Action en nullité et action en résolution de la vente d’une œuvre d’art : mise au point sur les différences entre ces deux recours.
Dans le domaine du commerce des œuvres d’art, les recours offerts aux parties déçues ont connues des destinées très diverses.
Il n’existe pas de réglementation spécifique aux œuvres d’art, et en pratique c’est le droit commun des obligations qui a vocation à s’appliquer.
Vices du consentement, défaut de conformité, garantie des vices cachés et responsabilité contractuelle sont autant de fondements juridiques à l’action du contractant déçu et le choix du moyen invoqué conditionne les chances de succès de l’action.
Prépondérance de l’action en nullité pour erreur sur les qualités essentielles
Parmi la gamme des moyens offerts par le droit des obligations, le recours en annulation pour erreur tient une place prépondérante.
Le contractant peut agir en nullité pour erreur sur les qualités essentielles (article 1132 du code civil) ou pour dol (article 1137 du code civil).
Le dol est toutefois très souvent évincé au profit de l’erreur, principalement par ce qu’il est difficile d’en rapporter la preuve.
Si l’action en nullité de la vente pour erreur sur les qualités essentielles s’est imposée lorsque la question de l’authenticité d’une œuvre d’art est mise en cause, l’action en résolution s’avère adaptée dès lors qu’il y a défaut de conformité de l’objet livré avec l’objet convenu (article 1224 du code civil) ou qu’il existe des vices cachés affectant ledit objet (article1641 du code civil).
On peut penser de prime abord que l’action en résolution pour défaut de conformité ne concerne pas les ventes d’œuvres d’art. Elle est d’ailleurs très peu utilisée alors qu’il n’y a aucune raison de principe de l’écarter. A titre subsidiaire, elle peut permettre à l’acheteur déçu d’obtenir gain de cause.
L’action en nullité et l’action en résolution visent au même résultat : l’anéantissement rétroactif de la vente, l’acheteur devant restituer la chose vendue et le vendeur le prix reçu.
Les parties à l’action.
Acheteur et vendeur peuvent agir en nullité de la vente, mais seul l’acquéreur peut agir en résolution.
L’action en nullité est par conséquent adaptée à certaines particularités de la vente des œuvres d’art, dont la possibilité pour le vendeur de se méprendre sincèrement sur les qualités réelles de l’œuvre dont il se défait.
L’action en nullité n’est possible qu’à l’encontre de son co-contractant direct.
A la différence, l’action résolutoire pour défaut de conformité se transmet avec la chose livrée aux acquéreurs successifs, et la garantie du vendeur initial peut être retenue si les vices cachés constatées par le dernier acquéreur existaient déjà lors de la première vente.
Les éléments nécessaires à l’action.
Dans le cas de l’action en nullité, l’irrégularité est concomitante à la formation du contrat. L’erreur sur les qualités essentielles ou le dol altère la formation du contrat de vente.
L’œuvre ne comporte pas telle ou telle qualité essentielle.
La résolution vient sanctionner l’inexécution des obligations contractuelles. La vente est valide à l’origine, c’est la survenance d’un événement postérieur à la formation du contrat qui vient altérer la vente.
C’est le cas lorsqu’une partie s’aperçoit après la livraison que l’œuvre d’art ne possède pas telle ou telle caractéristique prévue par sa description.
Dans tous les cas, la partie déçue doit établir l’existence d’une différence entre les qualités de l’œuvre telle qu’elles ont été présentées et celles que l’œuvre possède en réalité.
Cette distorsion est soit à l’origine de l’erreur commise par le cocontractant au moment de la vente (action en nullité), soit elle est considérée comme un défaut de conformité entre l’œuvre envisagée et l’œuvre livrée (action en résolution).
Quant aux vices cachés, ils se définissent comme un défaut rendant la chose impropre à sa destination normale.
La réalité de cette distorsion n’est pas admise sur le fondement de simples soupçons.
Il convient ensuite de déterminer si cette distorsion porte sur une qualité essentielle pour justifier la nullité, ou s’il s’agit d’une distorsion suffisamment grave pour justifier la résolution de la vente.
Pour s’adapter aux particularités de la matière artistique, il a été admis de manière constante que l’authenticité d’une œuvre d’art est une qualité présumée essentielle.
