A l’occasion d’un débat sur la prolongation de la détention provisoire où nous assistions un mis en examen en visioconférence depuis la Maison d'Arrêt, la Chambre de l’Instruction de la Cour d'Appel de RENNES avait l’occasion de mettre en application une jurisprudence récente de la Cour de Cassation.
Et elle n’a pas manqué de le faire, rappelant ainsi que la logique de gestion des flux inspirant toujours plus de recours à la visioconférence, devait s’effacer au profit du strict respect des dispositions de l’article 706-71 du code de procédure pénale garantissant le respect des droits de la défense.
LE DROIT
Rappelons les termes de l’article 706-71 du Code procédure pénale qui dispose s’agissant du recours à la visioconférence en son alinéa 6 :
« Pour l'application des dispositions des alinéas précédents, si la personne est assistée par un avocat ou par un interprète, ceux-ci peuvent se trouver auprès du magistrat, de la juridiction ou de la commission compétents ou auprès de l'intéressé. Dans le premier cas, l'avocat doit pouvoir s'entretenir avec ce dernier, de façon confidentielle, en utilisant le moyen de télécommunication audiovisuelle. Dans le second cas, une copie de l'intégralité du dossier doit être mise à sa disposition dans les locaux de détention sauf si une copie de ce dossier lui a déjà été remise. Si ces dispositions s'appliquent au cours d'une audience, celle-ci doit se tenir dans des conditions qui garantissent le droit de la personne à présenter elle-même ses observations. »
La Chambre criminelle, dans un arrêt très récent, a indiqué :
« Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que les mineurs Z… X… et H… C… ont été mis en examen le 6 juin 2018 pour l’assassinat du mineur Y… Q…, victime d’une agression par arme blanche ; que le 16 mai 2019, H… C… a indiqué qu’elle acceptait que le débat contradictoire, prévu pour l’éventuelle prolongation de sa détention provisoire, ait lieu par voie de visioconférence ; que, par télécopie adressée le 20 mai 2019, son avocat a fait connaître au juge des libertés et de la détention qu’il l’assisterait à la maison d’arrêt ; que dès le début du débat contradictoire, l’avocat de la mineure a fait observer que le dossier de la procédure n’avait pas été mis à sa disposition à la maison d’arrêt et qu’il ne pouvait connaître la teneur des dernières auditions de Z… X… effectuées par le juge d’instruction ; que, retenant que l’avocat s’était abstenu de demander le dossier de la procédure, le juge des libertés et de la détention a prolongé par ordonnance du 29 mai 2019 la détention provisoire de H… C… ; que celle-ci a interjeté appel de cette décision ;
Attendu que, pour répondre à l’exception de nullité du débat contradictoire soulevée par l’avocat de la mineure et pour infirmer l’ordonnance de prolongation de la détention prise par le juge des libertés et de la détention, la chambre de l’instruction relève que, d’une part, l’avocat, en l’absence de dépôt du dossier actualisé à la maison d’arrêt, n’avait pas eu connaissance de l’ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention par le juge d’instruction ni des réquisitions écrites du ministère public ni des actes effectués depuis janvier 2019, date de la dernière délivrance d’une copie de la procédure, et qu’il n’était pas en mesure de répondre aux arguments développés par le procureur de la République sur la personnalité de la mineure et les manipulations qu’elle aurait mis en œuvre, d’autre part, l’avocat n’avait pu, faute de connaissance prise des deux interrogatoires au fond intervenus les 6 février et 6 mars 2019, apprécier la persistance des divergences adoptées par les personnes mises en examen, dans leur version des faits au regard d’éléments résultant des investigations téléphoniques entreprises ; que les juges concluent que ce manquement a eu pour conséquence de porter atteinte aux droits à la défense ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations relevant de son appréciation souveraine, et dès lors que d’une part, l’avocat, qui avait averti en temps utile le juge des libertés et de la détention de son choix de se trouver auprès de la personne mineure détenue à la maison d’arrêt, n’avait pu obtenir, depuis le 25 janvier 2019, une copie actualisée de l’entier dossier de la procédure, d’autre part, l’intégralité du dossier n’avait pas été mis à sa disposition dans les locaux de détention, la chambre de l’instruction a justifié sa décision ;
Et attendu que l’arrêt est régulier tant en la forme qu’au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale ;
REJETTE le pourvoi ; »
(Crim. 16 octobre 2019, n°19-84.773)
Ainsi, dans le cas où l’Avocat a averti en temps utile le Juge des Libertés et de la Détention de ce qu’il se trouverait auprès du mis en examen détenu à la Maison d’Arrêt, qu’il n’a pu obtenir une copie actualisée de l’entier dossier de la procédure, et qu’enfin aucune copie n’a été mise à sa disposition dans les locaux de détention, le débat contradictoire est entaché de nullité.
LA DECISION DE LA CHAMBRE DE L’INSTRUCTION DE RENNES
Faisant une application précise de cette jurisprudence dans notre espèce, la Chambre de l’Instruction a relevé que la copie de la procédure, pourtant demandée 10 jours avant la tenue du débat contradictoire, n’avait pas été transmise au Conseil du mis examen ni mise à disposition dans les locaux de détention.
Elle a également noté que depuis la dernière copie obtenue trois plus tôt, deux interrogatoires avaient été effectués dont l’un où la personne interrogée était revenue sur des déclarations à charge contre le requérant (qu’elle n’identifiait plus devant le magistrat instructeur).
Elle a enfin constaté que ni l’ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention par le juge d’instruction, ni les réquisitions écrites du ministère n’avaient été portées à la connaissance de l’Avocat du détenu.
Fort de ces constats, la Chambre de l’Instruction en a très justement déduit l’existence d’un grief (contrairement aux réquisitions du Parquet Général qui admettait la nullité du débat mais contestait le grief) en ce que l’absence d’accès au dossier (dont la saisine du Juge des Libertés et de la Détention et les réquisitions) et aux derniers éléments intéressant directement le mis en examen portait irrémédiablement atteinte aux droits de la défense.
Elle a ainsi annulé l’ordonnance de prolongation de détention provisoire entrainant la remise en liberté du mis en examen.
(Cour d'Appel RENNES 17 février 2020 – n°2020/271)
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Il est heureux que face à l’expansion dangereuse de recours à la visioconférence qui, faut-il le rappeler, déshumanise singulièrement les rapports entre juges et justiciables, la Cour d'Appel de RENNES ait fait sienne le raisonnement réaffirmé récemment par la Chambre Criminelle et s’inscrivant comme un rempart ultime pour préserver les droits de la défense.
Ces solutions s’inscrivent par ailleurs dans la droite ligne de la décision du Conseil constitutionnel du 20 septembre 2019 qui a déclaré inconstitutionnel l’article 706-71 du code de procédure pénale en ce que, en matière criminelle, il ne permettait pas à une personne détenue de s’opposer au recours à la visioconférence sauf lors du débat sur la prolongation de sa détention provisoire, l’intéressé pouvant passer une année entière sans voir de juge.
Si ce mouvement favorable aux droits de la défense relaye, en la matière, au second plan les contingences administratives et budgétaires, notons qu’il est plutôt isolé dans le flot des réformes actuelles de la procédure pénale toujours plus enclines à renforcer les pouvoirs de l’accusation face à la défense.
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Morgan LORET
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