Par un arrêt du 3 juin 2020, n° 421615, le Conseil d’Etat a jugé que le refus de la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, de communiquer à deux associations la liste des entreprises d’Ile-de-France sanctionnées pour non-respect de l'égalité salariale entre hommes et femmes, et des sanctions leur ayant été infligées au titre de l’article L. 2242-9 du code du travail alors en vigueur, n’avait pas méconnu l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, garantissant la liberté d’expression.

Se référant à l’arrêt de la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme du 8 novembre 2016, Magyar Helsinki Bizottsag c/ Hongrie, n° 18030/11, il a énoncé que, si ces «  stipulations n'accordent pas un droit d'accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n'obligent l'Etat à les communiquer, il peut en résulter un droit d'accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l'accès à ces informations est déterminant pour l'exercice du droit à la liberté d'expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d'informations. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l'article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée ».

Le Conseil d’Etat a admis que les associations requérantes entendaient contribuer au débat public, par leur prise de position en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Mais le refus de leur communiquer les informations demandées lui a paru se justifier au vu de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration (« Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : (...) 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice »).

Eu égard à l’objet de la demande des requérantes, il n’aurait pas été possible, comme le permet l’article  L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration, d’y faire droit en occultant les mentions dont la divulgation aurait porté préjudice aux entreprises concernées.

La restriction d’accès aux informations en cause paraissait donc « prévue par la loi » (sur cette notion, voir CEDH 29 janvier 2019, Cangi c. Turquie, n° 24973/15, §§ 42-44).

Par ailleurs, compte tenu de leur nature (sanctions infligées à des personnes morales de droit privé à raison de la méconnaissance d'obligations légales relatives à l'engagement de négociations ou de plans d'actions) et du but poursuivi par les requérantes (révélation au public des entreprises ainsi sanctionnées), le Conseil d’Etat a jugé que l’ingérence dans leur liberté de recevoir de telles informations était proportionnée et nécessaire à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, le Gouvernement ayant par ailleurs fourni des éléments d’évaluation des politiques publiques en matière d'égalité salariale, par la publication de statistiques sur les sanctions administratives en cause.

A l’inverse, dans d’autres circonstances, la mise en balance des intérêts en présence peut conduire à faire prévaloir le droit d’accès à certains documents (CEDH 26 mars 2020, Centre pour la démocratie et l’Etat de droit c. Ukraine, n° 10090/16 : informations relatives à la formation et au parcours professionnel de candidats à des élections parlementaires ; CE, Assemblée, 12 juin 2020, n° 422327 et 431026 : archives du Président François Mitterrand relatives à la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1995).