Par un arrêt du 26 juin 2024 (n° 23-14230), la Première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur certains aspects du contrôle de l’isolement d’un patient en soins psychiatriques sans consentement par le juge des libertés et de la détention.

La chronologie de l’affaire était la suivante :

  • 20 décembre 2022 : admission de la patiente en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète par décision du représentant de l'Etat dans le département ;
  • 30 décembre 2022 : ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la poursuite de la mesure de ces soins ;
  • 8 janvier 2023 : transfert de la patiente dans l’unité hospitalière spécialement aménagée d’un centre hospitalier ;
  • 11 janvier 2023 à 17 h 58 : placement de la patiente à l’isolement ;
  • 14 janvier 2023 à 19 h 07 : autorisation par le juge des libertés et de la détention du maintien de la mesure d’isolement ;
  • 18 janvier 2023 à 15 h 39 : saisine du juge des libertés et de la détention par le directeur d’établissement aux fins de poursuite de l’isolement.

La patiente s’était pourvue en cassation contre l’ordonnance du 20 janvier 2023 par laquelle le premier président de la cour d’appel de Rennes avait maintenu son isolement.

Elle lui reprochait d’abord une violation des articles R. 3211-12 et R. 3211-33-1 du code de la santé publique et du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux.

A cet égard, il est prévu que « lorsque le directeur de l'établissement saisit le juge des libertés et de la détention, en application du II de l'article L. 3222-5-1, la requête est présentée dans les conditions prévues à l'article R. 3211-10 » et que « sont jointes à la requête les pièces mentionnées à l'article R. 3211-12 ainsi que les précédentes décisions d'isolement ou de contention prises à l'égard du patient et tout autre élément de nature à éclairer le juge » (paragraphe I de l’article R. 3211-33-1).

Parmi les pièces ainsi mentionnées à l’article R. 3211-12, figure notamment, « 5° Le cas échéant, (…) b) L'avis d'un psychiatre ne participant pas à la prise en charge de la personne qui fait l'objet de soins, indiquant les motifs médicaux qui feraient obstacle à son audition ».

Le code de la santé publique prévoit, par ailleurs, que le directeur de l'établissement :

  • informe le patient de la saisine du juge des libertés et de la détention (paragraphe II de l’article R. 3211-33-1) ;
  • lui indique également qu'il peut demander à être entendu par le juge des libertés et de la détention et qu'il sera représenté par un avocat si le juge décide de ne pas procéder à son audition au vu de l'avis médical prévu au deuxième alinéa du III de l'article L. 3211-12-2 (idem).

Cette dernière disposition législative prévoit ainsi que « le patient ou, le cas échéant, le demandeur peut demander à être entendu par le juge des libertés et de la détention, auquel cas cette audition est de droit et toute demande peut être présentée oralement. Néanmoins, si, au vu d'un avis médical motivé, des motifs médicaux font obstacle, dans son intérêt, à l'audition du patient, celui-ci est représenté par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office », sans que, jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel ne semble avoir eu à se prononcer sur sa conformité à la Constitution ou aux droits ou libertés qu’elle garantit, en ce que, par exemple, n’y serait pas prévue l’exigence d’un avis médical motivé émanant d’un psychiatre ne participant pas à la prise en charge du patient placé à l’isolement et déclaré inapte à être entendu par le juge (cf. CC 31 mars 2023, n° 2023-1040/1041 QPC, sur la constitutionnalité d’autres règles relatives aux modalités de contrôle de l’isolement).

Le directeur de l'établissement doit, en outre, communiquer au greffe par tout moyen permettant de donner date certaine à leur réception, dans un délai de dix heures à compter de l'enregistrement de sa requête, notamment, « si le patient demande à être entendu par le juge des libertés et de la détention, un avis d'un médecin relatif à l'existence éventuelle de motifs médicaux faisant obstacle, dans son intérêt, à son audition et à la compatibilité de l'utilisation de moyens de télécommunication avec son état mental » (3° du paragraphe II de l’article R. 3211-33-1).

