Le CV anonyme avait été introduit en 2006 avec la loi sur l'égalité des chances (loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances).

 

Il s’agissait, dans les entreprises d'au moins 50 salariés, de le rendre obligatoire.

 

Ainsi, les informations des candidats ne devaient en principe être examinées que dans des conditions préservant l’anonymat de ces derniers, lorsqu’elles étaient communiquées par écrit.

 

Cependant, la mise en œuvre du CV anonyme nécessitait que des décrets en Conseil d'Etat en définissent les modalités d'application pratiques.

 

Or, ces décrets n’ont jamais été adoptés.

 

Pourtant, en 2014, le Conseil d'État avait donné au Gouvernement jusqu'au 9 janvier 2015 pour publier les décrets d’application.

 

Pour sa défense, le Gouvernement mettait en avant la constitution en octobre 2014 d'un groupe de « dialogue », réunissant les ministres du Travail et de la Ville, des associations, des partenaires sociaux et des professionnels de l'emploi, dont l’objet était d’aboutir à des propositions d’orientations en matière de lutte contre les discriminations (à ce titre, l'utilisation du CV anonyme était l'un des thèmes abordés).

 

Ce groupe de dialogue a estimé, pour une grande majorité, que la généralisation du CV anonyme telle qu’elle était prévue dans la loi de 2006 comme réponse unique pour lutter contre les discriminations n’était pas pertinente.

 

L’un des problèmes mis en avant était que depuis le vote de la loi de 2006, les moyens d'entrer en contact avec les candidats et de les recruter avaient évolué de manière importante.

 

Les réseaux sociaux professionnels (LinkedIn, Viadeo…) sont ainsi devenus des outils de plus en plus utilisés par les recruteurs. Or, l’anonymat ne fait pas partie de l’ADN de ces réseaux sociaux. Il existerait alors un risque de rendre obligatoire le CV anonyme du fait du développement de ces réseaux sociaux. En effet, certains employeurs estiment que les CV anonymes sont moins attractifs que les CV nominatifs. L’usage du CV anonyme pourrait ainsi avoir un effet négatif en amenant ces employeurs à écarter des candidatures anonymes au profit de candidatures nominatives, arrivées par les autres canaux de recrutement que sont désormais les réseaux sociaux (ou même via les candidatures spontanées).

 

Par ailleurs, les résultats des expérimentations mises en place quant au CV anonyme n’ont pas toujours apportées les résultats espérés.

 

Ainsi par exemple, une étude menée entre 2009 et 2010 pour Pôle emploi concluait que les résultats de l’évaluation montraient en général que l’usage du CV anonyme n’avait pas modifié, en moyenne, les chances d’accès à l’entretien d’embauche pour les candidats femmes, les jeunes et les seniors.

 

Autrement dit, les effets du CV anonyme sur les chances de recrutement de certains candidats exposés à un risque de discrimination ont été, en moyenne, statistiquement non significatifs selon cette étude.

 

Pire encore, cette étude concluait que pour les candidats issus de l'immigration ou habitant dans des zones sensibles, la probabilité d’accéder à un entretien d’embauche passait de 9,6 % avec un CV nominatif à 4,6 % avec un CV anonyme (contre 11,9 à 17,8% pour les autres candidats) !

 

Le premier élément d’explication de ce résultat inattendu serait lié à la spécificité des entreprises entrées dans l’expérimentation. Il pourrait ainsi s’agir d’entreprises ayant des pratiques volontaristes en matière de lutte contre les discriminations ; le CV anonyme limiterait donc leurs stratégies de recherche de diversité (Cf. Repères et analyses Pôle emploi, n°28 ).

 

Il n’en demeure pas moins, qu’après une lecture attentive des résultats obtenus, on constate que l’expérimentation des CV anonymes a également apportés certains résultats positifs, dans certains domaines particuliers.

 

Ainsi par exemple, quand le recruteur est un homme, la probabilité pour une femme d’accéder à l’entretien avec un CV nominatif, est inférieure de 16,6 points à celle d’un homme (9,3 % contre 25,9 %). Lorsque le CV est anonyme les chances relatives des femmes d’avoir accès à un entretien, avec un recruteur homme, passent de 9,3% à 25,2% (et celles des hommes baissent de 25,9% à 19,4%) !

