L’essentiel : La Cour de cassation rappelle au visa de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985 que la victime d’un accident de la circulation qui était dans un état de confusion mentale ou, à tout le moins, d'absence momentanée de discernement au moment de l'accident, n'avait pas commis de faute inexcusable en ouvrant brusquement la porte du véhicule et en basculant sur la chaussée.

Les faits et la procédure. Le 15 février 2012, Mme E P., passagère arrière d'un taxi circulant sur l'autoroute, qui a ouvert la portière arrière du véhicule, est tombée et s'est grièvement blessée.

Par actes d'huissier signifiés le 14 février 2014, les consorts E, I, L, S, H, T, He, Q, et C  P ont fait assigner devant le tribunal de grande instance d'Albertville la Mutuelle des Transports Assurances, assureur du véhicule impliqué poursuivant l'indemnisation de leurs préjudices en leurs qualités de victime directe s'agissant de Mme E P et de victimes indirectes s'agissant des autres membres de la famille.

Le tribunal saisi a en autres chefs de la décision:

- rejeté les demandes d'indemnisation, d'expertise, de provision et de sursis à statuer des consorts P.

Le tribunal a retenu que Mme E P a commis une faute inexcusable, sans que son absence de discernement soit établie.

Appel de cette décision par les consorts P.

En appel les consorts P demandent à la Cour, entre autres prétentions, de :

- dire que le comportement de Mme E P ne revêt pas de caractère inexcusable et, en tout état de cause, ne constitue pas la cause exclusive de l'accident et qu'en conséquence mme E P a droit à l'entière réparation de son préjudice,

- ordonner une expertise médicale la concernant,

- condamner l’assureur à régler par provision une certaine somme…,

En réponse, l’assureur demande à la Cour de confirmer le jugement déféré, car selon elle, la victime directe a commis une faute inexcusable.

C’est en cet état qu’est intervenu l’arrêt objet du pourvoi qui va réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions, condamner l’assureur à verser aux victimes directe et par ricochet une certaine somme et ordonner une expertise médicale.

L’assureur forme alors un pourvoi en cassation en arguant d’un moyen unique pris en cinq branches.

La solution. La Cour de cassation devait répondre à la question suivante : une victime passagère d'un véhicule, qui a ouvert la portière arrière, est tombée et s'est grièvement blessée à raison d’un état de confusion mentale ou, à tout le moins, d'absence momentanée de discernement au moment de l'accident commet-elle une faute inexcusable exclusive de toute indemnisation ?

En réponse la haute juridiction décide que : « c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait de ne pas retenir et qui n'a ni dénaturé la pièce visée par la cinquième branche du moyen, ni inversé la charge de la preuve, a estimé que Mme Eglantine Perron était dans un état de confusion mentale ou, à tout le moins, d'absence momentanée de discernement au moment de l'accident, ce dont elle a exactement déduit que celle-ci n'avait pas commis de faute inexcusable. ».

Il s’agit d’une confirmation de sa jurisprudence car la Cour de cassation n'a que très rarement retenu le caractère inexcusable de la faute commise par les victimes d'accidents de la circulation.

Cependant, la position de l’assureur n’était pas si téméraire, car il était encouragé par un arrêt de la Cour de cassation qui avait jugé que : « Est inexcusable le comportement de celui qui ouvre, durant la marche, la portière du véhicule dans lequel il se trouve et se jette dans le vide. » (Cass. crim., 28-06-1990, n° 88-86.996).

La prétention de l’assureur aurait pu prospérer si l’on se trouvait dans des hypothèses similaires aux décisions ayant retenu la faute inexcusable de la victime.

(Cass. civ. 2, 07-03-1990, n° 88-20.349; Cass. civ. 2, 07-06-1989, n° 88-10.379; CA Paris, 17e, A, 29-09-2008, n° 06/13527; Cass. civ. 2, 05-02-2004, n° 02-18.587, F-P+B; Cass. civ. 2, 07-06-1990, n° 89-14.016; Cass. civ. 2, 04-11-2004, n° 03-16.424, FS-P+B; Cass. civ. 2, 25-10-1995, n° 93-17.084 ; Cass. civ. 2, 08-11-1993, n° 91-18.127).

C’est ainsi qu’il a été jugé courant 2013 que, la victime d'un accident de la circulation commet une faute inexcusable au sens de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, en s'allongeant volontairement sur une voie de circulation fréquentée, en état d'ébriété, de nuit. (Cass. civ. 2, 28-03-2013, n° 12-14.522, F-P+B).

Même si elle doit être approuvée, la décision appelle quelques observations.

D’abord, il s’agit non pas d’un arrêt de cassation, mais d’un arrêt de rejet.

Ensuite, la Cour de cassation s’est retranchée derrière le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ; ce qui empêche de transposer cette solution à des hypothèses similaires. La preuve en est que les décisions du 28-06-1990, n° 88-86.996 et celle l’objet des présents commentaires sont divergents.

Enfin, l’impression de divergence de jurisprudence s’explique peut-être par le fait que les décisions émanent de chambres différentes, la chambre criminelle d’un côté et la deuxième chambre civile de l’autre.

Moussa KONÉ

Avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer

Docteur en droit