé des opérations a dressé, le 6 juillet 2007, un procès-verbal comportant un « accord forfaitaire et transactionnel » aux termes duquel le fils s’engageait à verser aux acquéreurs une somme de 50 000 euros « en compensation de la donation dont il avait bénéficié » Ce dernier n’ayant pas payé la somme convenue, les héritiers ont fait assigner les tiers acquéreurs en paiement de cette somme avec intérêts au taux contractuel à compter du 1er février 2008 et ont appelé en garantie le notaire instrumentaire de l’acte de vente. Par un arrêt du 15 octobre 2014 (CA de Colmar, 15 octobre 2014), les juges du fond ont accueilli, les demandes des petits enfants et ont déclaré recevable l’appel en garantie des acquéreurs.

Le notaire forme un pourvoi et oppose que les dispositions de l’ancien article 930 du Code civil ne sont pas applicables une fois le partage de la succession intervenu.

Question patrimoniale : un partage successoral constitue-il un obstacle à la recevabilité d’une action en réduction et revendication  contre le ou les tiers acquéreurs?

C’est à cette question qu’a répondu la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt en date du 16 décembre 2015 n°14-29758

Position de la Cour de cassation :

La Cour de cassation vient, par cet arrêt du 16 décembre 2015, indiquer que :

« Mais attendu que les héritiers réservataires d’une succession ouverte avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 juin 2006 sont recevables à engager, sur le fondement des dispositions de l’article 930 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de cette loi, même postérieurement au partage, l’action en réduction ou en revendication à l’encontre des tiers détenteurs des immeubles ayant fait l’objet d’une donation excédant la quotité disponible et ensuite aliénés ; qu’ayant relevé que M. et Mme B… ne contestaient pas le montant de l’indemnité de réduction fixée par l’accord du 6 juillet 2007 et que M. Y… ne l’avait pas payée aux consorts Z…, la cour d’appel en a déduit à bon droit que l’action exercée par ceux-ci était recevable et qu’ils étaient fondés à leur en réclamer le paiement, en leur qualité de tiers détenteurs de l’immeuble faisant partie de la donation et aliéné par le donataire ; que le moyen n’est pas fondé ; »

La solution de cet arrêt est logique, le Code civil ne subordonnant pas l’action en réduction à l’absence de partage.

Observation(s), remarque(s) pratique(s) :

→ Précautions à prendre pour le conseiller patrimonial et son client concerné.

Afin de garantir l’acquéreur et les tiers détenteurs successifs, le législateur du 3 juillet 1971 a permis via « un pacte de famille » de faire intervenir à la vente tous les héritiers réservataires. 

 Cette disposition contenue dans l’ancien article 930 du Code civil est reprise dans l’article 924-4 du Code civil qui dispose que …/… « lorsque, au jour de la donation ou postérieurement, le donateur et tous les héritiers réservataires présomptifs ont consenti à l’aliénation du bien donné, aucun héritier réservataire, même né après que le consentement de tous les héritiers intéressés a été recueilli, ne peut exercer l’action contre les tiers détenteurs. S’agissant des biens légués, cette action ne peut plus être exercée lorsque les héritiers réservataires ont consenti à l’aliénation »…/…

Notons que l’article 924-4 du Code civil a étendu cette faculté aux biens légués.

A défaut d’intervention et ce afin de prémunir l’acquéreur d’une action en réduction, le notaire aurait pu séquestrer une partie du prix de vente afin que le vendeur obtienne postérieurement à la vente le consentement des héritiers réservataires.

Cette modalité contractuelle permet, pour le vendeur, de satisfaire à la garantie d’éviction prévue par les articles 1626 et suivants du Code civil.

Dans l’hypothèse où les cohéritiers refusent de consentir, alors des garanties complémentaires comme une hypothèque ou le nantissement de valeurs mobilières peuvent être envisagées.

Il conviendra alors de mesurer le risque avec les acquéreurs et de les informer de ce risque contentieux afin de satisfaire au devoir d’information et de conseil du conseiller patrimonial en général et du notaire au cas examiné.

A noter : le législateur dans la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a réduit le délai de prescription de l’action en réduction a cinq ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès ( article 921 du Code civil).

→ Préconisations patrimoniales au stade de la donation

Cet écueil peut être anticipé au moment  même de la rédaction de la donation en faisant consentir les  héritiers réservataires afin qu’ils autorisent le donataire à disposer librement du bien que ce soit à titre gratuit ou à titre onéreux.

Cette précaution peut être également envisagée postérieurement à la donation dans le cadre d’une donation partage avec réincorporation des donations antérieures.

Enfin, la renonciation anticipée à l’action en réduction codifiée aux articles 929 et suivants du Code civil permet aux héritiers réservataires présomptifs de consentir à une renonciation anticipée à l’action en réduction, dès avant l’ouverture de la succession.

La renonciation peut viser une atteinte portant sur la totalité de la réserve ou sur une fraction seulement. Elle peut également ne viser que la réduction d’une libéralité portant sur un bien déterminé.