La responsabilité pour faute de l’Administration dans un accident de service

Par un arrêt du 28 juin 2019 (n° 422920), le Conseil d’Etat a jugé, à propos d’un accident de service causé à un agent public par la faute personnelle d’un autre agent, que la responsabilité pour faute de l’Administration ne saurait être engagée qu’en cas de faute de celle-ci dans l'organisation ou le fonctionnement du service et non du simple fait que ladite faute personnelle aurait eu un lien avec le service.

Les circonstances de l’espèce se présentaient de la manière suivante.

Le 7 avril 2012, un militaire de 26 ans avait été blessé à la tête par des éclats d’une balle involontairement tirée, lors du nettoyage de son arme, par un autre soldat, semble-t-il en méconnaissance des règles de sécurité applicables, alors qu’ils se trouvaient sur une base opérationnelle avancée de l’armée française à Zouar, au nord du Tchad.

Une pension militaire d’invalidité fut accordée à la victime au taux de 40 % à compter du 18 juillet 2012.

Le responsable de l’accident fut condamné pénalement le 1er avril 2014 pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, usage illicite de stupéfiants et violation de consignes par militaire, par le tribunal correctionnel de Paris, qui se déclara incompétent pour connaître de l’action civile.

La victime conclut une transaction avec l’Etat pour l’indemnisation des souffrances subies du fait de son accident et prévoyant à ce titre le paiement d’une somme de 3000 €, semble-t-il uniquement au titre de la responsabilité sans faute encourue par cette personne publique.

Elle adressa néanmoins au ministre de la défense une réclamation indemnitaire dont le rejet la conduisit à saisir le Tribunal administratif de Paris, qui, par jugement du 11 février 2016, lui accorda une indemnité de 24500 € en réparation de divers préjudices.

Le jugement fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 5 juin 2018 (n° 16PA01283), qui considéra que la transaction conclue entre les parties ne faisait pas obstacle à l’exercice d’une action sur le fondement de la responsabilité pour faute de l’Etat.

Elle jugea que la « faute, commise (par le militaire nettoyant son arme sans respecter les consignes de sécurité applicables) sur les lieux et durant le temps du service, avec une arme de service, présente malgré sa gravité un lien avec ce service qui suffit à engager la responsabilité de l'Etat ».

Le ministre de la défense se pourvut en cassation.

Faisant droit au pourvoi, le Conseil d’Etat a censuré cet arrêt du fait de l’erreur de droit ayant consisté à engager la responsabilité de l’Administration du simple fait que la faute personnelle à l’origine de l’accident de service avait un lien avec le service.

A cet égard, Monsieur Gilles Pellissier, rapporteur public, dont les conclusions sont accessibles sur ArianeWeb, avait indiqué que la « substitution du simple constat d’un lien avec le service à l’exigence d’une faute de service pour engager la responsabilité de la personne publique du fait du dommage causé à des tiers par ses agents ne (pouvait) être transposée pour l’application des règles régissant l’indemnisation des accidents de service subis par les agents, qui ne poursuivent pas les mêmes finalités ».

Les tiers peuvent ainsi engager la responsabilité de l’Administration en raison d’une faute personnelle non dénuée de tout lien avec le service (CE Ass. 26 octobre 1973, n° 81977), destinée à leur offrir un débiteur solvable, sans qu’il y ait lieu de distinguer les types de préjudices dont la réparation est sollicitée.

En revanche, l’indemnisation de l’agent victime d’un accident de service est assurée par la combinaison de mécanismes différents suivant les préjudices à indemniser.

La pension militaire d'invalidité répare ainsi de manière forfaitaire l'atteinte à l’intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de garantir ses agents contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission.

Elle est censée couvrir les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle (CE 16 décembre 2013, n° 353798).

Par ailleurs, l’agent a droit à une indemnité complémentaire pour ses préjudices patrimoniaux d’une autre nature et préjudices personnels sur le fondement de la responsabilité sans faute pour risque de la personne publique qui l’emploie (idem).

Cela concerne, selon le rapporteur public dans l’affaire du 28 juin 2019, les souffrances physiques ou morales, les troubles dans les conditions d’existence, les préjudices esthétiques ou d’agrément.

Enfin, l’agent dispose aussi d’une « action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage (…) contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait » (idem), conformément aux principes posés par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée du 4 juillet 2003 (n° 211106).

Par suite et sous réserve de la possibilité d’invoquer la responsabilité pour dommages de travaux publics ou un régime de responsabilité sans faute, en l’absence d’une faute de service, ayant pu se cumuler à une faute personnelle dans la production du dommage, « l’agent victime ne pourra se prévaloir de la dérogation au forfait de pension » (conclusions précitées).

En conséquence de la cassation prononcée le 28 juin 2019, l’affaire a été renvoyée à la Cour administrative d’appel de Paris, à laquelle il reviendra donc de rechercher, au vu des circonstances de l’affaire et des éléments fournis par les parties, si l'accident de service en cause était aussi imputable à une faute commise par l’Administration dans l'organisation ou le fonctionnement du service.