Un jour, au début de ce siècle, j’exerçais depuis quelques années seulement, un client vient me consulter : « Je veux divorcer, Maître ! Nous n’avons plus de relations sexuelles avec ma femme, elle ne veut plus coucher avec moi, me dit qu’elle n’a pas envie, elle est obligée Maître, non ? C’est une faute de pas coucher avec son mari, elle doit payer, je veux que sa faute soit retenue, je suis malheureux ! »
« Oui, c’est bien une faute, Monsieur ».
Les études n’étaient pas si loin, et je me souvenais des obligations issues du mariage, de l’article 212 et 215 du Code civil, du devoir de secours, du respect, de la fidélité et de l’obligation à une communauté de vie, entre autres.
Le devoir conjugal est pudiquement caché dans la communauté de vie
Le devoir conjugal est une construction jurisprudentielle.
Comme l’a écrit Jean-Michel Bruguière, Maître de Conférence à l’Université d’Avignon, le devoir conjugal est pudiquement caché dans le Code civil derrière la communauté de vie.
Dans les années 1960, 1970, ne pas respecter son devoir conjugal, celui d’avoir des relations sexuelles avec son époux ou son épouse, peut justifier un divorce pour faute, à condition de prouver cette absence de relations sexuelles, par des preuves médicales.
Retour au début des années 2000 : « Monsieur, si vous voulez ce divorce pour faute, car votre épouse ne couche plus avec vous, il faut le prouver, quelles sont les preuves que vous détenez ? »
— Je n’ai rien, rien du tout, on n’est que tous les deux dans la chambre, vous pensez bien, Maître, que l’on n’invite pas les voisins à venir ! »
La difficulté pour l’avocat est toujours de prouver ses prétentions.
Au début du XXIᵉ, il faut l’avouer, lorsque j’ai reçu cet époux, je ne me suis posé que des questions d’ordre technique, le consentement de l’épouse ou l’absence de consentement qu’exige le respect de ce devoir conjugal ne me choquait pas, c’était comme ça, quand on se mariait, on consentait à avoir des relations sexuelles, le consentement est présumé.
Dans les années 1990, les professeurs de droit qui m’ont enseigné le droit de la famille n’ont jamais abordé cette question du consentement, le devoir conjugal ayant pour origine le droit canonique.
Ces vieux professeurs, qui pour certains ont disparu, étaient restés figés au temps du pater familias.
Un archaïsme voué à disparaitre
Pourtant, en 1990, le viol conjugal a été reconnu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.[i]
Cet arrêt est passé sans doute inaperçu auprès du juge civil qui a continué à considérer que l’abstention prolongée de relations intimes imputées à l’épouse étaient de nature à justifier du prononcé d’un divorce pour faute, la Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens, le 17 décembre 1995. [ii]
En 2006, l’infraction de viol entre époux entre dans la loi, l’article 222-22 du Code pénal reconnait le viol entre époux, mais attention, il fait référence à une présomption de consentement jusqu’à preuve du contraire. Il a fallu attendre 2010 pour que cette présomption de consentement disparaisse.
En pratique, au sein de nos cabinets, le divorce pour faute devient très rare, cantonné très souvent, aux violences conjugales.
Le divorce pour faute pour n’avoir pas respecté ce devoir conjugal est comme le monstre du Loch Ness, tout le monde en a entendu parler, mais personne n’a jamais diligenté cette procédure.
Ce devoir conjugal est devenu archaïque, dans une Société qui évolue, dans laquelle la femme s’est émancipée, où des réflexions nombreuses sont menées sur notre Société patriarcale, où le procès de Gisèle Pelicot a permis de s’interroger sur le consentement dans le cadre de l’infraction de viol…
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