Le temps de la crise, celui de la fermeture administrative de nombreux locaux, de la chute des chiffres d’affaires et des impayés de loyers, doit à notre sens inviter à repenser le droit des baux commerciaux.
Il se murmure d’ailleurs dans les couloirs de la chancellerie, que le bail commercial (son statut du moins) aurait trouvé ses limites. La vraie grande et prochaine réforme du statut serait-elle la suppression du statut ? Désir d’harmonisation européenne sans doute.
Les bailleurs face à l’impossibilité actuelle de payer de leurs locataires ont initié des procédures (résolution/injonction de payer/référés…). Les moyens d’actions se sont heurtés aux aménagements des délais pendant la crise sanitaire, à l’existence d’une contestation sérieuse en référé [1] et à l’émergence d’un principe efficace de droit napoléonien [2].
A côté de ceci, le mécanisme de l’imprévision qu’on voyait, voire espérait, en qualité de sauveur des commerçants a semblé montrer toutes ses limites sauf, peut-être, à ce que la renégociation du bail qui en résulte ne porte que sur « l’après-crise ».
Le principe de la bonne foi, enfin, que nous avions déjà bien senti il y a plus de deux ans (« Le nouvel équilibre du bail commercial, depuis les dernières réformes (2014-2018) »), prend suffisamment d’essor pour qu’il vienne illustrer et enrichir toutes les plaidoiries futures des confrères avocats. Car le bail commercial est un contrat de louage, certes, mais aussi un contrat commercial aux intérêts économiques capitaux.
1. Contrat de longue, voire très longue durée.
Tout comme Monsieur Jacquin, mettons en avant les
« rapports particuliers que bailleur et preneurs entretiennent dans le cadre d’un bail commercial, contrat à exécution successive de longue durée, voire de très longue durée, dans lequel une relation de plusieurs dizaines d’années n’est pas rare » [3].
Il s’agit, ici, de partir d’un simple constat : bien qu’ayant des intérêts différents, ces deux parties ont tout intérêt à s’entendre pour qu’apparaisse un semblant d’équilibre rendant pérenne leur collaboration. La « bonne santé » du bailleur dépend essentiellement de celle du preneur, et inversement. Sans la prise de risque réalisée initialement par le bailleur, c’est-à-dire son investissement immobilier et la mise en location de son bien, le locataire n’aurait pas eu l’opportunité d’implanter son commerce.
2. Des règles ne permettant pas totalement d’aménager souplement le contrat.
Pour s’entendre, et remettre de la « proportionnalité » [4] dans leur relation commerciale, les parties doivent changer leur pratique, ce qui peut, principalement, se ressentir dans la mise en place de procédés mettant en jeu l’indexation du loyer (l’un des seuls éléments permettant, en faisant évoluer le loyer tout au long de la relation, d’apporter la souplesse nécessaire aux deux parties).
Il s’agirait, ainsi, d’abandonner les pratiques abusives du bailleur, par exemple celle du bail « investisseur » ou « triple net », justifiées uniquement sur son besoin de rentabilité immobilière. Cela n’apparait pas évident à l’époque où, dans les centres commerciaux notamment, « certains bailleurs se préparent à demander un loyer calculé en fonction du chiffre d’affaire réalisé sur internet, un peu comme l’administration fiscale qui cherche toujours à augmenter l’assiette de la taxation » [5] …
Le problème, comme l’expliquait déjà Monsieur Barbier, avant la réforme de 2014, c’est que les règles du statut ne permettent pas toujours aux parties d’aménager, plus souplement, leur contrat de bail commercial. Par exemple, le statut « précise que la valeur locative dépend du commerce autorisé par le bail. Ce critère est trop éloigné de la réalité économique » [6]. Il est par exemple profondément aberrant qu’un restaurant « classique » et un restaurant tel que « Mcdonald’s », qui n’ont absolument pas les mêmes marges, les mêmes rendements, le même chiffre d’affaires, se voit attribuer le même loyer, et appliquer les mêmes règles relatives à son évolution.
3. Investissement, spéculation, chiffre d’affaires, profil rassurant du locataire.
Dès lors, comment faire coïncider besoin de retour sur investissement du bailleur, et unique souci du locataire de développement de son activité, de sa clientèle, de son commerce ? Certains ont à nouveau vu dans la notion de marché, le moyen de répondre à ces questions. En effet, « contrairement à cette définition légale (de la valeur locative), le marché, qui obéit à sa propre loi, prend en compte des éléments exclus par le législateur » [7] tels que le « retour sur investissement », la « spéculation », le « chiffre d’affaires » du locataire et la « qualité du locataire ».
Pourtant, à l’heure actuelle, pour ce qui est de la prise en compte du chiffre d’affaires du locataire, les experts désignés par les parties, pour fixer le loyer commercial, appellent régulièrement à l’application d’un taux d’effort. Ainsi,
« raisonnablement, un loyer ne devrait pas excéder 10% du chiffre d’affaires hors taxes du locataire » [8].
Ensuite, bien qu’idéologiquement favorable au locataire, la loi n’a jamais réfléchi à la pertinence d’une modération de loyer, par la prise en compte du profil du locataire.
C’est pourtant celui-ci, qui va particulièrement encourager le bailleur à accepter de débuter une telle collaboration. A ce titre, il pourrait être pertinent de considérer que le fait d’apporter une garantie de solvabilité, au bailleur, puisse profiter au preneur.
Le statut ne cherche, toujours pas, à inciter les parties à s’entendre sur le principe d’une collaboration.
Une meilleure information des parties suffirait, pourtant, à faire comprendre, à ces derniers, que la technique des clauses-recettes, par exemple, peut servir à autre chose qu’assurer, uniquement au profit du bailleur, un loyer minimal [9], mais peut également constituer une méthode efficace « d’adaptation financière à l’évolution de l’économie ». Monsieur Blatter considère, ainsi, que ces clauses, admises en jurisprudence, « permettent au bailleur d’être associé en partie aux résultats des affaires du locataire » [10].
4. Recherche de la « symbiose des intérêts ».
Il semble, en tous les cas, que
« le temps n’est plus celui de l’opposition brutale entre deux propriétés. Il est celui de la recherche d’un meilleur équilibre entre les intérêts en jeu, d’une véritable symbiose de ces intérêts qu’il ne faut pas placer sous le signe de la compétition et de la divergence, mais bien plutôt sous celui de l’association et de la convergence » [11].
Nous nous rangeons derrière l’opinion, ainsi développée, de Monsieur Déruppé.
C’est par cette philosophie que doit se construire la relation du bailleur et du preneur, afin de développer une réelle relation commerciale.
[1] TJ Paris, réf., 21 janv. 2021, n°20/55750.
[2] TJ Paris JEX 20-1-2021 no 20/80923 : l’article 1722 du Code civil.
[3] Jacquin A., « Pourquoi pas l’arbitrage comme solution aux litiges en matière de bail commercial », GP n° 40, 2017, p. 53.
[4] Desgorges R., « La proportionnalité dans le droit des contrats », JCP E, n° 47, Novembre 2003, 1630.
[5] Collectif, « Bilan économique et juridique : à qui profite la loi Pinel ? », Alliance du commerce, Procos, Paris 2016.
[6] Barbier J.-D., « Le loyer entre plafond et marché », Ajdi 2000, p.495.
[7] Barbier J.-D., « La nouvelle valeur locative », GP n°71,12/03/2011, p.9.
[8] Barbier J.-D., « Les inquiétantes conséquences d’une définition contractuelle du loyer en fonction des seuls prix du marché », GP n°182, 30/06/2012, p.9.
[9] Dans le sens d’un loyer le plus élevé possible.
[10] Blatter J.-P., « Bail commercial et clauses-recettes : une adaptation financière à l’évolution de l’économie ? », Ajdi 2011, 615.
[11] Déruppé J., « Pratique et avenir du statut face à la dynamique européenne », Ajdi 1993, p.161.
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