Le prononcé du divorce aux torts exclusifs de l’épouse pour non-respect du « devoir conjugal » emporte violation du droit au respect de sa vie privée. 

Condamnation de la France pour violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales* (Cour européenne des droits de lHomme, 23 janvier 2025, affaire Mme H.W. c/ France). 

Cet arrêt constitue une illustration de la dynamique à l’oeuvre des droits de la personne, des libertés et droits fondamentaux de la personne humaine.

 

Rappel des faits et de la procédure 

L’épouse (Mme H.W) et l’époux (M. J.C.) se marièrent en 1984 et eurent quatre enfants.

En 2015, l’épouse (Mme H.W) puis l’époux (M. J.C.) ont séparément demandé le divorce.

Par un arrêt du 7 novembre 2019, la cour d’appel de Versailles prononça le divorce aux torts exclusifs de la requérante par les motifs suivants : 

« Considérant que [H.W.] a reconnu elle-même (…) avoir cessé toute relation intime avec son mari depuis 2004 ; 

Considérant que [H.W.] justifie cette situation par son état de santé (…), 

Considérant toutefois que de tels éléments médicaux ne peuvent excuser le refus continu opposé par l’épouse à partir de 2004 à des relations intimes avec son mari, et ce pendant une durée aussi longue, alors même que (…) [H.W.] relate les sollicitations répétées de son époux à ce sujet et les disputes générées par cette situation ; 

Considérant que ces faits, établis par l’aveu de l’épouse, constituent une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune ; 

Considérant que seule la demande en divorce de [J.C.] étant justifiée par des preuves suffisantes, le divorce sera prononcé aux torts exclusifs de l’épouse (…) ». 

La requérante forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt. 

Le 27 juillet 2020, la rapporteure proposa le rejet du pourvoi. Au sujet du manquement au devoir conjugal, elle releva ce qui suit : 

« Il sera rappelé que la Cour de cassation reconnaît aux juges du fond un pouvoir souverain pour constater non seulement l’existence des faits imputables au conjoint, causes de divorce pour faute, mais aussi pour apprécier si ceux-ci constituent une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune, conformément aux dispositions de l’article 242 du code civil (…) ».

Par une décision, du 17 septembre 2020, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante.

Le 5 mars 2021, l’épouse, ayant épuisé les voies de recours nationales, forma alors une requête contre la République française. 

 

Le « devoit conjugal » du droit national

Le « devoit conjugal » n’est pas inscrit dans les textes mais appliqué par des juridictions.

Cette obligation résulte de la jurisprudence nationale selon laquelle, les époux sont tenus à un « devoir conjugal », c’est-à-dire à une obligation de relations sexuelles au sein du couple, dont l’inexécution peut justifier le divorce. 

Cette interprétation judiciaire ancienne a pour fondement le Code civil (1804), notamment l’article 215, alinéa 1er : « Les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie. » (selon cette jurisprudence, communauté de vie = communauté de lit ; le gouvernement français a défendu cette interprétation dans la présente affaire devant la CEDH).

Et dans le prolongement de cette interprétation judiciaire, il a été jugé, dans une affaire, que « l’abstention prolongée de relations intimes imputées à l’épouse » était constitutive d’une faute justifiant de prononcer le divorce à ses torts exclusifs dès lors qu’elle « n’était pas justifiée par des raisons médicales suffisantes » (Cour de cassation, arrêt du 17 décembre 1997). Cette jurisprudence continue d’être appliquée par les juridictions du fond (Tribuanux judiciaires et Cours d’appel).

Selon cette jurispurdence, l’inexécution du « devoir conjugal » peut, par ailleurs, fonder une action indemnitaire à l’encontre de l’épouse ou de l’époux défaillant au regard de l'obligation (versement de dommages et intérêts). 

Dans ce contentieux, les allégations de manquement au « devoir conjugal » sont majoritairement présentées par des hommes. 

 

Affirmation de la liberté sexuelle au sein du couple par la Cour européenne des droits de l'Homme

Pour la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), la notion de « vie privée », au sens de l’article 8 de la Convention, est un concept large qui recouvre notamment la vie sexuelle. « Le droit au respect de la vie privée doit ainsi être compris comme garantissant la liberté sexuelle et le droit de disposer de son corps. » 

« L’article 8 de la Convention a d’abord pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics. » « À cet engagement négatif s’ajoutent des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale, qui peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux ». 

