Le déferlement médiatique autour de « l'affaire Griveaux » a pu donner lieu à de nombreuses prises de parole, sans qu'une réelle discussion n'intervienne sur les implications juridiques des actes dénoncés.
► Des faits répréhensibles seulement depuis 2016
Tout est parfois question de timing… Imaginons que ces publications aient été mises en ligne non pas le 14 février 2020, mais le 14 février 2016. Pas de garde à vue, de mise en examen ni même d'avocats sulfureux sur les chaînes d'information en continu, car pas d'infraction pénale.
En effet, si la captation et la diffusion de l'image ou de la parole d'autrui prise sans son consentement sont réprimées (à certaines conditions) de longue date par l'article 226-1 du Code Pénal, la diffusion d'une photographie ou d'une vidéo - le cas échéant à caractère sexuel - d'une personne ayant initialement consenti à cette captation n'était, jusqu'en 2016, susceptible d'aucune sanction pénale.
Afin d'endiguer le phénomène dit du « revenge porn », à savoir la publication sauvage de photos intimes échangées au cours d'une relation sentimentale (aux fins de vengeance… ou d'action militante), le législateur a, par une loi du 7 octobre 2016 enrichi le Code pénal d'un nouvel article 226-2-1, incriminant « le fait, en l'absence d'accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d'un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1 ».
Si cet article a l'apparence d'un texte précis et explicite, ce renvoi final à l'article 226-1 constitue une maladresse particulièrement regrettable.
►Un texte d'incrimination maladroit fragilisant la répression du « revenge porn »
Le but de cette loi était simple : réprimer toute diffusion faite sans l'accord de la personne concernée, peu important que cette dernière ait donné son consentement à la captation (ou qu'elle ait elle-même réalisé cette captation) ou non.
Malheureusement, par souci de simplicité, et afin d'éviter de lister tous les procédés par lequel la captation pouvait être réalisée, le nouvel article 226-2-1 précise que cet enregistrement, dont la diffusion est réprimée, doit être réalisé « à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1 ».
En effet, l'article 226-1 incrimine le fait de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, notamment « en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé ».
2 difficultés surgissent alors :
L'article 226-1 précise que la répression ne peut intervenir qu'en cas « d'absence de consentement de l'auteur ». Ainsi, la nouvelle incrimination, qui n'a d'intérêt que dans le cas où l'auteur consent à la captation, fait directement référence à un article qui conditionne les poursuites à l'absence de consentement de l'auteur… créant une confusion et une contradiction bien problématique.
Par ailleurs, ce même article 226-1, réprime exclusivement la captation illégale de l'image « d'une personne se trouvant dans un lieu privé ». Compte tenu de ce renvoi maladroit à l'article 226-1, le nouveau texte 226-2-1 peut ainsi être interprété comme réprimant la diffusion « clandestine » de l'image d'une personne, mais seulement l'image est captée alors qu'elle se trouve dans un lieu privé.
Pour les tenants de cette interprétation, la diffusion d'une image à caractère sexuel captée dans un lieu public (un parc, une plage) ne peut entraîner aucune répression.
Imaginons ainsi la vidéo litigieuse captée non pas dans une salle de bains, mais sur les bords de la Seine. La captation initiale ayant été effectuée dans un lieu public, non incriminé par l'article auquel la nouvelle loi renvoie, l'activiste à l'origine de la diffusion ne serait potentiellement passible d'aucune sanction pénale, et ce malgré une évidente atteinte à la vie privée et à la dignité de la personne concernée par la captation.
►La nécessité d'une nouvelle réforme législative
Si les juridictions correctionnelles sont malheureusement habituées à pallier les incohérences législatives par le biais d'interprétations et d'analyses téléologiques, les contradictions préalablement dénoncées créent une insécurité juridique qui ne saurait perdurer.
Il est donc souhaitable qu'une réécriture de ce texte intervienne afin, notamment, d'affiner ou de supprimer ce renvoi problématique, pour qu'enfin une réelle cohérence se dégage de cette nouvelle incrimination, dont l'utilité est incontestable au regard des conséquences parfois dramatiques de certaines publications impudiques.
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