Il est courant que lors d’un achat immobilier par couple non marié, l’un des propriétaires (indivisaires) rembourse les échéances de l’emprunt dans des proportions plus importantes que l’autre, voir les rembourse seul car il dispose de revenus beaucoup plus importants et ce, alors que l’acte d’achat stipule que chacun a acquis la moitié de la propriété de l'immeuble

Cette disparité est source fréquemment de litiges lors de la séparation.

En effet,il est fréquent que, lors de la séparation, l’indivisaire, qui a assumé l’emprunt pour acheter le bien commun au-delà de sa quotité de propriété prévu dans l'acte d'achat, tente de  faire reconnaître une créance à ce titre dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de l’indivision.

Jusqu’à récemment, ces demandes recueillaient assez souvent une issue positive.

En effet, dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a énoncé que le calcul de la créance de chacun des indivisaires doit tenir compte des sommes engagées au cours de la vie commune afin de rembourser l’emprunt finançant l’acquisition du bien indivis.

  • Cass. civ. 1°, 20 janvier 2010, RG n°08-19.739

Un arrêt de la Cour d’appel de PARIS du 21 octobre 2009 a notamment jugé que l’indivisaire qui a remboursé seul l’emprunt, et donc au-delà de sa proportion de propriété mentionnée dans l’acte d’achat, est recevable à solliciter la reconnaissance d'une créance sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil.

  • CA PARIS, Pôle 3 ch. 1, 21 octobre 2009, RG n°08/06061

L'article 815-13 du Code civil prévoir la possibilité de la reconnaissance d'une créance pour l'indivisaire qui a engagé des dépenses d'amélioration ou de conservation du bien commun.

Cependant, plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation rendent de plus en plus difficile la reconnaissance d’une créance.

 

I/ LE CAS DES COUPLES PACSES

Dans un arrêt du 27 janvier 2021, la Cour de cassation a énoncé que le remboursement d’un prêt immobilier par un seul des partenaires pacsés relève de l’aide matérielle et ne peut donc entraîner la reconnaissance d'aucune créance :

« 3. Aux termes de l'article 515-4, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n 2006-728 du 23 juin 2006, applicable à la cause, les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s'engagent à une vie commune, ainsi qu'à une aide matérielle et une assistance réciproques. Si les partenaires n'en disposent autrement, l'aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives.

4. Après avoir constaté que l'immeuble avait été acquis indivisément par les parties et que les mensualités des prêts avaient été réglées intégralement par M. V., l'arrêt relève que les intéressés ont disposé de facultés contributives inégales, M. V. ayant perçu des revenus quatre à cinq fois supérieurs à ceux de Mme L.. Il ajoute qu'il résulte des relevés du compte de Mme L. que celui-ci a oscillé entre un faible solde créditeur et un solde régulièrement débiteur, le livret bleu étant créditeur de façon constante d'un montant d'environ 1 700 euros, et que, si M. V. soutient avoir payé l'intégralité des charges du ménage, permettant ainsi à Mme L. de réaliser des économies, la preuve de ces économies n'est pas rapportée. Il relève encore que les revenus de Mme L. étaient notoirement insuffisants pour faire face à la moitié du règlement des échéances des emprunts immobiliers.

5. La cour d'appel, qui a souverainement estimé que les paiements effectués par M. V. l'avaient été en proportion de ses facultés contributives, a pu décider que les règlements relatifs à l'acquisition du bien immobilier opérés par celui-ci participaient de l'exécution de l'aide matérielle entre partenaires et en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, qu'il ne pouvait prétendre bénéficier d'une créance à ce titre. »

  • Cass. civ. 1°, 27 janvier 2021, RG n°19-26.140

Le cœur de cette solution réside dans l’article 515-4 du Code civil, lequel énonce que les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s'engagent à une aide matérielle.

Le texte prend soin de préciser que sauf si les partenaires n'en disposent autrement, l'aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives.

Ainsi, pour faire reconnaître une créance, il faudra démontrer que la participation du partenaire pacsé au remboursement de l’emprunt a été bien au-delà de ses facultés financières, ce qui sera particulièrement compliqué si le couple présentait des disparités de revenu importantes pendant de la vie commune.

L’une des pistes pour éviter cette solution peut consister, pour les partenaires pacsés, dans l’établissement d’un écrit définissant le contenu de l’aide matérielle et écartant expressément les dépenses d’acquisition d’un immeuble de cette aide.

Cependant, cet arrêt de la Cour de cassation n’a pas examiné la possibilité d’opposer aussi à la demande de l'indivisaire les dispositions de l’article 515-5-1 du Code civil, lequel énonce :

« Les partenaires peuvent, dans la convention initiale ou dans une convention modificative, choisir de soumettre au régime de l'indivision les biens qu'ils acquièrent, ensemble ou séparément, à compter de l'enregistrement de ces conventions. Ces biens sont alors réputés indivis par moitié, sans recours de l'un des partenaires contre l'autre au titre d'une contribution inégale. »

 

La solution la plus simple semble de faire fi des sentiments amoureux lors de la conclusion du contrat de vente et de stipuler une acquisition de l'immeuble par chacun des partenaires dans des quotités de propriété correspondant à leur remboursement respectif de l’emprunt.

 

II/ LE CAS DES CONCUBINS

 

            A/ LE PIEGE SOURNOIS DE LA PRESCRIPTION

L’article 2236 du Code civil énonce que la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité.