 

De la même manière, quand le recruteur est une femme, la probabilité d’accès à l’entretien pour les femmes avec un CV nominatif, est supérieure de 5,2 points à celle des hommes (12,7 % contre 7,5 %). Lorsque le CV est anonyme, les chances relatives des femmes d’avoir accès à un entretien, avec un recruteur femme, se réduisent (ainsi, alors que dans le premier cas, les chances des femmes sont supérieures de 5,2 points par rapport aux hommes – 12,7% contre 7,5% -, ces chances sont inférieures de 12,9 points lorsque le CV est anonyme – 14,7% de chances d’accéder à un entretien pour une femme contre 27,6% de chances pour les hommes) !

 

Selon Pôle emploi, ces résultats révèleraient des comportements de recrutement qualifiés d’« homophiles », c’est-à-dire que les recruteurs tendraient à privilégier des candidats qui ont une ou plusieurs caractéristiques identiques aux leurs. En l’occurrence, dans l’expérimentation, lorsque le CV est nominatif, les recruteurs tendent à privilégier des candidats du même genre qu’eux.

 

Le CV anonyme aurait donc un effet obstacle à « l’homophilie » des recruteurs.

 

Des effets similaires ont été constatés en fonction de l’âge du recruteur pour les candidats de plus de 50 ans (Cf. étude Pôle Emploi).

 

Par ailleurs, l'expérimentation du Conseil général de l'Essonne (menée sur les premiers semestres 2012 et 2014), semble positive, puisque les candidats ayant un prénom discriminant ont eu, avec ce dispositif, 32 % de chances supplémentaires d'avoir un entretien et 36 % de chances supplémentaires de décrocher le poste (Cf. http://www.lesechos.fr/13/12/2014/lesechos.fr/0204014155133_le-cv-anonyme-est-efficace-selon-une-experimentation.htm ).

 

Cependant, au regard des résultats disparates de ces expérimentations, de la lourdeur de la mise en place de la généralisation du CV anonyme, des divergences fortes existants sur ce sujet et des éventuels effets pervers qu’il pouvait introduire dans les processus de recrutement, le « groupe de dialogue » précité a conclu de ces différentes études que la systématisation du CV anonyme n’est pas apparue comme un outil pertinent pour lutter contre les discriminations à l’embauche (Cf. RAPPORT DE SYNTHESE DES TRAVAUX DU GROUPE DE DIALOGUE INTER-PARTENAIRES SUR LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS EN ENTREPRISE).

 

Ce « groupe de dialogue » a en revanche fait un certain nombre de propositions ayant pour objet la lutte contre les discriminations (exemples : organiser une campagne nationale d’information et de sensibilisation, auprès du grand public et des entreprises afin de déconstruire les stéréotypes ; définir une nouvelle voie de recours collectif ouverte, après absence du processus de dialogue social sur ce thème, à toute partie ayant intérêt à agir (associations et organisations syndicales pour les discriminations lors du recrutement, organisations syndicales pour les discriminations dans la carrière et dans l’emploi) permettant à la fois la cessation de la pratique discriminatoire, la réparation intégrale des préjudices subis par les victimes et la sanction, si nécessaire, de cette pratique, etc - Cf. RAPPORT DE SYNTHESE DES TRAVAUX DU GROUPE DE DIALOGUE INTER-PARTENAIRES SUR LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS EN ENTREPRISE).

 

C’est ainsi qu’en mai 2015, le Gouvernement a donc annoncé la fin du caractère obligatoire du CV anonyme, estimant le dispositif peu efficace avant même sa généralisation.

 

Le caractère obligatoire du CV anonyme a alors été supprimé à l’Assemblée nationale en mai 2015, via un amendement gouvernemental au projet de loi sur le dialogue social.

 

Le CV anonyme devenu facultatif, le Gouvernement mise sur de nouvelles « actions de groupe » contre les discriminations. Il a également annoncé le lancement d’une grande campagne de testings et d’auto-testings à l’embauche à l’automne 2015, pour permettre une prise de conscience par les entreprises des discriminations et les inciter à mettre en place des plans d’actions correctifs (amendement n°705).

 

Jonathan KOCHEL

Avocat à la Cour

Responsable d'enseignement à l'Université

www.kochel-avocat-lyon.fr