Par un arrêt de Section du 12 juin 2020 (n° 418142), le Conseil d’Etat a admis la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir du Groupe d'information et de soutien des immigrés contre la note d'actualité n° 17/2017 de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité de la direction centrale de la police aux frontières du 1er décembre 2017 relative aux « fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d'état civil ».

Ce document visait à diffuser une information relative à l'existence d'une « fraude documentaire généralisée en Guinée (Conakry) sur les actes d'état civil et les jugements supplétifs » et préconisait,  en conséquence, en particulier aux agents devant se prononcer sur la validité d'actes d'état civil étrangers, de formuler un avis défavorable pour toute analyse d'un acte de naissance guinéen.

Pour le Conseil d’Etat, la préconisation ainsi formulée n’impliquait pas de regarder la note du 1er décembre 2017 « comme interdisant (aux agents devant se prononcer sur la validité des actes d'état civil en cause) comme aux autres autorités administratives compétentes de procéder, comme elles y sont tenues, à l'examen au cas par cas des demandes émanant de ressortissants guinéens et d'y faire droit, le cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien ».

Son absence de caractère impératif n’a cependant pas fait obstacle à la recevabilité du recours pour excès de pouvoir à son encontre, « eu égard aux effets notables qu'elle est susceptible d'emporter sur la situation des ressortissants guinéens dans leurs relations avec l'administration française ».

La note du 1er décembre 2017 relève ainsi des « documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif (qui) peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. »

Peuvent ainsi être contestées directement les « lignes directrices », auxquelles l’autorité destinataire tenue de s’y référer peut néanmoins déroger lors de l'examen individuel de chaque demande si des considérations d'intérêt général ou les circonstances propres à chaque situation particulière le justifient (CE 19 septembre 2014, n° 364385 ; anciennement dénommées « directives » par CE, Section, 11 décembre 1970, Crédit foncier de France, n° 78880, p. 750)

La possibilité d’un tel recours pour excès de pouvoir était auparavant exclue, du fait de l’absence de caractère règlementaire de leurs dispositions (CE 18 octobre 1991, n° 75831), puis en raison de leur caractère non impératif (CE 3 mai 2004, n° 254961).

En l’espèce, le Conseil d’Etat n’a pas qualifié la note du 1er décembre 2017 de « lignes directrices », son rapporteur public (Monsieur Guillaume Odinet) ayant d’ailleurs considéré, à ce sujet, qu’il aurait fallu, pour cela, « forcer un peu le trait ».

Il y a seulement vu un « document de portée générale » pouvant être déféré au juge de l’excès de pouvoir, compte tenu de ses « effets notables », notion empruntée à sa jurisprudence Fairvesta et Numericable du 21 mars 2016 (CE, Assemblée, n° 368082 et 390023), suivant laquelle :

  • « les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l'exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu'ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance » ;
  • « ces actes peuvent également faire l'objet d'un tel recours, introduit par un requérant justifiant d'un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu'ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent ».

L’arrêt du 12 juin 2020 s’est également inspiré de cette jurisprudence pour impartir au juge saisi d’un document de portée générale émanant d’une autorité publique, « d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane ».

Il rappelle, par ailleurs, que  « le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure » (cf. CE, Section, 18 décembre 2002, n° 233618 : sur les circulaires).

En l’espèce, le recours contre la note du 1er décembre 2017 a été rejeté.

Le Conseil d’Etat a écarté le grief d’incompétence, dès lors qu'elle émanait de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité, dont elle entrait dans les attributions.

Le rapporteur public relevait qu’elle portait le timbre ce service, et qu’un « moyen d’incompétence de l’auteur d’une telle page d’information et de recommandations (n’aurait été) opérant, à nos yeux, que dans la mesure – très limitée – où il (contesterait), radicalement, la compétence du service ou de l’institution dont elle (émanerait) pour la produire ».

A également été repoussé le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration exigeant la signature de son auteur, ainsi que la mention de ses nom, prénom et qualité, sur toute décision prise par une administration, au motif que la note du 1er décembre 2017 « ne (revêtait) pas le caractère d'une décision ».

Enfin, sur la légalité interne, le Conseil d’Etat a jugé que, malgré les préconisations de la note du 1er décembre 2017, les autorités administratives compétentes restaient tenues de procéder à un examen au cas par cas des demandes émanant de ressortissants guinéens et d'y faire droit, le cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien.

Ainsi interprété, ce document général ne lui a pas paru méconnaître l’article 47 du code civil (« Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »).

La recevabilité du recours et l’intensité du contrôle d’excès de pouvoir sur les documents administratifs généraux envisagés par l’arrêt du 12 juin 2020 seront fonction des « effets notables » reconnus par le juge au vu des justifications du requérant.

Le requérant devra apprécier s’il a intérêt à contester directement un tel acte, dont le contrôle pourrait être limité ou assez abstrait, plutôt que d’en attendre l’éventuelle mise en œuvre des préconisations générales par une décision individuelle permettant des contestations plus concrètes.