Mais les concubins ne bénéficient pas de ce texte car non mariés, non pacsés.

Dans un arrêt du 4 avril 2021, la Cour de cassation a énoncé que la créance de l’indivisaire issue d’un remboursement d’emprunt est exigible dès le paiement de chaque échéance si bien que le délai de prescription court dès le règlement de l'échéance d'emprunt pour se prescrite 5 ans plus tard :

« Vu les articles 815-13, 815-17, alinéa 1er, et 2224 du code civil :

7. Il résulte des deux premiers textes qu'un indivisaire qui a conservé à ses frais un bien indivis peut revendiquer une créance sur l'indivision et être payé par prélèvement sur l'actif indivis, avant le partage.

8. Cette créance, immédiatement exigible, se prescrit selon les règles de droit commun édictées par le dernier.

9. Pour déclarer recevable l'ensemble des demandes de M. [T], l'arrêt relève que celui-ci revendique une créance sur l'indivision à raison du paiement de l'intégralité des échéances de l'emprunt bancaire du mois de décembre 2001 au mois de mars 2013 inclus. Il énonce qu'il résulte des termes mêmes de l'article 815-13 du code civil que l'indemnité due à l'indivisaire s'apprécie à la date du partage ou de l'aliénation du bien indivis, indépendamment de la date à laquelle les impenses ont été exposées. Il relève que le partage a été ordonné le 2 avril 2013, que le bien a été vendu le 31 juillet 2014, que la prescription a été interrompue par le procès-verbal de difficultés et par l'assignation.

10. En statuant ainsi, alors que la créance revendiquée par M. [T] était exigible dès le paiement de chaque échéance de l'emprunt immobilier, à partir duquel la prescription commençait à courir, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

  • Cass. civ. 1°, 14 avril 2021, RG n°19-21.313

Concrètement, le conjoint indivisaire qui rembourse une échéance d’emprunt immobilier dans des proportions allant au-delà de sa quotité de propriété mentionnée dans l’acte de vente prend le risque de voir son action déclarée irrecevable s’il attend plus de cinq ans pour faire valoir sa créance à l'égard de l'indivision.

A titre d'illustration, si un couple qui achète un bien immobilier à crédit sur 15 ans et que l’un des concubins règle la totalité du crédit pendant ces 15 ans, il ne pourra plus formuler de demande de reconnaissance d'une créance pour toutes les échéances au bout de 20 ans.

Une telle jurisprudence n’est pas de nature à amener la paix des ménages.

Pour éviter ce problème, plusieurs solutions sont envisageables :

  • les concubins acquièrent l’immeuble chacun dans des proportions correspondant à leur faculté financière de remboursement de l'emprunt;
  • tous les 5 ans, le concubin forme une action en paiement de sa créance sur le fondement de l’article 815-17 du Code civil (solution idéale pour la mésentente et la fin du ménage…) ;
  • le concubin bénéficiant de ce remboursement établit des reconnaissances de dette car la reconnaissance par le débiteur interrompt la prescription (article 2240 du Code civil). On imagine sans peine les difficultés morales de cette pratique.

 

          B/ LA QUESTION DE LA VOLONTE COMMUNE DE PARTAGER LES DETTES DU MENAGE

Si les partenaires pacsés ont les articles 515-4 et 515-5-1 du Code civil pour faire obstacle à une action en remboursement, la Cour de cassation a créé une jurisprudence afin d'écarter la demande de créance du concubin sur le fondement de la volonté commune de partager les dépenses de la vie courante :

« Mais attendu qu'ayant constaté qu'au cours de la période de vie commune, M. X... acquittait les échéances de remboursement de l'emprunt tandis que Mme Y... assumait l'essentiel des charges de la vie courante, la cour d'appel en a souverainement déduit qu'il existait une volonté commune de partager les dépenses de la vie courante, de sorte que M. X... devait conserver la charge des échéances du prêt immobilier, sans qu'il y ait lieu à établissement de comptes entre les concubins sur ce point ; que le moyen, inopérant en sa seconde branche en ce qu'il critique un motif surabondant, n'est pas fondé pour le surplus ; »

  • Cass. civ. 1°, 7 février 2018, RG n°17-13.979

La Cour de cassation admet en effet que le remboursement d’emprunt constitue une dépense de la vie courante.

  • Cass. civ. 1°, 13 janvier 2016, RG n°14-29.746

Ainsi, si un des concubins rembourse le prêt et l'autre qui supporte les autres dépenses du ménage, le Tribunal pourra considérer que le remboursement de l’emprunt ne constitue pas une dépense de conservation au sens  de l'article 815-13 du Code civil mais un partage des dépenses .

 

III/ EN RESUME

Lors d’un achat, il est prudent que le financement de l’acquisition de l’immeuble entre les concubins ou les partenaires pacsés correspondent à leur quotité de propriété sur le bien définie dans l'acte d'achat.

Ces dernières jurisprudences doivent amener aussi  les professionnels de la vente immobilière à une extrême prudence, notamment les notaires tenus à un devoir de conseil.

 

Cet article n'engage que son auteur.

Maître Jérémy MAINGUY

Avocat au Barreau de l'AVEYRON

Spécialiste en droit immobilier

Contact : jmainguy.avocat@gmail.com - 07 49 40 40 07