L’arrêt du 26 juin 2024 a jugé que « ces dispositions spécifiques en matière d'isolement et de contention dérogeaient aux règles générales applicables à la procédure en matière de soins psychiatriques sans consentement prévues à l'article R. 3211-12, 5°, b) du code de la santé publique et n'imposaient pas que l'avis médical soit rédigé par un psychiatre ne participant pas à la prise en charge ».

Il ne semble pas que la patiente ait discuté de l'éventuelle non-conformité au principe d'égalité de cette dérogation et de la différence de réglementation ainsi prévue respectivement par les articles R. 3211-12 et R. 3211-33-1 du code de la santé publique, au regard notamment de la contrainte supplémentaire qu'implique l'isolement et de la nécessité de sauvegarder les droits et intérêts du patient dans une situation de vulnérabilité.

Par ailleurs, la patiente reprochait aussi à l’ordonnance du 20 janvier 2023 d’avoir méconnu l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, en ce que le juge des libertés et de la détention n’aurait pas été :

  • d’une part, informé sans délai par le directeur d’établissement du renouvellement de l’isolement au-delà de quarante-huit heures d’isolement, soit le 16 janvier 2023 à 17 h 58, à compter de l’expiration d’une première période d’isolement le 14 janvier 2023 à 17 h 58 ;
  • d’autre part, saisi par le directeur d’établissement avant l’expiration d’un délai de soixante-douze heures à compter de de l’expiration de cette première période d’isolement le 14 janvier 2023 à 17 h 58, soit avant le 17 janvier 2023 à 17 h 58.

A cet égard, l’article L. 3222-5-1 prévoit une durée maximale d’isolement de quarante-huit heures (paragraphe I) et la possibilité, à titre exceptionnel, pour le médecin de renouveler l’isolement au-delà de cette durée (paragraphe II).

Dans ce dernier cas, « le directeur de l'établissement informe sans délai le juge des libertés et de la détention du renouvellement de ces mesures » (premier alinéa du paragraphe II de l’article L. 3222-5-1) et il « saisit le juge des libertés et de la détention avant l'expiration de la soixante-douzième heure d'isolement » (deuxième alinéa du paragraphe II de l’article L. 3222-5-1).

Le juge statue alors « dans un délai de vingt-quatre heures à compter du terme des durées prévues au deuxième alinéa du présent II » (troisième alinéa du paragraphe II de l’article L. 3222-5-1).

Au vu de ces dispositions, la Première chambre civile a jugé « qu'après une première autorisation judiciaire de maintien d'une mesure d'isolement et si celle-ci est renouvelée par le médecin », « le juge des libertés et de la détention doit être informé sans délai de ce renouvellement au-delà de quarante-huit heures après l'expiration du délai de vingt-quatre heures dont il disposait pour statuer sur la première requête » et que « le directeur de l'établissement doit saisir le juge des libertés et de la détention avant la soixante-douzième heure d'isolement après l'expiration du délai de vingt-quatre heures dont le juge disposait pour statuer sur la première requête ».

C’était donc à bon droit que le premier président de la cour d’appel de Rennes s’était placé à la date du 17 janvier 2023 à 17 h 58, s’agissant d’un isolement débuté le 11 janvier 2023 à 17 h 58 et maintenu par ordonnance du juge des libertés et de la détention du 14 janvier 2023 à 19 h 07, pour apprécier si le directeur d’établissement l’avait bien informé « sans délai » de ce nouveau renouvellement (la question pouvant se poser, par ailleurs, du délai mis à délivrer cette information, un délai de prévenance de deux heures ayant été ici jugé convenable par le juge des libertés et de la détention et le premier président de la cour d’appel et, semble-t-il, non critiqué par la patiente – cf. Crim. 20 mars 2007, n° 06-89050, sur le caractère excessif d’un délai d’une heure et quinze minutes à aviser le procureur de la République d’une garde à vue), et qu’il avait retenu que la nouvelle saisine du juge des libertés et de la détention, à l'issue de la première autorisation de maintien en isolement, devait avoir lieu avant le 18 janvier 2023 à 17h58 et était intervenue ce jour à 15 h 39.