Le Conseil d'État, dans deux décisions du 19 décembre 2024, a clarifié l’application du droit de se taire en matière disciplinaire, découlant de l’article 9 de la Déclaration du droit de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui dispose que « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »
La première décision est relative au droit de se taire d’un agent public ou d’un usager dans le cadre des sanctions prises par l’Administration (CE, sect., 19 décembre 2024, n° 490157 ). La seconde concerne ce droit pour les sanctions prises par une juridiction disciplinaire, telle que le Conseil de l’ordre des médecins ou des vétérinaires par exemple (CE, 19 décembre 2024, n° 490952).
Ces deux affaires ont donné l’occasion à la Juridiction suprême de préciser le moment au cours duquel l’information relative au droit de se taire devait être délivrée, ainsi que les conséquences à en tirer en cas de défaut de notification de ce droit.
Il convient de préciser que la Haute Juridiction reste néanmoins silencieuse concernant la forme de la délivrance / de la notification du droit de se taire. Or, les questions de preuve qui en découlent n’en sont pas moins dépourvues d’intérêt, et ce d’autant plus, que ce sont elles qui seront à même de pouvoir déterminer le moment de délivrance de la notification du droit à l’intéressé. A n’en pas douter, les futurs contentieux concernant la notification du droit de se taire se concentreront vraisemblablement sur l’établissement de la remise effective de cette notification en temps voulu, et, par conséquent, sur la question de la preuve de celle-ci.
I. Le moment de notification du droit de se taire :
S’agissant du moment à partir duquel l’Administration doit délivrer l’information à l’intéressé de son droit à se taire pour ne pas s’auto-incriminer, le Conseil d’Etat précise que l’intéressé doit en être avisé avant d’être entendu pour la première fois dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée contre lui.
En revanche, dans le cadre des enquêtes diligentées par l’Administration avant l’ouverture d’une procédure disciplinaire, le juge administratif précise que le droit de se taire n’a pas à être délivré et qu’il ne s’applique pas ; tout en émettant une réserve dans le cas d’un détournement de procédure.
Ici, tout l’enjeu contentieux résidera, pour le requérant, dans la démonstration d’un éventuel détournement de procédure commis par l’Administration, dans le but d’éviter de lui notifier son droit. Il incombera ensuite à l’Administration de prouver qu’elle n’en a commis aucun, en arguant du fait qu’elle ne procédait qu’à une enquête pré-disciplinaire, sans que l’intéressé ne soit alors mis en cause à ce moment-là.
« 3. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent. » (CE, sect., 19 décembre 2024, n° 490157) ;
« 3. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent. » (CE, 19 décembre 2024, n° 490952).
II. Les conséquences du défaut de notification du droit de se taire :
S’agissant des conséquences à tirer du défaut de notification du droit de se taire, le juge administratif adopte une approche pragmatique. En effet, l’irrégularité commise ou le vice de procédure ne conduit pas systématiquement à l’annulation de la sanction, dès lors que le défaut de notification du droit de se taire n’a pas eu d’impact sur la sanction prononcée.
A cet égard, il convient de distinguer entre la sanction administrative et la sanction disciplinaire.
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Dans le cadre de la sanction administrative, le défaut de notification n’entraîne pas, en principe, l’illégalité de la sanction, à moins que cette dernière ne repose de manière déterminante (mais pas nécessairement exclusivement) sur les propos tenus par l’intéressé alors qu’il n’avait pas été informé de son droit de se taire. Il incombera donc au requérant de démontrer que la sanction est fondée de manière déterminante sur ces propos, même si d’autres éléments peuvent également avoir contribué à la décision.
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Dans le cadre de la sanction disciplinaire, deux hypothèses doivent être envisagées : l’une lors de la phase de jugement, l’autre lors de la phase de préjugement, au cours des auditions notamment.
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Au cours de la phase de jugement, le principe est inversé par rapport à l’hypothèse d’une sanction administrative. Ici, le défaut de notification entache la sanction d’irrégularité (régularité du jugement prononçant la sanction disciplinaire), sauf si l’intéressé peut démontrer qu’il n’a pas tenu de propos susceptibles de lui nuire.
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Au cours de la phase de préjugement, le principe est à nouveau inversé : l'absence de notification du droit de se taire au cours d'une audition n’entraîne pas automatiquement une remise en cause du bien-fondé de la sanction, sauf si celle-ci repose sur les propos de l’intéressé recueillis lors de cette audition, alors qu’il n’avait pas été informé de son droit à se taire.
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« 4. Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes énoncés aux points 2 et 3, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit. » (CE, sect., 19 décembre 2024, n° 490157) ;
« 4. Il s'ensuit, d'une part, que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d'irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l'audience sans avoir été au préalable informée du droit qu'elle a de se taire, sauf s'il est établi qu'elle n'y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier. D'autre part, pour retenir que la personne poursuivie a commis des manquements et lui infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut, sans méconnaître les exigences mentionnées aux points 2 et 3, se déterminer en se fondant sur les propos tenus par cette personne lors de son audition pendant l'instruction si elle n'avait pas été préalablement avisée du droit qu'elle avait de se taire à cette occasion. » (CE, 19 décembre 2024, n° 490952).
En résumé, ces décisions soulignent l’importance de respecter le droit de se taire dans les procédures disciplinaires et clarifient les conséquences d’une omission d'information à ce sujet.
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