Alors que la fabrication des chocolats bat son plein en ces fêtes de fin d’année, nous savons aujourd’hui qu’elle n’est pas toujours un motif d’usage valable des contrats de travail saisonniers[1] ! En effet, la principale caractéristique de ces contrats est l’exécution de tâches appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons, ou des modes de vie collectifs[2]. Néanmoins, le motif de recours à ce type de contrat ne doit pas être confondu avec du travail occasionnel, destiné à couvrir un besoin momentané de main-d’œuvre, ou un surcroît temporaire de travail. Aussi, d’avoir recours aux contrats saisonniers, mieux vaut donc faire un point sur l’état du droit et le besoin réel dans l’entreprise, afin d’éviter d’éventuelles déconvenues, tant du côté des employeurs que des salariés.

S’il est difficile de dresser un portrait statistique exact de l’emploi saisonnier en France en raison de son caractère temporaire, la dernière étude de la direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (DARES)[3] nous indiquait qu’entre avril 2018 et mars 2019, un peu plus d’un million de personnes ont eu au moins un contrat saisonnier en France (hors Mayotte). Selon cette étude, réalisée à partir des déclarations sociales nominatives, plus d’un quart des saisonniers sont employés dans l’agriculture et près de la moitié exercent dans les secteurs de la restauration, de l’hébergement et des loisirs. La durée de ces contrats est d’environ deux mois en moyenne, mais varie en fonction du secteur. Les entreprises sont donc nombreuses à faire appel à ce type de travailleurs, sans toujours respecter les prescriptions légales.

Autrefois déterminé par la jurisprudence[4] et l’administration[5], le statut du contrat saisonnier a été établi par la loi Travail du 8 août 2016[6], complétée par l’ordonnance du 27 avril 2017[7]. Ces textes le définissent désormais clairement, ainsi que les cas possibles, ou prohibés, de recours à ce contrat. Il est donc indispensable de déterminer juridiquement à quoi correspond l’emploi saisonnier, puis d’anticiper, en amont, les possibilités de reconductions pour les saisons suivantes et leurs conséquences.

 

1. Les contrats saisonniers : mode d’emploi

Il convient d’analyser la faisabilité du contrat saisonnier avant d’y avoir recours, puis d’examiner soigneusement son contenu pour éviter un éventuel litige.

1.1. L’emploi saisonnier n’est pas un simple accroissement d’activité

Les contrats saisonniers sont clairement définis aux articles L. 1242-2, 3º et L. 1251-6, 3º du Code du travail : l’activité saisonnière autorisant le recours à ces contrats à durée déterminée correspond à des travaux répétés cycliquement, c’est-à-dire des variations d’activité qui doivent être régulières, prévisibles et cycliques, qui ne résultent pas de la volonté de l’employeur ou des salariés. Certaines conventions collectives de branche ont également donné une définition précise de la saison : notamment la convention collective nationale des entreprises du négoce et de l’industrie des produits du sol, engrais et produits connexes du 2 juillet 1980[8] et la convention collective nationale des téléphériques et engins de remontées mécaniques du 15 mai 1968[9].

Le travail saisonnier se distingue ainsi du travail occasionnel destiné à couvrir un besoin momentané de main-d’œuvre ou un surcroît temporaire de travail. Il ne peut pas non plus s’agir d’un simple accroissement périodique de production au sein d’une entreprise travaillant à l’année. En effet, il n’est pas possible de recourir à des contrats saisonniers lorsqu’ils sont conclus par une entreprise dont l’activité ne varie pas en fonction du rythme des saisons, mais uniquement en fonction de l’employeur, qui ne répartit pas sa production sur l’ensemble de l’année[10].

