Les mesures d’interdiction d’exercer une activité prises par le juge des libertés et de la détention sont soumises à l’appréciation du ministère de l’Intérieur lorsqu’il s’agit d’un fonctionnaire de police. Comment s’articulent les pouvoirs de l’autorité judiciaire et de l’autorité administrative dans ce cas de figure ? C’est ce à quoi cet article essaie de répondre à propos d’une ordonnance de référé-suspension du Tribunal administratif de Paris.
Le présent article s’intéresse à l’articulation entre le pouvoir du juge des libertés et de la détention et celui de l’administration lorsqu’un agent public est mis en cause dans une affaire pénale [1].
Un gardien de la paix ayant été poursuivi pour avoir commis un abus de confiance et pour avoir détourné à des fins personnelles les données d’un fichier recensant des infractions a été mis en examen par un juge d’instruction. Une mesure de détention provisoire ayant été envisagée, le juge des libertés et de la détention a été saisi pour statuer.
Si, en principe, une personne mise en examen doit rester libre, l’article 137 du Code de procédure pénale permet toutefois au juge de la soumettre à une mesure de sûreté lorsque les circonstances de l’infraction rendent celle-ci nécessaire.
Dans ce cas, la personne concernée doit se soumettre à certaines obligations énumérées limitativement sous l’article 138 du Code de procédure pénale.
Au nombre de ces obligations figure l’interdiction de se livrer à certaines activités professionnelles ou sociales.
Dans le cas particulier de l’affaire commentée, le policier, dans l’attente de son procès, s’était précisément vu interdire d’exercer toute fonction de police à l’exception de celle consistant à travailler à la cafétéria du service, poste qu’il occupait avant sa mise en examen.
En présence d’une telle interdiction, de quelle marge de manœuvre disposait son administration : le ministère de l’Intérieur, pour pleinement se conformer à la mesure de contrôle décidée par le juge judiciaire ?
L’administration du ministère de l’Intérieur a considéré, en se fondant sur le principe de la séparation des pouvoirs, qu’elle disposait en fait de la latitude la plus large pour apprécier la situation et prendre à l’égard de son agent la mesure la plus appropriée dans l’intérêt du service.
Aussi, une décision radicale a-t-elle privé l’agent de toutes ses fonctions de policier, le marginalisant socialement.
Pour se conformer à ses obligations légales, l’administration était-elle vraiment contrainte d’adopter une mesure aussi extrême ? Certainement pas.
L’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire imposait seulement au ministère de l’Intérieur d’affecter l’agent à un poste compatible avec son interdiction d’exercer des missions de police en lui suggérant de le maintenir à la cafétéria du service.
L’administration aurait pu, tout aussi bien, pour se conformer à l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, affecter le policier dans un service purement administratif comme celui d’agent d’accueil dans un commissariat. Elle pouvait également l’affecter à des fonctions d’assistance dans les tâches administratives d’un service de ressources humaines.
Bien plus, dans l’hypothèse où une telle affectation n’aurait pas été possible, il aurait appartenu à l’administration de détacher l’agent provisoirement dans un autre corps ou un autre cadre d’emplois.
En effet, en application des dispositions de l’article L411-5 du Code Général de la Fonction publique qui énonce que le grade donne vocation à occuper les emplois qui lui correspondent, il appartient à l’administration de ne pas laisser sans affectation un fonctionnaire [2].
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il n’est donc pas interdit à l’administration du ministère de l’Intérieur d’affecter temporairement un policier sur un emploi situé en dehors de la police nationale dès lors que le fonctionnaire n’est pas révoqué ou licencié.
Privé de toute ressource financière, l’agent concerné par la mesure d’interdiction prise par le ministère de l’Intérieur n’avait d’autre solution que de saisir le Président du Tribunal administratif de Paris d’un référé suspension.
Le point relatif à l’urgence ne laissait pas de doute quant à son issue. L’urgence était constituée dès lors que l’agent célibataire ne pouvait compter que sur son traitement de fonctionnaire pour vivre.
Le doute sérieux sur la légalité de la mesure d’interdiction de toute fonction prise par le ministère de l’Intérieur aurait pu donner lieu à davantage de discussion si le juge des libertés et de la détention n’avait pas mentionné expressément dans son ordonnance la possibilité de maintenir l’agent sur son emploi à la cafétéria.
Moyennant quoi, le juge du référé a considéré que la décision d’exclusion de toute fonction méconnaissait l’ordonnance du juge judiciaire. Il a en quelque sorte regardé la décision du ministère de l’Intérieur comme entachée d’erreur de droit en ce qu’elle s’affranchissait des limites posées par une autorité à laquelle le pouvoir administratif était subordonné.
Cette jurisprudence ouvre des perspectives aux nombreux policiers qui chaque année font l’objet de mesures d’interdiction d’exercer leur profession sous prétexte qu’ils sont poursuivis pénalement.
L’obligation qui s’impose à l’administration de ne pas laisser un fonctionnaire sans affectation leur donne pourtant le droit de solliciter un reclassement temporaire ou, à défaut, un détachement dans un corps ou un cadre d’emploi étranger à la police nationale.
Jean-Yves Trennec, Avocat Barreau de Seine-Saint-Denis.
Note :
[1] TA Paris, 7 oct. 2024 req. n° 2424559 https://www.doctrine.fr/d/TA/Paris/2024/TA7A386F60EC2576992501
[2] CE, Assemblée, 11 juillet 1975, ministre de l’Éducation nationale c/Dame Said, req. n° 95293 ; CE, section, 6 novembre 2002 Monsieur Guisset, req. n° 227147 ; CE, 29 novembre 2015, req. n° 390793.
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