En adhérant aux conditions générales de vente des sociétés de ventes volontaires aux enchères publiques, l’acheteur peut être contraint d’acquitter le montant du droit de suite…
Les modalités d’imputation du droit de suite sont-elles impératives ou les acteurs du marché de l’art peuvent-ils y déroger ?
-La réponse de l’assemblée plénière de la Cour de Cassation dans son arrêt du 9 novembre 2018 : Cass. Ass.plén., 9 novembre 2018, n°17-16.335, Syndicat national des antiquaires c/ CHRISTIE’S
Selon l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle :
« Les auteurs d'oeuvres originales graphiques et plastiques ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen bénéficient d'un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une oeuvre après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art. Par dérogation, ce droit ne s'applique pas lorsque le vendeur a acquis l'oeuvre directement de l'auteur moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10 000 euros.
On entend par oeuvres originales au sens du présent article les oeuvres créées par l'artiste lui-même et les exemplaires exécutés en quantité limitée par l'artiste lui-même ou sous sa responsabilité.
Le droit de suite est à la charge du vendeur. La responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur.
Les professionnels du marché de l'art visés au premier alinéa doivent délivrer à l'auteur ou à un organisme de gestion collective du droit de suite toute information nécessaire à la liquidation des sommes dues au titre du droit de suite pendant une période de trois ans à compter de la vente.
Les auteurs non ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen et leurs ayants droit sont admis au bénéfice de la protection prévue au présent article si la législation de l'Etat dont ils sont ressortissants admet la protection du droit de suite des auteurs des Etats membres et de leurs ayants droit.
Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article et notamment le montant et les modalités de calcul du droit à percevoir, ainsi que le prix de vente au-dessus duquel les ventes sont soumises à ce droit. Il précise également les conditions dans lesquelles les auteurs non ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui ont leur résidence habituelle en France et ont participé à la vie de l'art en France pendant au moins cinq ans peuvent demander à bénéficier de la protection prévue au présent article. »
Le contexte :
Christie’s, société de ventes volontaires aux enchères publiques, a inséré dans ses conditions générales de vente (CGV) une clause mettant le paiement du droit de suite à la charge de l’acheteur.
Le Syndicat national des antiquaires et le Comité professionnel des galeries d’art ont respectivement demandé l’annulation de cette clause.
Ces actions ont d’abord été déclarées irrecevables par les juges de première instance (1) au motif que la nullité éventuellement encourue ne serait qu’une nullité relative que seuls les auteurs ou leurs ayants droit seraient susceptibles d’invoquer.
Elles ont ensuite été diversement accueillies en appel.(2)
Ces contradictions ont amené la Cour de cassation à poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’UE (CJUE) (3) qui a estimé que la directive sur le droit de suite ne s’oppose pas à ce que la personne redevable de ce droit puisse conclure avec l’acheteur un arrangement prévoyant qu’il en supportera définitivement le coût. (4)
La Cour de cassation a tiré les conséquences de la réponse de la CJUE en cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 décembre 2012 en ce qu’il avait déclaré nulle et de nul effet la clause litigieuse figurant dans les CGV, et a renvoyé les parties devant la cour d’appel de Versailles. (5)
Toutefois, la Cour de renvoi a résisté et a refusé cette interprétation, déclarant nulle la clause visant à imputer la charge définitive du droit de suite à l’acheteur.(6)
Selon la Cour d’Appel de Versailles, les dispositions du droit français mettant le paiement du droit de suite à la charge du vendeur revêtaient un caractère impératif fondé sur un ordre public économique de direction excluant tout aménagement conventionnel de la charge du coût du droit de suite.
Selon la cour d’appel, « une directive ne lie les États que quant aux objectifs à atteindre et leur laisse le choix quant aux moyens d’y parvenir ». Elle constate que la directive sur le droit de suite « ne se prononce pas sur l’identité de la personne qui doit supporter définitivement le coût du droit de suite » et en déduit que « les législations nationales sont souveraines pour déterminer à qui incombe la charge finale du coût de la redevance ».
L’arrêt retient en outre que « le législateur français a choisi de faire de l’article L 122-8 du Code de la propriété intellectuelle un outil de régulation du marché français », qu’ « il a clairement mis le droit de suite à la charge du vendeur et la responsabilité de son paiement au professionnel de la vente, alors qu’il n’y était nullement contraint par la directive », et « qu’il a fait ce choix pour assainir les règles de la concurrence sur le marché national », en précisant « que ce choix délibéré résulte clairement de l’examen des travaux parlementaires ».
Il résulte en effet des travaux préparatoires que le législateur a mis le droit de suite à la charge du vendeur sans qu’il soit possible d’y déroger contractuellement. La commission mixte paritaire avait rejeté l’amendement visant à permettre des dérogations conventionnelles.
En somme, voilà donc un épineux contexte qui a amené l’assemblée plénière à se prononcer :
Selon L’assemblée plénière, l’arrêt de la CJUE a dégagé un critère permettant d’identifier les dispositions de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive qui revêtent un caractère impératif, à savoir les dispositions concernant « les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l’auteur » donc le paiement de la redevance à l’auteur.
Par conséquent, les dispositions relatives aux relations entre les parties à la transaction sont supplétives.
La règle qui met le droit de suite à la charge du vendeur peut donc faire l’objet d’un arrangement contractuel.
L’assemblée plénière de la Cour de Cassation juge au surplus que l’article L. 122-8 du Code de propriété intellectuelle ne relève pas de l’Ordre public économique de direction et ne saurait être interprété différemment de celle édictée par la directive. L’article L122-8 alinéa 3 étant de surcroit formulé dans les mêmes termes que la directive.
Ainsi l’assemblée plénière de la cour de cassation clôt le débat : la clause mettant le paiement du droit de suite à la charge de l’acheteur est licite :
« si ce texte prévoit que le droit de suite est à la charge du vendeur, et que la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s’opère entre deux professionnels, au vendeur, il ne fait pas obstacle à ce que la personne redevable du droit de suite, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l’art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l’acheteur, que celle-ci supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu’un tel arrangement contractuel n’affecte pas les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l’auteur ».
La solution invite en conséquence les acheteurs à vérifier ce que prévoient les clauses contractuelles relatives au droit de suite, à vérifier à qui incombe le paiement du droit de suite, et en particulier lorsqu’ils adhèrent à des conditions générales de vente.
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1 TGI Paris, 20 mai 2011, n° 09/10883, SNA c. Christie’s et TGI Paris, 27 sept. 2011, n° 10/00943, CPGA c/ Christie’s, Comm. com. électr. 2012, étude 7, obs. M.-O.. Deblanc et O. Pignatari.
2 CA Paris, 12 déc. 2012, n° 11/11606 – infirmant le TGI de Paris ; CA Paris, 3 juill. 2013, n° 11/20697 – confirmant le TGI de Paris.
3 Cass. 1re civ., 22 janv. 2014, n° 13-12.675
4 CJUE, 26 févr. 2015, aff. C-41/14, Christie’s, JCP G 2014, 544, note P. Boiron.
5 Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 13-12.675, JCP G 2015, 718, note P. Boiron.
6 CA Versailles, 24 mars 2017, n°16/00137.
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