Il semble a priori impossible d’imaginer que, travaillant à domicile ou dans un espace tiers « neutre », un(e) salarié(e) en télétravail puisse subir des « agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel » (article L 1152-1 du Code du travail, définition du harcèlement moral) ; qu’il subisse même une situation d’épuisement professionnel (ou « Burn out »), ce alors qu’il est à l’écart de « pressions directes » de son employeur.

Rien n’est moins vrai, et ce au moins pour les raisons suivantes :

1/ Il est déjà, statistiquement, relaté que les temps de travail à domicile peuvent augmenter le temps de travail des salariés(ées) concerné(ées) :

https://www.lefigaro.fr/decideurs/management/teletravail-les-salaries-a-distance-travaillent-en-moyenne-48-minutes-de-plus-par-jour-20201014

Le temps ne s’écoule sans doute pas pour un(e) salarié(e) travaillant en un lieu tiers, isolé(e), de la même manière que sur un lieu de travail collectif.

Cette situation est bien connue de tous(toutes) les salariés(ées) qui étaient déjà en autonomie (VRP, Cadre, itinérants, etc), avant même que la vague du télétravail n’apprenne à une catégorie d’employés(ées) l’obligation qu’il y a à « s’autocontrôler ».

Sans doute cette réalité doit être appréhendée entre employeurs et salariés(ées) en télétravail plus finement qu’à travers le prisme « négatif » du droit à la déconnexion –qui est déjà une avancée considérable en matière de droit à la protection des salariés(ées),cf. ANI di 26/11/2020 qui consacre aussi ce droit en période de télétravail.

Les modalités peuvent paraître simplistes à rappeler :

  • Instaurer un compteur informatique des heures effectuées, sur lequel le télétravailleur doit systématiquement « pointer » en se connectant et en se déconnectant de son poste de travail,

 

  • Rappeler au télétravailleur qu’en dehors des horaires prévus à son contrat de travail, il ne lui est pas demandé de poursuivre ses tâches professionnelles, sauf demande expresse de réalisation d’heures supplémentaires,

 

  • Et, surtout, maintenir un lien régulier avec le(la) télétravailleur(euse) qui, s’il n’a pas la qualité de cadre autonome, doit pouvoir toujours compter sur son(sa) supérieur(e) hiérarchique pour gérer son emploi du temps habituel, ses tâches à accomplir, etc.

 

Ce sont quelques mesures indispensables à éviter un « burn out professionnel » à domicile.

Plus inquiétants, sont cependant les travers possibles suivants :

            2/ Télétravail et « manipulation à distance » : Naissance d’un nouveau mode de harcèlement.

Loyauté et confiance entre employeurs et salarié(ées) n’étant pas systématiques -O tempora, o mores !-, il se pourrait qu’un double mouvement provoque :

  • Chez les salarié(ées) qui apprécient ce nouveau mode d’organisation du travail, une volonté de démontrer qu’en télétravail, leur productivité est identique ou augmente même – avec l’espoir de conserver tout ou partie du temps de travail en un lieu tiers après la crise sanitaire :

L’on en revient alors au risque susvisé de « burn out » professionnel, d’autant plus probable que, se trouvant éloigné(e) de son poste de travail habituel, le(la) télétravailleur (euse) s’inquiète pour la pérennité de son emploi, au vu de la crise économique à venir.

  • Chez les employeurs qui ne connaissaient pas la pratique du travail de salarié(ées) en un tiers lieu, il peut être difficile de savoir où fixer  les limites à son pouvoir de direction, de gestion et de contrôle de l’activité de ses salariés(ées) en télétravail.

A partir de quand un pouvoir légitime à ce titre, devient illicite ?

On peut trouver une analogie de raisonnement permettant répondre à cette question, dans une espèce connue de la Cour d’Appel de LYON qui, dans un Arrêt du 23/10/2020 n°18/03861, devait notamment se prononcer sur une situation de harcèlement moral alléguée par une consultante itinérante à temps complet (ce qui permet donc de rapprocher son cas de celui de télétravailleurs (euses)).

Dans ce litige, la Cour exposait, pour retenir une situation harcelante, que la salariée concernée :

  • Recevait de nombreux messages électroniques envoyés par sa Direction les dimanches, les soirs et parfois pendant les congés.

 

  • Subissait un management « désordonné » ;

 

  • Tous les messages électroniques étaient systématiquement transmis à l’ensemble des salariés, même s’ils n’étaient pas concernés ;

 

  • Ces derniers faisaient l’objet d’une surveillance et d’un contrôle constant, ne disposant d’aucune autonomie ;

 

  • Les salariés devaient avoir lu tous les méls le week-end pour la réunion du lundi matin à 9 heures ;

 

  • Ils étaient sans cesse dérangés au téléphone,

 

  • Leur engagement était exigé sans limite « pour la satisfaction des clients »,

 

  • Et plus généralement « l’ambiance au sein de l’agence…était tendue et stressante ».

 

Même non intentionnels, de tels agissements sont considérés, logiquement, par la Cour, constitutifs de méthodes de management, ainsi que d’une organisation du travail, harcelante.

Se trouvent finalement, avec cette espèce, posées pour tous employeurs, que les salariés(ées) soient ou non en télétravail, les limites ; les comportements à bannir.

Mais, pourrait-on dire, cela n’est encore qu’une vision « défensive » de la relation entre employeurs et salariés(ées).

Certes.

Reste donc encore à imaginer comment un employeur peut assurer le droit au bonheur des télétravailleurs(euses) à distance : vaste entreprise !

 

Philippe CANO

Janvier 2021