Par Maître Jérémie AHARFI - Avocat au Barreau de Toulouse

Dans une réponse ministérielle du 9 mars 2021 à un député, le garde des Sceaux de l’époque indiquait qu’un travail de réécriture de l’article 700 du Code de procédure civile était en cours.

Jusqu’ici, le dédommagement total de la partie gagnante par la partie perdante d’un procès devant le conseil de prud’hommes ou la chambre sociale de la Cour d’appel (et plus généralement devant toute autre juridiction civile) pour les frais qu’elle aurait avancés notamment ses frais d’avocat n’était pas prévu par les dispositions de l’article 700.

L’article 700 du Code de procédure civile rappelait simplement que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie qui perd son procès à verser notamment à l’autre partie, la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés.

Dans ce cadre, les magistrats d’appel et les conseillers prud’hommaux ont l’habitude de fixer forfaitairement le montant de l’indemnité au titre de l’article 700 du CPC dans leur décision, si celle-ci est demandée par les parties dans leur prétention, en tenant compte de l’équité ou encore de la situation économique de la partie condamnée. Parfois aussi, aucun article 700 n’est alloué par le juge aux parties.

En matière sociale, le salarié est souvent considéré comme ayant une situation économique moins favorable que l’employeur notamment s’il est bénéficiaire de l’aide juridictionnelle de sorte qu’il lui est généralement plus souvent attribué une indemnité au titre de l’article 700 lorsqu’il gagne son procès devant le Conseil de prud’hommes.

Une volonté d’agir par le prisme de la représentation d’avocat.

Pour supprimer le frein à l’accès en justice que peut constituer l’idée de perdre de l’argent pour faire valoir ses droits mêmes reconnus postérieurement par le juge, dans le cas où il en serait obligé, le rapport Perben de 2021 portant sur la "profession" d’avocat (qui sera à l’origine d’un travail de réécriture de l’article 700) préconisait que le montant alloué par le juge au titre de l’article 700 du Code de procédure civile soit notamment déterminé en fonction des sommes réellement supportées par la partie gagnante au procès.

En cas d’appel, le juge devrait toujours naturellement tenir compte du cumul des honoraires de conseil supportées par le justiciable en première instance puis dans un second temps en appel pour la fixation de l’indemnité.

Il est rappelé que le texte législatif, sur lequel se fonde l’article 700 du Code de procédure civile, figure à l’article 75, I, de l’ancienne loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

Suite au rapport Perben donc, il a été complété par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire afin de permettre aux parties de produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent [1] : « I.- Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent et le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ».

Néanmoins, il faut se souvenir que rien n’empêchait jusqu’ici l’avocat de produire en justice « tout élément nécessaire à la justification des sommes demandées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens » ainsi que l’y autorisait l’article 66‐5 de la loi n°71‐1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Cette modification de l’article 700 du Code de procédure civile se voulait donc incitative pour le législateur mais était étonnement appliquée à la faveur d’un dernier décret n°2022‐245 du 25 février 2022 sur la thématique du recours à la médiation en application de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance de l’institution judiciaire.

L’article 700 du Code de procédure civile est donc rédigée de la manière suivante depuis ce décret :

« Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer : 1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; 2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 . Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent. La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’Etat majorée de 50% ».

On aurait voulu être moins clair pour le législateur qu’on ne s’y serait pas pris autrement si l’on avait véritablement souhaité octroyer ou tendre à tout le moins vers un droit au justiciable de se voir rembourser l’ensemble de ses frais non compris dans les dépens lorsque son action, à laquelle il était manifestement contraint, était parfaitement justifiée et jugée comme telle par les juridictions civiles et notamment le Conseil de prud’hommes ou la cour d’appel.

Dans le concret, les conseils de prud’hommes continuent toujours à allouer ou à ne pas allouer une indemnité au titre de article 700 CPC à la partie "victorieuse" et toujours selon la méthode du forfait (généralement entre 1 000 et 2 000 euros mais parfois bien moins !)

Salariés, vous pouvez donc produire vos justificatifs avec l’accord de votre avocat, vous pouvez ...

Dès lors, à la question "dois-je perdre même pour gagner ?" en cas d’impossibilité de médiation ? Nous pouvons toujours répondre : oui ! La même solution est naturellement applicable à tout justiciable ayant vocation à connaitre d’une juridiction civile et parmi eux les employeurs, grands ou petits.

NB : attention, salariés ou justiciables, lorsque vous n’êtes notamment pas éligible à l’aide juridictionnelle, les assurances de protection juridique prévoient régulièrement dans leurs conditions générales le droit de percevoir le montant correspondant à l’indemnité octroyée au titre de l’article 700 du CPC et fixée dans le jugement ou la décision en lieu et place de son adhérent, c’est à dire vous, qui est partie au procès et ce en cas de « victoire ».

Il faut donc comprendre que parfois et notamment si vous obteniez gain de cause, la prise en charge de l’assurance des honoraires d’avocat selon ses propres tableaux s’apparente finalement souvent à une simple avance de frais.

Jérémie Aharfi Avocat au Barreau de Toulouse Défense des Salariés Cadres https://aharfi-avocat.fr