Par son arrêt n° 421292 du 26 octobre 2018, le Conseil d’Etat a jugé qu’une transaction entre l’administration pénitentiaire et un détenu ne faisait pas obstacle à l’action de celui-ci tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser ses salaires.

Le détenu en cause avait été affecté aux ateliers et au service général du centre pénitentiaire de Maubeuge de janvier 2015 à janvier 2017.

Par courrier du 20 octobre 2017 au directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France, il a demandé l’indemnisation du préjudice résultant d’une erreur de calcul de sa rémunération sur cette période.

Par courrier du 22 janvier 2018, l'administration pénitentiaire a reconnu lui devoir 3502,68 euros.

Suivant un protocole transactionnel signé le 5 février 2018, le détenu a accepté la somme proposée par celle-ci et déclaré, en contrepartie, renoncer à tout recours contre le ministère de la justice ayant le même objet.

La somme en cause ne lui ayant pas été versée, le requérant a saisi, dès le 14 février 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement de l'article R 541-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 3576,78 euros à titre de provision.

Par ordonnance n° 1801346 du 22 mai 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à l’intéressé une provision de 3502,68 euros au titre des arriérés de salaire et rejeté le surplus de sa demande.

Le Garde des sceaux s’est pourvu cassation.

Ainsi que l’indiquait Madame Aurélie Bretonneau, rapporteur public, dont les conclusions sont accessibles sur le site Ariane Web, l’affaire ne présentait guère d’intérêt sur un plan pratique ou financier.

En effet, le ministère disait avoir mis en paiement les 3502,68 euros et s’était engagé par écrit à ne pas en solliciter le remboursement au cas où le Conseil d’Etat infirmerait l’ordonnance attaquée.

Mais l’Etat souhaitait faire censurer le motif par lequel le juge des référés du tribunal administratif de Lille avait écarté la fin de non-recevoir qu’il avait opposé au requérant.

Selon le rapporteur public, le magistrat avait affirmé qu’un « protocole transactionnel n’a pas pour effet de faire obstacle au droit du requérant à un recours effectif devant une juridiction, ce dernier droit ayant une valeur constitutionnelle ».

Ce motif a été censuré en raison de l’erreur de droit qu’il comportait, au regard des articles :

  • 2044 du code civil suivant lequel « la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître » ;
  • 2052 du même code, aux termes duquel « la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet » ;
  • L. 423-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui dispose qu’ainsi « que le prévoit l'article 2044 du code civil et sous réserve qu'elle porte sur un objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées, il peut être recouru à une transaction pour terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître avec l'administration. La transaction est formalisée par un contrat écrit » ;
  • 6 du code civil en vertu duquel « on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public (…) ».

Pour le Conseil d’Etat, « il résulte de ces dispositions que l'administration peut, afin de prévenir ou d'éteindre un litige, légalement conclure avec un particulier un protocole transactionnel, sous réserve de la licéité de l'objet de ce dernier, de l'existence de concessions réciproques et équilibrées entre les parties et du respect de l'ordre public ».

Est donc irrecevable la demande se rapportant au litige terminé par une transaction et tendant aux mêmes fins que les prétentions d’une partie réglées par ce contrat (CE 11 décembre 1987, n° 76937 ; 28 novembre 1990, n° 30875).

Pour qu’une telle « exception de chose transigée » (René Chapus) soit accueillie, encore faut-il qu’une transaction ait pu être conclue entre les parties dans le litige en cause.

Dans l’affaire du 26 octobre 2018, le Conseil d’Etat a jugé que tel n’était pas le cas.

Après avoir censuré l’erreur de droit commise par le juge des référés du Tribunal administratif de Lille, il a néanmoins rejeté le pourvoi du Garde des sceaux, le dispositif de l’ordonnance attaquée se trouvant justifié par la substitution d’office d’un moyen d’ordre public.

Il semble d’ailleurs que le défendeur en cassation n’avait pas produit d’écrits devant le juge de cassation.

Le Conseil d’Etat s’est référé aux dispositions régissant la rémunération du travail des détenus.

L’article 717-3 du code de procédure pénale prévoit ainsi que « la rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance défini à l'article L. 3231-2 du code du travail. Ce taux peut varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées ».

Fixés à l’article D. 432-1 du code de procédure pénale, ces taux varient suivant l’activité exercée.

Pour le Conseil d’Etat, « ces dispositions réglant entièrement les conditions de la rémunération du travail des personnes détenues et excluant pour leur application toute recherche de concessions réciproques et équilibrées entre les parties, le protocole transactionnel conclu le 5 février 2018, qui règle un litige n'ayant pas pour objet de réparer un préjudice mais exclusivement d'assurer le versement des salaires légalement dus (au requérant), ne saurait faire obstacle à la saisine du juge des référés, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ».

L’article 717-3 du code de procédure pénale prévoit d’ailleurs aussi que les « relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail ».

Cette disposition a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013.

La situation du détenu est ainsi déterminée par un régime légal et réglementaire de droit public (cf. TC 14 octobre 2013, n° C3918) et non par un contrat.

Tout en écartant la fin de non-recevoir tirée par l’Administration du protocole transactionnel du 5 février 2018, l’arrêt du 26 octobre 2018 n’affirme cependant pas le caractère d’ordre public des articles 717-3 et D. 432-1 du code de procédure pénale.

Il était précédemment arrivé au Conseil d’Etat de reconnaître un tel caractère à des dispositions réglementaires, empêchant qu’il y soit dérogé par transaction, telles que les articles 45 à 49 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale, en matière d’indemnité de licenciement pouvant être due à de tels agents (CE 1er octobre 2001, n° 221037).

En ne se fondant pas sur un tel constat, l’arrêt du 26 octobre 2018 comporte une certaine ambiguïté.

La majeure du raisonnement ne comporte en effet pas l’indication explicite qu’une transaction est exclue dans le cas d’un litige « susceptible d’être entièrement réglé par la seule application de la loi à l’exclusion de toute appréciation de fait », distingué par le rapporteur public, du « respect de règles d’ordre public ».

Madame Aurélie Bretonneau soulignait, à cet égard, que les parties s’accordaient sur les fait du litige (nombre d’heures travaillées, emploi d’affectation), si bien que la rémunération du détenu, « exclusive de toute logique contractuelle » devait être, en droit, « intégralement déterminée par l’application mathématique de grilles tarifaires ».

Cette conviction lui paraissait dispenser d’avoir à se « prononcer sur l’autre réserve, celle selon laquelle seraient en jeu ici des dispositions d’ordre public ».

Suivant sa proposition, le Conseil d’Etat n’en a pas moins réglé l’affaire et rejeté le pourvoi du Garde des sceaux par un moyen d’ordre public relevé d’office, sans raisonner d’ailleurs, quant à la validité éventuelle de la transaction en cause et à sa mise à l’écart, au regard des principes posés par son arrêt d’assemblée du 28 décembre 2009, n° 304802, Commune de Béziers.

En tout état de cause, la transaction entre un détenu et l’administration pénitentiaire n’est pas exclue de manière absolue.

Elle devrait ainsi être possible pour l’indemnisation de préjudices liés aux conditions de détention, ou, quant à la rémunération du travail pénitentiaire, dans un litige sur le nombre d’heures travaillées ou le classement de l’emploi à prendre en considération, sans toutefois qu’elle déroge ou se substitue aux dispositions légales et réglementaires fixant le taux minimal horaire du salaire applicable à ces éléments de faits.


Rémy SCHMITT

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