1.2.Les conditions de validité des contrats saisonniers

Si l’activité saisonnière est caractérisée, il est d’usage de recourir à un contrat à durée déterminée (CDD). Mais même lorsque le caractère saisonnier de l’activité de l’employeur est bien établi, il convient de veiller à ce qu’il y ait une correspondance entre l’emploi du salarié et cette variation d’activité, et donc que les tâches confiées au salarié recruté en contrat saisonnier correspondent bien à un accroissement cyclique. Il faut être vigilant sur ce point, car si le salarié est affecté à des tâches relevant de l’activité normale de l’entreprise tout au long de l’année, même durant une période saisonnière, le contrat pourra être requalifié en contrat à durée indéterminée (CDI)[11]. Par exemple, il ne sera pas possible de justifier la conclusion d’un CDD saisonnier pour les surcroîts d’activité liés au lancement ou à la promotion d’un produit, ou pour un accroissement périodique de production, alors même que l’entreprise fabrique des produits en toutes saisons[12].

En outre, puisqu’il faut que le salarié occupe, par nature, un poste « temporaire », le contrat saisonnier devra impérativement être conclu pour une durée inférieure à celle de l’ouverture de l’entreprise : par exemple, un salarié qui aura travaillé durant la moitié de l’année pour la vente de produits que son entreprise commercialise toute l’année ne pourra pas être embauché en contrat saisonnier[13].

1.3.Les spécificités légales du contrat saisonnier

Les salariés directement occupés à des tâches saisonnières peuvent être recrutés en contrats à durée déterminée (CDD) prévoyant ou non un terme précis (il est également possible d’avoir recours à l’intérim, au contrat de mission). Dès lors, le contrat saisonnier, comme tous les CDD, doit être établi par écrit, sinon il est réputé conclu pour une durée indéterminée. La loi fixe les éléments qui doivent figurer dans le contrat de travail saisonnier et notamment :

  • La définition précise de son motif, c’est-à-dire la saison qui justifie son recours ;
  • La date d’échéance du terme du contrat et, le cas échéant, la clause de renouvellement lorsque le contrat comporte un terme précis ;
  • La durée minimale du contrat lorsqu’il s’agit d’un contrat à terme imprécis ;
  • La désignation du poste occupé par le salarié ;
  • L’intitulé de la convention collective applicable dans l’entreprise ;
  • La durée de la période d’essai ;
  • Le montant de la rémunération et de ses différentes composantes ;
  • Le nom et l’adresse de la caisse de retraite ainsi que, le cas échéant, ceux des organismes de prévoyance ;
  • Éventuellement, une clause de reconduction pour la saison suivante.

En outre, employeurs et salariés veilleront à vérifier que les clauses rendues obligatoires par leur convention ou accord collectif figurent bien dans le contrat de travail.

Néanmoins, il subsiste une différence – importante pour le salarié – avec le CDD « classique », puisque le contrat saisonnier n’ouvre pas droit au versement de l’indemnité de précarité[14], même dans le cas où la relation contractuelle est requalifiée en CDI par le juge[15], sauf si les dispositions conventionnelles la prévoient (c’est le cas par exemple de la convention collective des espaces de loisirs, d’attraction et culturels[16]). Néanmoins il ouvre droit aux allocations chômages dans les mêmes conditions que tout demandeur d’emploi.

Quant au « contrat vendanges », il obéit à un régime spécifique : c’est un cas particulier de contrat saisonnier, limité aux travaux relatifs à la préparation et la réalisation des vendanges, ainsi qu’au rangement du matériel[17], ce qui exclut tous les autres travaux viticoles tels que la taille, l’ébourgeonnage, l’épillonnage, etc. Il présente les spécificités suivantes :

  • Il est ouvert aux salariés en congés payés et aux agents publics ;
  • Il a une durée maximale d’un mois ;
  • Il doit préciser la durée pour laquelle il est conclu (à défaut, il est réputé conclu jusqu’à la fin des vendanges) ;
  • Un même salarié peut conclure des contrats vendanges successifs, sous réserve que le cumul des contrats de travail n’excède pas une durée totale de deux mois appréciée sur une période de 12 mois ;
  • Il ne peut pas comporter de clause de reconduction automatique comme les autres contrats de travail à caractère saisonnier.

Enfin, c’est peut-être une évidence dans le contexte actuel, mais il faut également veiller aux spécificités liées au Covid-19 : depuis le 30 août 2021, la détention d’un passe sanitaire peut être exigée pour exercer certains métiers, y compris les métiers saisonniers.

