Alors que l’Exécutif communique sur le nombre de libérations pour faire face à la surpopulation carcérale, les dispositions adoptées par le Gouvernement pour faire face à l'épidémie de covid-19 ne vont pourtant pas clairement dans ce sens.

Dire qu’il s’agit purement et simplement d’un effet d’annonce serait sans doute réducteur : en effet, si 8.000 détenus ont pu recouvrer la liberté depuis le début de la crise, notamment via l’exécution des deux derniers mois de détention en étant assigné à domicile, notons tout de même que la libération sous contrainte posait déjà le principe d’un aménagement de peine pour tous les condamnés ayant exécuté les 2/3 de leur peine.

En tout état de cause, ces nombreuses libérations mettent surtout en lumière l’échec de politiques répressives successives ayant privilégié l’incarcération jusqu’à atteindre des taux de surpopulation carcérale scandaleusement élevés (plus de 115% début 2020).

Alors qu’en haut lieu on semble découvrir ces chiffres (la France vient pourtant d’être condamnée par la CEDH), les dispositions prises sont insuffisantes et dangereuses du point de vue des libertés publiques, singulièrement pour les justiciables détenus en cours d’instruction ou en attente de jugement.

En effet, pour ces personnes présumées innocentes, l’annonce des libérations massives est un véritable leurre.

Loin de permettre des libérations sous contrôle judiciaire – ce qui, faut-il le rappeler, est le principe – les nouvelles dispositions introduisent un allongement significatif et liberticide des délais de détentions provisoires et d’examen des voies de recours (validé le 03 avril par le Conseil d’Etat).

Les mandats de dépôts correctionnels en cours ou renouvelés sont allongés de 2 ou 3 mois selon la peine encourue.

Devant les cours d’appel et les cours d’assises, ils sont augmentés de 6 mois.

Et le tout sans débat, produisant effet de plein droit jusqu’à leur terme à l’issue de l’état d’urgence sanitaire.

Pour lutter contre la surpopulation carcérale, on a vu mieux…

De même, les délais pour statuer sur les demandes de mise en liberté sont doublés de 3 à 6 jours pour les juges de libertés et de la détention.

Pire, pour les détenus en attente de jugement ou pour ceux ayant relevé appel de d’un refus de mise en liberté ou d’une prolongation de leur détention, ils sont allongés d’un mois !

Que dire enfin de l’allongement des délais de jugement et donc de détention provisoire supplémentaire en comparution immédiate, cette procédure à enfermer qui est la seule maintenue dans un temps où l’on prône le confinement et le désengorgement des établissements pénitentiaires…

Commentant la décision du Conseil d’Etat validant l’allongement de tous ces délais, le syndicat de la magistrature a ainsi considéré que « L’Etat de droit [vacillait] un peu plus ».

Permettre aux juges de ne pas statuer avec l’urgence qui s’impose, c’est permettre que les recours ne soient audiencés qu’à l’issue (espérée !) de la crise du covid-19 afin que le risque sanitaire ne puisse plus être un argument développé par les avocats.

La Justice se donne ainsi du temps alors que plus de 60.000 détenus vivent sans masques, ni gants, ou gel hydro-alcoolique, mais également sans parloir ni activité, entassés parfois à 3 dans 9 m².

Et cette situation dramatique atteint son paroxysme lorsque des magistrats humains et courageux ordonnent la remise en liberté de détenus provisoires et se heurtent à des recours systématiques du parquet, notamment par la procédure exceptionnelle du référé-détention, utilisée à des niveaux jamais connus jusqu’alors…

La liberté est le principe, la détention l’exception et la vie dans tout ça…l’impératif absolu, non ?

A bon entendeur…

M. LORET