Le tribunal administratif revient, dans une décision particulièrement intéressante, sur les modalités de cristallisation des règles d'urbanisme à la suite de la division d'un terrain et de la délivrance d'un certificat d'urbanisme. 

Le 29 juin 2021, le maire d'Ajaccio a délivré un permis de construire une maison, un garage et une piscine sur le territoire communal, au lieudit "Les Barraques", zone pavillonnaire entourée de verdure située sur les montagnes au nord de Ville à proximité des ruines de l'Eglise romane de San Rimediu. 

Le terrain d'assiette du projet est toutefois situé en zone N du plan local d'urbanisme de la ville d'Ajaccio. Vigilant, le préfet de la Corse-du-Sud a exercé un déféré en vue d'obtenir l'annulation du permis de construire. 

Ce dossier a permis au tribunal administratif de Bastia de préciser les incidences d'une décision de division préalable et d'un certificat d'urbanisme sur le droit applicable. En effet, l'enjeu du dossier consistait à déterminer les règles applicables au projet.

Pour la bonne compréhension du dossier, il faut tenir compte des deux éléments suivants :
 

  • Le bénéficiaire de l'autorisation d'urbanisme a déposé le 13 septembre 2016 une déclaration préalable pour la division en vue de bâtir de la parcelle cadastrée section C n° 1126. Par un arrêté du 14 novembre 2016, le maire d'Ajaccio ne s'est pas opposé à cette déclaration. La parcelle n° 1126 a été divisée en trois lots qui ont été cadastrés sous les n°s 1277, 1278 et 1279 ;

  • Un certificat d'urbanisme délivré le 24 octobre 2019 au bénéficiaire de l'autorisation d'urbanisme a déclaré réalisable l'opération consistant en la construction d'une maison individuelle sur un terrain d'assiette composé des parcelles cadastrées n°s 1127 et 1279.


Si l'on s'en tient au droit applicable au moment de la délivrance du permis de construire, c'est à dire au 29 juin 2021, l'article N1 du règlement du plan local d'urbanisme d'Ajaccio approuvé par la délibération du conseil municipal du 25 novembre 2019 interdit les constructions et installations de toute nature, sauf exceptions.

Le projet ne relevait d'aucune exception à la règle d'interdiction, ce qui a conduit la mairie à faire application des anciennes règles en se fondant sur les effets combinés de la décision de non-opposition à déclaration préalable et du certificat d'urbanisme. Selon elle, ces actes feraient obstacle à l'application des prescriptions du règlement du plan local d'urbanisme en vigueur. L'ancien document d'urbanisme devant s'appliquer.

Le tribunal administratif n'a pas suivi ce raisonnement et a sanctionné la commune d'Ajaccio en annulant le permis de construire.

Dans une décision particulièrement détaillée, le tribunal indique les raisons pour lesquelles il n'était pas possible en l'espèce de se prévaloir de la cristallisation des anciennes règles.

D'une part, s'agissant de la décision du 14 novembre 2016 de non-opposition à la déclaration préalable, la juridiction rappelle les dispositions alors applicables de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme :

" Le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues dans un délai de cinq ans suivant : 1° La date de la non-opposition à cette déclaration, lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable ; () ".

Le tribunal retient que :

"D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 1, l'arrêté du 14 novembre 2016 a pour objet la division de la parcelle cadastrée section C n° 1126 en trois lots qui ont été cadastrés sous les n°s 1277, 1278 et 1279. La circonstance qu'à l'appui de sa déclaration, Mme A a produit un plan de division indiquant que la future parcelle n° 1279 est à rattacher à la parcelle n° 1127 est sans incidence sur le champ d'application de cette autorisation d'urbanisme qui se limite aux trois parcelles nouvellement créées. D'autre part, il ressort du plan de masse joint à la demande de permis en cause que le terrain d'assiette de la construction litigieuse est situé sur la seule parcelle n° 1127. Dès lors, les défenderesses ne sont pas fondées à se prévaloir des dispositions précitées de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme pour soutenir que la décision du 14 novembre 2016 fait obstacle à l'application au permis litigieux des prescriptions du règlement du plan local d'urbanisme classant les parcelles n°s 1127 et 1279 en zone naturelle".

