Publié initialement sur Village Justice
Alors que la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique avait posé le principe de la publication des décisions de justice, une étape décisive a été franchie vers plus d’accessibilité de la justice depuis le 30 septembre 2021, avec la mise à disposition des décisions du Conseil d’État et de la Cour de cassation.
Néanmoins, si la diffusion toujours plus large des décisions de justice est une nécessité, elle rend également indispensable une régulation efficace. L’enjeu est de taille pour les juridictions, car il s’agit non seulement de rendre accessible une masse incroyable de décisions de justice dans un cadre légal et réglementaire strictement défini, mais également de les rendre plus transparentes et intelligibles aux justiciables.
1. Le cadre légal et réglementaire de la mise à disposition.
La mise à disposition des décisions de justice en ligne se fera progressivement, selon un calendrier qui s’étend jusqu’en 2025, comme l’indique le ministère de la Justice [1]. En effet, face aux enjeux de l’ouverture en masse des données judiciaires, il était indispensable de mettre en place un cadre légal et réglementaire strict.
1.1. Les enjeux de l’accessibilité du droit.
L’accessibilité des décisions de justice, qui est un impératif dans un Etat de droit, ne passe pas seulement par l’ouverture des données et une diffusion plus large des décisions. Elle doit nécessairement être accompagnée d’une réflexion profonde des institutions sur l’intelligibilité et la clarté du droit, en l’occurrence celui de la jurisprudence. En effet, la vaste diffusion des décisions sous forme numérique bouscule la mission traditionnelle des acteurs de la diffusion de la jurisprudence.
Dans cette perspective, la Cour de cassation avait déjà adopté de nouvelles normes de rédaction [2] de ses décisions, afin de les rendre plus lisibles.
L’objectif de l’Open Data est d’abord de mener à plus de transparence, qui participe de la publicité des décisions de justice. Dès lors, l’ouverture des données devrait aussi conduire à davantage de cohérence et, peut-être, de prévisibilité de la jurisprudence. En effet, le véritable enjeu de cette vaste diffusion est bien la transformation de simples données - souvent obscures pour le justiciable - en véritable connaissance intelligible et exploitable, pas seulement par les experts du droit.
Cela passe aussi par une maîtrise des algorithmes et de l’intelligence artificielle, dont l’objectif est de favoriser la compréhension des contentieux, même s’il est sans doute un peu naïf d’imaginer que ceux-ci vont se tarir simplement par l’utilisation des données statistiques prédictives.
1.2. Précisions sur les modalités de la diffusion au public.
Le décret du 29 juin 2020 concernant la mise à la disposition du public des décisions de justice rendues par les juridictions judiciaires et administratives a défini strictement ces modalités.
S’agissant des acteurs de la diffusion, le Conseil d’État et la Cour de cassation auront la responsabilité de la publicité des décisions, selon un calendrier différent : le Conseil d’État effectuera la diffusion, pour les juridictions administratives, dans les 2 mois à compter de la date de la décision rendue, tandis que la Cour de cassation, pour les juridictions de l’ordre judiciaire, disposera de 6 mois à compter de la mise à disposition au greffe.
Ensuite, toutes les décisions ne seront pas immédiatement rendues publiques. En effet, pour les décisions prises par les juridictions administratives, il y aura une diffusion sans restriction, puisque toutes les décisions seront concernées par la publicité en ligne. S’agissant des décisions judiciaires, le principe est la mise à disposition des décisions rendues publiques et accessibles à tous, sans autorisation préalable. Les autres décisions nécessiteront une autorisation, qui sera accordée uniquement si elles présentent un « intérêt particulier ».
En outre, elle nécessitera la mise en place d’un régime d’« occultation », qui englobe à la fois l’anonymisation et la pseudonymisation des décisions. En effet, l’anonymisation des noms et prénoms des parties, ou des tiers concernés par les décisions est un préalable indispensable à leur diffusion. Mais il sera également possible d’occulter tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe, afin d’éviter, pour certaines décisions sensibles, de porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée des personnes mentionnées.
2. Les outils de l’Open Data des décisions de justice.
Conformément aux souhaits de l’ensemble des acteurs de la Justice, et notamment du Conseil national des barreaux [3], de la Cour de cassation et du Conseil d’État, le gouvernement a décidé de confier la publicité des décisions de justice à de nouvelles plateformes de diffusion. L’exploitation des données par ces plateformes au moyen d’algorithmes conduit néanmoins à s’interroger sur la nécessité de mettre en place une autorité de régulation.
2.1. Les outils de la diffusion.
La mise à disposition publique d’un nombre croissant de décisions de justice est en défi de taille pour ces institutions. De nouveaux outils ont donc été mis en œuvre : Un portail internet placé sous la responsabilité du ministre de la Justice ; Les sites internet du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation.
Le décret du 30 septembre 2021 concernant les traitements automatisés de données à caractère personnel a confirmé la création de deux bases de données, l’une pour le Conseil d’État (intitulée « Décisions de la justice administrative [4] ») et l’autre pour la Cour de Cassation (intitulée « Judilibre [5] »). Ces dernières auront pour finalité la diffusion, éventuellement enrichie, des décisions de justice des ordres administratif et judiciaire, ainsi que la conservation des données en vue de cette diffusion et du traitement des demandes d’occultation et de levée d’occultation.
Un arrêté du 28 avril 2021 fixe le calendrier des mises à disposition. Judilibre permettra dans un premier temps la mise à disposition du public des décisions rendues publiquement par la Cour de cassation.
Elle sera enrichie au fur et à mesure des décisions rendues par d’autres juridictions de l’ordre judiciaire, et, dès le 30 avril 2022, des décisions civiles, sociales et commerciales des cours d’appel.
Quant à la base Décisions de la justice administrative, elle sera alimentée par les décisions de justice du Conseil d’État et viendra compléter la base de jurisprudence ArianeWeb [6], qui met déjà à disposition de nombreuses décisions sélectionnées et publiées en raison de leur intérêt jurisprudentiel. Dès le 31 mars 2022, la base diffusera les décisions des cours administratives d’appel, puis, à partir du 20 juin 2022, celles des tribunaux administratifs.
2.2. Les prochains défis de l’Open Data.
Le mouvement d’Open Data des décisions de justice ne doit pas s’éloigner de son dessein principal, qui est l’amélioration de l’accès au droit. Or, les outils de diffusion restent encore complexes à utiliser pour les non-initiés et devront être améliorés par l’intelligence artificielle, afin d’informer plus clairement le justiciable.
En outre, l’impératif de transparence qui guide la diffusion des décisions doit forcément s’accompagner de la mise en place d’un dispositif de contrôle des algorithmes utilisés pour l’exploitation des bases de données des décisions de justice, comme l’ont déjà soulignés le Conseil d’État, le Conseil national des barreaux et l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation dans une déclaration commune.
En effet, les acteurs privés se sont déjà engouffrés dans ce marché du service numérique de la justice : or, leurs motivations sont nécessairement différentes de celle qui doit prévaloir dans un État de droit, qui est l’accès pour tous à un bien commun, celui de la jurisprudence.
Dès lors, dans la mesure où ces opérateurs privés vont exploiter les données des institutions publiques, il serait légitime de s’interroger sur la mise en place d’un contrôle par une autorité publique, qui aurait un pouvoir de régulation [7] dans l’exploitation de ces données.
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