 

2. Reconduction des contrats saisonniers : les points de vigilance

Le caractère saisonnier de ce type d’emploi appelle nécessairement la question de la reconduction du contrat pour les saisons suivantes. Celle-ci est possible, et dans certains cas, imposée.

2.1.La reconduction d’un contrat saisonnier avec le même salarié 

L’employeur doit rester vigilant s’il veut recourir à des contrats saisonniers plusieurs années consécutives avec le même salarié. Il peut, en principe, employer le même salarié durant plusieurs saisons successives, dès lors que l’activité est bien saisonnière, sans avoir à respecter un délai de carence[18]. En effet, la jurisprudence estime que, la faculté de conclure des CDD saisonniers successifs avec le même salarié n’étant assortie d’aucune limite, le renouvellement de tels contrats pendant une longue période n’est pas en soi de nature à créer une relation de travail globale à durée indéterminée entre les parties[19].

Mais attention, si les contrats à durée déterminée successifs dépassent une saison, ils ne se répètent plus à des dates à peu près fixes. Dès lors, l’employeur doit bien veiller à calculer l’ancienneté du salarié en tenant compte de la durée cumulée des CDD saisonniers successifs dans une même entreprise[20]. En outre, si le salarié est employé chaque année, pendant toute la durée d’ouverture ou de fonctionnement de l’entreprise (notamment dans le cas d’une entreprise ne fonctionnant qu’une partie de l’année), son contrat pourra être requalifié en relation globale à durée indéterminée[21].

2.2.Les clauses de reconduction : utiles ou non ?

L’introduction de clauses de reconduction automatique dans les contrats saisonniers est possible, mais pas forcément recommandée si l’objectif poursuivi est la flexibilité. En effet, la loi prévoit désormais que les contrats de travail saisonniers peuvent comporter une clause de reconduction pour la saison suivante[22]. Mais dans ce cas, l’employeur doit proposer la reconduction aux mêmes conditions que pour la saison précédente. Il ne peut les modifier sans l’accord du salarié.

Il faut être vigilant sur ce point car, dans cette hypothèse, s’il n’y a pas reconduction par la suite, l’ensemble des contrats de travail conclus pourront rétrospectivement être considérés comme étant « d’une durée globale indéterminée »[23] : cela signifie que chaque période considérée isolément sera traitée comme un CDD.

L’absence de conclusion d’un nouveau contrat saisonnier sera sanctionnée comme pourrait l’être une rupture d’un CDI, c’est-à-dire par un licenciement, avec toutes ses conséquences pécuniaires pour l’employeur. Par conséquent, si ce dernier ne souhaite pas reconduire le contrat saisonnier, il devra justifier d’un motif réel et sérieux, sinon il pourra être condamné à verser une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2.3.Attention aux branches qui prévoient des obligations de reconduction

Là encore, employeurs et salariés doivent rester vigilants, car certaines dispositions conventionnelles peuvent imposer à l’employeur de proposer au salarié en CDD saisonnier un emploi de même nature pour la prochaine saison[24]. Dans cette hypothèse, la convention ou l’accord collectif de travail devra définir les conditions de nouvellement, notamment la période d’essai et en particulier dans quel délai cette proposition devra être faite au salarié avant le début de la saison, ainsi que le montant minimum de l’indemnité perçue par le salarié s’il n’a pas reçu de proposition d’emploi. À défaut, le salarié pourrait se prévaloir d’une absence de renouvellement de son contrat de travail imputable à l’employeur[25].

En outre, dans les branches où l’emploi saisonnier est particulièrement développé, en l’absence de dispositions conventionnelles au niveau de la branche ou de l’entreprise, le salarié bénéficie d’un droit à la reconduction de son contrat de travail saisonnier dans la même entreprise, dès lors que :

  • Le salarié a effectué au moins deux mêmes saisons dans cette entreprise sur deux années consécutives ;
  • L’employeur dispose d’un emploi saisonnier à pourvoir, compatible avec la qualification du salarié.

Si ces conditions sont réunies, l’employeur doit informer le salarié de son droit à la reconduction de son contrat avant le terme de celui-ci, cette information devant s’effectuer par tout moyen permettant de conférer date certaine à cette information, sauf motif dûment fondé[26].

