De nombreux acteurs de la justice pénale ont d’ores et déjà pu venir regretter certaines des mesures exceptionnelles accompagnant l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire, au premier titre desquelles la prolongation de plein droit des détentions provisoires, sans débat contradictoire, au prix d’une interprétation plus que critiquable de l’article 16 de l’ordonnance du 25 Mars 2020 (voir la tribune de Me CAYRE, « Qui es-tu Nicole Belloubet, pour t’asseoir à ce point sur les libertés publiques ? », Liberation.fr).
Les circonstances exceptionnelles que nous traversons ne doivent aucunement nous détourner de l’impératif de préservation de nos libertés fondamentales, et l’évidence d’une nécessaire adaptation de la justice pénale ne saurait raisonner comme un blanc-seing donné l’exécutif.
La conciliation entre ces mesures d’exception et les principes directeurs de notre droit pénal se pose notamment à la lecture de l’article L. 3136-1 du Code de la Santé Publique.
Cet article, modifié le 23 Mars dernier par la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire, prévoit que « si les violations [des obligations liées au confinement] sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits [de violation des obligations] sont punis de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende ».
- La constitutionnalité du délit en question
Un certain nombre de questions prioritaires de constitutionnalité devraient être déposées dans les prochains jours devant les juridictions correctionnelles (nos confrères Me BORG, RUEF et KEMPF ont ainsi d’ores et déjà annoncé le dépôt d’une QPC devant le Tribunal Correctionnel de Lille).
En effet, il est possible de s’interroger sur la compatibilité entre ce nouveau délit et, notamment, le principe constitutionnel de présomption d’innocence.
L’élément matériel du délit de violation « habituelle » des obligations liées au confinement est constitué par trois verbalisations préalables, dans un délai de 30 jours.
Or, ces mêmes contraventions sont susceptibles de contestation dans un délai de 45 jours (ou 30 jours pour l’amende majorée).
L’article L. 3136-1 du Code de la Santé Publique, qui ne se fonde que sur la « verbalisation », permet ainsi la condamnation pour violation habituelle du confinement, sans même que les délais de contestation des contraventions, condition sine qua non de la constitution du délit, soient expirés.
On pourrait ainsi imaginer qu’un prévenu soit successivement condamné pour délit de violation habituelle du confinement, puis relaxé dans un second temps des contraventions pourtant nécessaires à la constitution du délit.
L’utilisation, sans doute maladroite, de la notion de « verbalisation » vient potentiellement heurter le principe de présomption d’innocence, le citoyen verbalisé étant présumé coupable de la contravention pourtant encore contestable.
- La complexe répression de la réitération de l’infraction
Prenons le cas d’un contrevenant qui viendrait violer les règles de confinement à plus de 3 reprises en moins de 30 jours. Ce dernier pourrait alors se voir poursuivi, et condamné, par une juridiction correctionnelle. Postérieurement à cette condamnation, imaginons que ce même contrevenant, toujours dans le même délai de 30 jours, se voit à nouveau verbaliser.
En l’absence de toute précision textuelle, la logique voudrait que ce justiciable ne puisse être poursuivi pour violation « habituelle » du confinement qu’après 3 nouvelles verbalisations.
En effet, les précédentes verbalisations, qui ont permis de caractériser le délit de violation habituelle du confinement, ont d’ores et déjà été l’objet de poursuites.
Or, le principe « non bis in idem » s’oppose, par principe, à ce qu’un même comportement, une même intention coupable, fasse l’objet d’une double poursuite, et d’une double condamnation.
Pourtant, telle n’est pas l’interprétation donnée par la Chancellerie.
Par une circulaire du 25 Mars2020, la Direction des affaires criminelles et des grâces a pu préciser que « chaque nouvelle violation au-delà de trois verbalisations pendant cette période constitue un nouveau délit ».
La précision donnée par la Chancellerie est, rappelons-le, dénuée de toute valeur règlementaire. Néanmoins, les autorités de poursuites, tout comme les juridictions correctionnelles, seront certainement amenées à suivre cette interprétation.
La lecture de l’article L.3136-1 du Code de la Santé Publique ne semble pourtant pas permettre une telle automaticité dans la répression correctionnelle de chaque verbalisation au-delà de 3 contraventions dans un délai de 30 jours.
Il est tout à fait permis de penser que cette circulaire vient en réalité combler une difficulté qui n’avait nullement été anticipée par le législateur lors de la rédaction de cet arsenal répressif.
Il demeure que cette interprétation vient potentiellement porter atteinte au principe « non bis in idem », les 3 mêmes verbalisations initiales étant ainsi le fondement de plusieurs condamnations successives.
Les juridictions correctionnelles, et certainement, dans plusieurs mois, la Cour de Cassation, viendront certainement apporter un éclairage à ces quelques interrogations.
Illustration : Katdems - https://katdems.com/
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