Par un jugement du 14 mai 2019, le Tribunal Correctionnel de NANTES vient de rendre une décision très intéressante sur la procédure d’anonymisation des policiers à l’occasion d’une audience de comparution immédiate « Gilet Jaune » où notre Cabinet assurait la défense d’un justiciable prévenu de violences sur personne dépositaire de l’autorité publique lors d’une manifestation en février 2019.

Le recours à l’anonymisation est prévu par l’article 15-4 du Code de Procédure Pénale, issu de l’article 3 de la Loi n°1017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité intérieure, qui dispose :

« I. – Dans l'exercice de ses fonctions, tout agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale peut être autorisé à ne pas être identifié par ses nom et prénom dans les actes de procédure définis aux 1° et 2° du présent I qu'il établit, lorsque la révélation de son identité est susceptible, compte tenu des conditions d'exercice de sa mission ou de la nature des faits qu'il est habituellement amené à constater, de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches.

L'autorisation est délivrée nominativement par un responsable hiérarchique d'un niveau suffisant, défini par décret, statuant par une décision motivée. Copie en est transmise au procureur de la République territorialement compétent.

Cette autorisation permet à l'agent qui en bénéficie d'être identifié par un numéro d'immatriculation administrative, sa qualité et son service ou unité d'affectation dans tous les actes des procédures suivantes :

1° Les procédures portant sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ;

2° Après autorisation délivrée pour l'ensemble d'une procédure dans les conditions prévues au deuxième alinéa du présent I, les procédures portant sur un délit puni de moins de trois ans d'emprisonnement lorsqu'en raison de circonstances particulières dans la commission des faits ou de la personnalité des personnes mises en cause, la révélation de l'identité de l'agent est susceptible de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches.

Le bénéficiaire de l'autorisation est également autorisé à déposer ou à comparaître comme témoin au cours de l'enquête ou devant les juridictions d'instruction ou de jugement et à se constituer partie civile en utilisant ces mêmes éléments d'identification, qui sont seuls mentionnés dans les procès-verbaux, citations, convocations, ordonnances, jugements ou arrêts. Il ne peut être fait état de ses nom et prénom au cours des audiences publiques.

Le présent I n'est pas applicable lorsque, en raison d'un acte commis dans l'exercice de ses fonctions, le bénéficiaire de l'autorisation est entendu en application des articles 61-1 ou 62-2 du présent code ou qu'il fait l'objet de poursuites pénales. »

L’anonymat d’un fonctionnaire de police dans des actes d’une procédure judiciaire est donc possible :

  • Si les conditions d’exercice de sa mission sont susceptibles de rendre son identification dangereuse pour sa vie ou son intégrité physique,
  • Sur autorisation de la hiérarchie,
  • A condition que cette autorisation soit nominative et motivée.

 

De plus, pour les délits punis d’une peine de moins de trois ans d’emprisonnement, cette autorisation doit comporter une motivation spécifique liée aux circonstances particulières de commission des faits ou à la personnalité des mis en cause.

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Saisi de recours parlementaires, le Conseil Constitutionnel a constaté que les conditions strictement encadrées dans lesquelles il était possible de recourir à cette procédure (mission susceptible de rendre l’identification du fonctionnaire de police dangereuse pour sa vie ou son intégrité physique, autorisation par la hiérarchie nominative, écrite et motivée) et la possibilité offerte de solliciter la levée de l’anonymat assurait la conciliation entre :

 

  • d’une part « la prévention des atteintes à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes, et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle,
  • et, d’autre part, l’exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis, au nombre desquels figure le respect des droits de la défense, qui découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789. »

 

Le Conseil a ainsi validé sa conformité à la Constitution.

C’est en se fondant sur cette décision que le Tribunal Correctionnel de NANTES a annulé toute une procédure dans laquelle les fonctionnaires de police avaient travaillé sous couvert d’anonymat.

Saisi de conclusions de nullité par la défense, le Tribunal s’est fait communiquer la décision autorisant l’anonymisation des policiers.

Après avoir constaté que celle-ci était en réalité une simple note de service générale émanant du Directeur Départemental de la Sécurité Publique autorisant l’ensemble des fonctionnaires du service à recourir à l’anonymat, le Tribunal Correctionnel en a exactement déduit que celle-ci ne satisfaisait pas aux exigences du texte, rappelées par le Conseil Constitutionnel, en ce qu’elle n’était pas motivée d’une part et laissait aux policiers toute latitude pour déterminer s’il devait ou non recourir à ce procédé d’autre part.

Le Tribunal a ainsi annulé les procès-verbaux rédigés par les policiers anonymes, au rang desquels figuraient le procès-verbal d’interpellation du mis en cause et les auditions des agents interpellateurs, avant de conclure à la nullité de l’ensemble de la procédure en se fondant sur la théorie des actes subséquents dont ils étaient le support nécessaire.

Ce raisonnement est à féliciter dans la mesure où il rappelle que l’anonymisation des enquêteurs est une mesure d’exception, strictement encadrée, qui ne saurait être généralisée au mépris des droits de la défense.

En effet, admettre le procédé tel qu’utilisé par le Directeur Départemental de la Sécurité Publique de Loire-Atlantique reviendrait à dévoyer l’esprit du texte, renverser les valeurs et transformer l’exception en principe.

Notre système judicaire, pour garantir un procès équitable, repose en effet sur des principes de loyauté dans l’administration de la preuve et de publicité où les acteurs sont comptables de leur office devant les justiciables.

Si la possibilité d’user de tels procédés, réclamés de longue date par les syndicats de forces de l’ordre pour des raisons de sécurité et mis en place depuis un peu plus de deux années, s’entend, il y a lieu de résister face à la volonté de généraliser l’anonymisation systématique des agents pour toutes les infractions, quel que soit le quantum.

Morgan LORET