La CEDH constate que la requérante ne se plaint pas du divorce en tant que tel – qu’elle demandait également –, mais des motifs pour lesquels il a été prononcé. 

La CEDH considère que « la réaffirmation du devoir conjugal et le fait davoir prononcé le divorce pour faute au motif que la requérante avait cessé toute relation intime avec son époux constituent des ingérences dans son droit au respect de la vie privée, dans sa liberté sexuelle et dans son droit de disposer de son corps. » 

Pour la CEDH, les conclusions de la cour d’appel sont particulièrement stigmatisantes, dans la mesure où le refus opposé par la requérante a été considéré comme une violation « grave et renouvelée » des obligations du mariage rendant « intolérable » le maintien de la vie commune. 

Ces ingérences dans les droits de la requérante sont le fait d’autorités publiques (juridictions). 

Pour la CEDH, seules des raisons particulièrement graves peuvent justifier des ingérences des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité 

La Cour constate que le « devoir conjugal », tel qu’il est énoncé dans l’ordre juridique interne et qu’il a été réaffirmé dans la présente affaire, « ne prend nullement en considération le consentement aux relations sexuelles, alors même que celui-ci constitue une limite fondamentale à l’exercice de la liberté sexuelle d’autrui. »

Or, comme le rappelle la CEDH, « tout acte sexuel non consenti est constitutif d'une forme de violence sexuelle »

Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime « quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. » (Code pénal, art. 222-22, alinéa 2 ; Cour de cassation, chambre criminelle, 17 juillet 1984).

Des obligations de faire s’imposent aux États du Conseil de l’Europe : les États « doivent instaurer et mettre en œuvre un cadre juridique adapté offrant une protection contre les actes de violence pouvant être commis par des particuliers ». Des obligations relatives à la prévention des violences sexuelles et domestiques ont d’ailleurs été introduites par des disposiitons de la Convention d’Istanbul (https://rm.coe.int/1680084840 ). 

La CEDH constate que l’obligation litigieuse, le « devoir conjugal » ne garantit pas « le libre consentement aux relations sexuelles au sein du couple. » Cette règle de droit a une dimension prescriptive à l’égard des époux, dans la conduite de leur vie sexuelle. 

Et la méconnaissance de cette obligation n’est pas sans conséquence sur le plan juridique. D’une part, le refus de se soumettre au « devoir conjugal » peut être considéré comme une faute justifiant le prononcé du divorce. D’autre part, il peut entraîner des conséquences pécuniaires et fonder une action indemnitaire. 

Pour la CEDH, « lexistence même dune telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle et au droit de disposer de son corps et à lobligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles. » 

En réponse au Gouvernement français, la CEDH répond qu’elle ne saurait admettre, que le consentement au mariage emporte un consentement aux relations sexuelles futures. « Une telle justification serait de nature à ôter au viol conjugal son caractère répréhensible. » 

Pour la CEDH, « le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances. » 

Par conséquent, pour la CEDH, « la réaffirmation du devoir conjugal et le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la requérante ne reposaient pas sur des motifs pertinents et suffisants » et « les juridictions internes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu. »

Ainsi, « Les éléments qui précèdent suffisent à constater la violation de l’article 8 de la Convention. » 

La Cour européenne des droits de lHomme, à l’unanimité, dit quil y a eu violation de larticle 8 de la Convention par la France.

L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme marque un progrès du droit.

Une faute justifiant le divorce ne peut reposer sur une obligation contraire aux droits de la personne.

Cet arrêt va entrainer une modification importante du droit national.

Une modification législative n’est pas indispensable.

Les juges à la lumière de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme vont réinterpréter le droit national (le Code civil en particulier). 

La jurisprudence nationale va sensiblement évoluer, ne devant plus se référer au « devoir conjugal » et reconnaissant pleinement la liberté sexuelle et la primauté du consentement au sein du couple marié.

Au-delà, cette décision pourrait interroger le régime juridique du mariage au regard d'autres questions (quid de l'obligation de fidélité - art. 212 du Code civil ? Quid du droit de mener une vie familiale normale - article 8 de la CESDHLF et jurisprudence de la CEDH ?). 

 

* CESDHLF - « Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale 

1  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »