Le délit d’organisation de sa propre insolvabilité est prévu et réprimé par l’article 314-7 du code pénal. En effet, aux termes de l’aliéna 1er de cet article « Le fait, par un débiteur, même avant la décision judiciaire constatant sa dette, d’organiser ou d’aggraver son insolvabilité soit en augmentant le passif ou en diminuant l’actif de son patrimoine, soit en diminuant ou en dissimulant tout ou partie de ses revenus, soit en dissimulant certains de ses biens, en vue de se soustraire à l’exécution d’une condamnation de nature patrimoniale prononcée par une juridiction répressive ou, en matière délictuelle, quasi délictuelle ou d’aliments, prononcée par une juridiction civile, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ». Le second alinéa étend le délit aux personnes morales.
Il en résulte que le fait pour un débiteur d’organiser volontairement son insolvabilité ou d’aggraver volontairement celle-ci est constitutif du délit et peut entrainer la condamnation de son auteur.
Toutefois, la lecture de ce texte d’incrimination exclut du champ de la répression pénale l’organisation ou l’aggravation de sa propre insolvabilité pour échapper à des condamnations résultant d’obligations de nature contractuelle ou trouvant leur origine dans un contrat. En effet, ce délit vient sanctionner limitativement l’organisation ou l’aggravation d’une telle insolvabilité uniquement « en vue de se soustraire à l’exécution d’une condamnation de nature patrimoniale prononcée par une juridiction répressive ou, en matière délictuelle, quasi-délictuelle ou d’aliments, prononcée par une juridiction civile ». L’article 314-9 du même code vient préciser que les obligations « de verser des prestations, subsides ou contributions aux charges du mariage sont assimilées aux condamnations au paiement d’aliments ». Le délit s’applique donc également pour ces obligations.
Autrement dit, ce délit ne trouve à s’appliquer que lorsque l’auteur veut échapper au paiement d’une obligation résultant d’une condamnation de nature patrimoniale prononcée par une juridiction pénale ou par une juridiction civile mais uniquement en matière délictuelle, quasi-délictuelle ou en matière d’aliments.
En revanche, et en visant limitativement ces dettes et obligations, le législateur exclut de facto les dettes et obligations d’autres natures. En effet, « La loi pénale est d’interprétation stricte »[1]. Cela signifie que le débiteur d’une condamnation pécuniaire trouvant son origine dans une obligation de nature contractuelle pourrait organiser frauduleusement son insolvabilité afin d’échapper au paiement de sa dette sans pouvoir être sanctionné pénalement.
C’est d’ailleurs la solution récemment retenue par la Cour de Cassation dans un arrêt en date 5 avril 2023[2]. Au cas d’espèce, une salariée avait fait l’objet d’un licenciement qu’elle avait contesté. La juridiction prud’homale lui avait donné raison et lui avait accordé une indemnisation. Par la suite, l’entreprise débitrice de l’indemnisation était placée en liquidation judiciaire. La salariée déposait alors une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction pour organisation frauduleuse de sa propre insolvabilité par son ancien employeur. Sa plainte était déclarée irrecevable au motif que le délit n'est caractérisé que lorsque le prévenu a commis les faits dans le but de se soustraire à l’exécution d’une condamnation patrimoniale prononcée dans le cadre d’une instance civile sur le fondement de la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle. La Cour d’Appel confirmait cette décision. La Cour de Cassation rejette alors le pourvoi formé par la salariée au motif principal que « la créance dont dispose le salarié qui s’est vu allouer par le juge du contrat de travail une somme en réparation de son préjudice lié à l’existence d’un harcèlement moral est de nature contractuelle, ce qui l’exclut des condamnations visées par l’article 314-7 du code pénal ». En statuant de la sorte, et dès lors qu’elle constate la nature contractuelle de l’obligation, la Cour de Cassation applique strictement le texte de loi.
Il en découle que tout débiteur, personne morale ou physique, condamné par une juridiction civile au paiement d’une dette de nature contractuelle ou trouvant son origine dans une obligation de nature contractuelle ne peut être poursuivi ou condamné en cas d’organisation ou d’aggravation de sa propre insolvabilité. Cela entraine une véritable rupture d’égalité de traitement entre les victimes. En effet, la personne victime de l’organisation frauduleuse de sa propre insolvabilité par un débiteur condamné par une juridiction civile pourrait engager des poursuites pénales ou non en fonction du fait que l’obligation soit délictuelle ou contractuelle. Autrement dit, la victime de tels faits ne peut pas engager des poursuites à l’égard de la personne ayant organisé son insolvabilité pour échapper au paiement de la condamnation prononcée par la juridiction civile en matière contractuelle ou de responsabilité contractuelle. Cela fait échapper de très nombreux domaines à la répression de ce comportement visant à se soustraire de ses obligations et d’échapper à l’exécution de la condamnation civile (droit du travail, droit de la consommation, vices-cachés, droit de la construction,…). Dans tous ces domaines, les personnes condamnées, qu’elles soient morales ou physiques, peuvent échapper à leur responsabilité en organisant elles-mêmes leur propre insolvabilité sans que la victime ne puisse avoir un quelconque recours. Cela peut par exemple consister pour une entreprise de se placer volontairement en liquidation judiciaire avant ou après la condamnation. Il paraît inconcevable qu’un débiteur puisse échapper à ses responsabilités de la sorte et entraine une véritable différence de traitement entre les victimes en fonction que la dette est de nature délictuelle ou contractuelle.
Cette différence de traitement semble cependant pouvoir s’expliquer par le fait qu’initialement ce délit a été créé afin de protéger uniquement les victimes d’infractions pénales et ayant obtenu des condamnations pécuniaires par une juridiction pénale et de lutter contre le non-paiement des pensions alimentaires[3]. Il semblerait toutefois opportun d’étendre ce délit à l’ensemble des condamnations pécuniaires afin d’éviter cette différence de traitement injuste et d’éviter à certains débiteurs peu scrupuleux de pouvoir échapper à leurs responsabilités en toute impunité.
[1] Article 111-4 du code pénal
[2] Chambre criminelle, 5 avril 2023, pourvoi n°21-80.478
[3] Loi du 8 juillet 1983 n°83-608
Pas de contribution, soyez le premier