En d'autres termes, le terrain d'assiette du projet ne portait pas sur les parcelles ayant fait l'objet de la division et bénéficiant de la cristallisation des règles en application de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme.

D'autre part, s'agissant du certificat d'urbanisme positif délivré le 24 octobre 2019, il est rappelé les différentes règles applicables.

L'article L. 410-1 du code de l'urbanisme précise que :

" Le certificat d'urbanisme, en fonction de la demande présentée : () b) Indique en outre, lorsque la demande a précisé la nature de l'opération envisagée ainsi que la localisation approximative et la destination des bâtiments projetés, si le terrain peut être utilisé pour la réalisation de cette opération ainsi que l'état des équipements publics existants ou prévus. Lorsqu'une demande d'autorisation ou une déclaration préalable est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d'un certificat d'urbanisme, les dispositions d'urbanisme, le régime des taxes et participations d'urbanisme ainsi que les limitations administratives au droit de propriété tels qu'ils existaient à la date du certificat ne peuvent être remis en cause à l'exception des dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique. () ".

L'article L. 424-1 du code de l'urbanisme prévoit, dans sa rédaction alors applicable au litige, que :

" () Il peut être sursis à statuer sur toute demande d'autorisation concernant des travaux, constructions ou installations dans les cas prévus au 6° de l'article L. 102-13 et aux articles L. 153-11 et L. 311-2 du présent code et par l'article L. 331-6 du code de l'environnement () ".

Enfin, l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme indique que :

" () L'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L. 424-1, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable ".

Ces dispositions ont pour objet de permettre à l'autorité administrative de ne pas délivrer des autorisations pour des travaux, constructions ou installations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d'urbanisme. 

En effet, le temps de la procédure d'élaboration d'un nouveau document d'urbanisme, et donc d'un nouveau projet urbain, le code de l'urbanisme offre la possibilité à l'autorité compétente de se préserver de projets qui iraient à l'encontre des nouveaux objectifs. 

Dans ce cas, lors de l'instruction d'une demande de permis de construire, il appartient à l'autorité compétente de prendre notamment en compte les orientations du projet d'aménagement et de développement durables dès lors qu'elles traduisent un état suffisamment avancé du futur plan local d'urbanisme. 

Cette prise en compte permet d'apprécier si un projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuses l'exécution de ce plan. 

Il convient également de retenir que lorsque le plan en cours d'élaboration et qui aurait justifié, à la date de délivrance du certificat d'urbanisme, que soit opposé un sursis à une demande de permis ou à une déclaration préalable, entre en vigueur dans le délai du certificat, les dispositions issues du nouveau plan sont applicables à la demande de permis de construire ou à la déclaration préalable.

Le tribunal administratif de Bastia, suivant en cela le raisonnement du Préfet de la Corse-du-Sud, a considéré qu'à la date de délivrance du certificat d'urbanisme, un sursis à statuer devait être opposé par le maire d'Ajaccio au projet. 

Plusieurs raisons le justifiant : 
 

  • Le certificat d'urbanisme pré-opérationnel positif délivré le 24 octobre 2019 indique que les parcelles cadastrées section C n°s 1127 et 1279 sont situées en zone UDb, or, à la date de la délivrance de ce certificat d'urbanisme, le débat sur les orientations du projet d'aménagement et de développement durable du futur plan local d'urbanisme de la commune avait eu lieu et le projet de plan local d'urbanisme avait été arrêté par une délibération du conseil municipal de la commune d'Ajaccio du 28 novembre 2018. 

  • Le plan local d'urbanisme révisé, approuvé par une délibération du conseil municipal de la commune d'Ajaccio le 25 novembre 2019, étant entré en vigueur dans le délai du certificat, les prescriptions du nouveau plan local d'urbanisme sont applicables à la demande de permis de l'intéressée.