L’erreur est démontrée dès lors que l’acquéreur est convaincu que l’œuvre est authentique, alors que cette qualité ne peut être établie avec certitude.
Dans la mesure où l’authenticité des œuvres d’art est très souvent établie ou remise en question par les progrès en matière d’expertises scientifiques postérieurs à la conclusion d’une vente, la réalité de cette différence peut être appréciée à partir d’éléments survenus postérieurement à la vente.
La partie déçue peut donc se servir d’éléments apparus après la vente pour prouver l’existence d’une erreur de sa part au moment de la vente.
En outre, le défaut d’authenticité ne peut être identifiée à un vice caché. La cour de cassation dans arrêt du 14 décembre 2004 a clairement rejeté l’action en résolution de l’acheteur d’un tableau qu’il croyait à tort être de Camille Claudel en rappelant que « l’erreur sur une qualité substantielle, lorsqu’elle ne s’analyse pas en une défectuosité intrinsèque compromettant l’usage normal de la chose ou son bon fonctionnement, n’est pas un vice caché et ne donne pas naissance à la garantie afférente »
Seule une défectuosité intrinsèque compromettant l’usage normal de la chose ou son bon fonctionnement constitue un vice caché. Sont par conséquent davantage concernées les œuvres d’art dotées d’un mécanisme de fonctionnement ou qui ont une vocation utilitaire, tels que les meubles, les voitures de collection, les automates.
S’agissant des autres qualités de l’œuvre, l’acquéreur doit prouver qu’à ses yeux la qualité qui fait défaut revêt un caractère essentiel, qu’elle a été déterminante, autrement dit qu’il n’aurait pas acquis l’œuvre s’il en avait eu connaissance. Il a la charge de la preuve d’un élément subjectif.
Les juges vont par conséquent vérifier in concreto que cette erreur excusable de l’acheteur portait sur une qualité qui appartient au champ contractuel.
Par excusable, il faut entendre l’erreur commise par l’acheteur malgré la diligence raisonnable dont il a pu faire preuve.
Dans le cadre par exemple des ventes publiques aux enchères, compte tenu des informations mentionnées dans les catalogues de vente, l’erreur de l’acheteur est présumée excusable.
A la différence, l’acheteur qui agit en résolution, dans la mesure où il doit prouver que le vendeur a manqué à ses obligations, aura la charge de la preuve d’un élément objectif. L’acheteur doit apporter la preuve que la qualité qui fait défaut est suffisamment grave pour justifier l’anéantissement du contrat.
S’il est difficile pour l’acquéreur de démontrer qu’il n’aurait pas acheté l’œuvre s’il avait eu connaissance que la qualité qui lui importait faisait défaut, il aura tout intérêt à demander la résolution de la vente, dès lors que l’objet n’est pas conforme à sa description, et plus généralement à sa définition contractuelle.
Aussi, la découverte de détériorations ou de défauts, à condition qu’elles n’altèrent pas l’intégrité artistique de l’œuvre (action en annulation de la vente pour erreur sur les qualités essentielles), peut justifier la résolution de la vente.
Les délais pour agir.
L’action en nullité et l’action en résolution de la vente pour non-conformité sont soumises au délai de prescription de 5 ans à partir de la découverte de l’erreur ou du défaut de conformité.
Le délai pour agir en résolution pour vices cachés est de 2 ans à compter de la découverte du vice.
A toutes ces actions s’applique le délai butoir de 20 ans à compter de la naissance du droit, c’est-à-dire en principe à compter de la conclusion de la vente.
Action en résolution, subsidiaire de l’action en nullité.
En pratique, ces actions ne sont pas exclusives. Dans de nombreux cas, il est possible d’agir à la fois sur le fondement de la nullité et sur celui de la résolution de la vente.
Ainsi par exemple, nous rappellerons cette affaire du tableau vendu comme étant le portrait de Sarah Bernhardt exécuté par Ferdinand Humbert alors qu’il s’agit en réalité du portrait d’une inconnue. Le vendeur a livré une œuvre non conforme à sa description (action en résolution). Et, l’identité de la personne représentée peut être légitimement considérée comme une qualité essentielle de l’œuvre (action en nullité).
Nadia GHARS
Avocat à la Cour
Membre de l’Institut Art & Droit
Pas de contribution, soyez le premier