Les branches concernées sont définies par l’arrêt du 5 mai 2017[27] :

  • Sociétés d’assistance ;
  • Casinos ;
  • Détaillants et détaillants-fabricants de la confiserie, chocolaterie, biscuiterie ;
  • Activités de production des eaux embouteillées et boissons rafraîchissantes sans alcool et de bière ;
  • Espaces des loisirs, d’attractions et culturels ;
  • Hôtellerie de plein air ;
  • Hôtels, cafés, restaurants ;
  • Centres de plongée ;
  • Jardineries et graineteries ;
  • Personnels des ports de plaisance ;
  • Entreprises du négoce et de l’industrie des produits du sol, engrais et produits connexes ;
  • Remontées mécaniques et domaines skiables ;
  • Commerce des articles de sports et d’équipements de loisirs ;
  • Thermalisme ;
  • Tourisme social et familial ;
  • Transports routiers et activités auxiliaires du transport ;
  • Vins, cidres, jus de fruits, sirops, spiritueux et liqueurs de France.

En conclusion, les contrats saisonniers demeurent les outils les plus adaptés pour tous les secteurs où la saisonnalité occupe une place importante dans l’activité de l’entreprise. Son utilisation est plus souple qu’un CDD traditionnel et permet aux chefs d’entreprise d’anticiper au mieux les aléas saisonniers. Pour les salariés, il permet d’acquérir de l’expérience dans des domaines variés, mais conserve néanmoins un caractère, par définition, très précaire. Certains secteurs, qui peinent à recruter, notamment en raison de la pandémie, proposent parfois des – improprement nommés – « CDI saisonnier », c’est-à-dire des contrats de travail intermittent permettant de pourvoir des emplois permanents, qui, par nature, comportent une alternance de périodes travaillées et non travaillées. Ces contrats sont limités à des conditions et des secteurs bien définis, mais ont déjà été expérimentés l’été dernier. Ils permettent aux salariés de pérenniser et sécuriser leur emploi, et aux chefs d’entreprise de prévoir la prochaine saison avec une équipe déjà recrutée et formée. Peut-être l’avenir du contrat saisonnier ?

 


[1] Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-26.284

[2] C. trav., art. L. 1242-2, 3°

[3] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/quelle-place-occupe-l-emploi-saisonnier-en-france

[4] Cass. soc. 12 octobre 1999 n° 97-40.915

[5] Circ. DRT 18 du 30 octobre 1990 n° 1-3-1

[6] Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

[7] Ordonnance n° 2017-647 du 27 avril 2017 relative à la prise en compte de l’ancienneté dans les contrats de travail à caractère saisonnier et à leur reconduction.

[8] Article 42 de la Convention collective 

[9] Article 5 de la Convention collective 

[10] Cass. soc., 4 mai 1993, no 89-43.379

[11] Cass. soc., 21 janv. 1987, no 85-41.941

[12] Cass. soc., 17 janv. 2002, no 00-14.709

[13] Cass. soc., 26 oct. 1999, no 97-42.776

[14] C. trav., art.  L. 1243-10 1° et L. 1251-33 1°

[15] Cass. soc., 7 juill. 2015, n° 15-17.195 

[16] Article 4 de la Convention collective des espaces de loisirs, d’attraction et culturels 

[17] C. rur., art. L. 718-4 et s.

[18] C. trav., art. L. 1244-1 et L.1251-37

[19] Cass. soc. 15 octobre 2002 n° 00-41.759 ; 26 octobre 2011 n° 09-43.205

[20] Cass. soc. 30 septembre 2014 n° 13-21.115 

[21] Cass. soc. 13 décembre 1995 n° 92-42.713 

[22] C. trav., art. L. 1244-2

[23] Cass. soc., 2 février 1994 no 89-44.219

[24] C. trav., art. L. 1244-2

[25] Cass. soc., 14 févr. 2018, n° 16-19.656

[26] C. trav., art. L. 1244-2-2

[27] Arrêté du 5 mai 2017 listant les branches où l’emploi saisonnier est particulièrement développé.