Par un arrêt du 29 juin 2020 (n° 423996), le Conseil d’Etat a jugé qu’un agent public est en droit de demander la protection fonctionnelle contre les actes de son supérieur hiérarchique qui, par leur gravité ou leur nature, sont insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, et que le supérieur hiérarchique ainsi mis en cause ne saurait, sans manquer au principe d’impartialité, statuer sur une telle demande.

L’affaire découlait d’une très vive altercation ayant opposé, le 24 juin 2012, dans le couloir d'entrée d’un bloc opératoire, un praticien hospitalier, avant une intervention chirurgicale à laquelle cet anesthésiste-réanimateur devait participer, au directeur de son centre hospitalier, et faisant suite à un conflit personnel entre eux depuis l’arrivée de ce médecin au sein de l’établissement en septembre 2011.

Le praticien demanda le bénéfice de la protection fonctionnelle, en soutenant avoir fait l'objet, dans le cadre de son service, d'une agression verbale et physique de la part du directeur du centre hospitalier, qui la lui refusa par une décision du 27 juillet 2012, annulée par un jugement du Tribunal administratif de Saint-Martin du 9 janvier 2014, devenu définitif.

Une nouvelle décision de refus du 26 avril 2014, fut annulée par un jugement de ce même Tribunal du 3 décembre 2015, dont le centre hospitalier fit appel.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux annula le jugement et rejeta le recours du praticien par un arrêt du 10 juillet 2018 (n° 16BX00550 et 17BX00350), qui, sur son pourvoi, vient d’être cassé par le Conseil d’Etat.

Pour infirmer le jugement du 3 décembre 2015, elle avait énoncé que l’agent public ne pouvait se prévaloir du principe d’impartialité contre « une décision prise à son encontre par une autorité administrative dans l'exercice de son pouvoir hiérarchique ».

Le Conseil d’Etat a censuré l’erreur de droit ainsi commise.

Pour lui, « le principe d'impartialité, rappelé par l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, s'impose à toute autorité administrative dans toute l'étendue de son action, y compris dans l'exercice du pouvoir hiérarchique ».

Ayant donc annulé l’arrêt du 10 juillet 2018, le Conseil d’Etat a réglé l’affaire au fond et rejeté l’appel du centre hospitalier contre le jugement du 3 décembre 2015.

Il a rappelé que la collectivité publique doit :

  • couvrir son agent mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable ;
  • lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle ;
  • le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose.

Il s’agit là d’un principe général du droit (CE, Section, 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon, n° 42763, p. 243 ; 1er février 2019, n° 421694).

La protection fonctionnelle ne peut cependant s’appliquer aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, que « lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique » (arrêt du 29 juin 2020).

De plus, sa mise en œuvre doit se faire dans le respect du principe d’impartialité.

Le supérieur hiérarchique impliqué dans les actes ayant donné lieu à la demande de protection fonctionnelle ne peut donc légalement y statuer, « quand bien même il serait en principe l'autorité compétente pour prendre une telle décision ».

Dans le cas des établissements de santé, le Conseil d’Etat a jugé qu’il « résulte de l'ensemble des dispositions qui gouvernent (leurs relations avec) les agences régionales de santé (…), notamment de celles de l'article L. 6143-7-1 du code de la santé publique qui donnent compétence au directeur général de l'agence régionale de santé pour mettre en œuvre la protection fonctionnelle au bénéfice des personnels de direction des établissements de santé de son ressort, que lorsque le directeur, à qui il appartient en principe de se prononcer sur les demande de protection fonctionnelle émanant des agents de son établissement, se trouve, pour le motif indiqué au point précédent, en situation de ne pouvoir se prononcer sur une demande sans méconnaître les exigences qui découlent du principe d'impartialité, il lui appartient de transmettre la demande au directeur général de l'agence régionale de santé dont relève son établissement, pour que ce dernier y statue. »

Il a ensuite relevé que le litige entre le praticien hospitalier et le directeur du centre hospitalier, ayant porté plainte, le premier, pour agression physique, et le second, pour dénonciation calomnieuse, ne pouvait, en l’espèce, se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Sans plus détailler les « circonstances de l’espèce », il en a déduit que « le directeur du centre hospitalier ne pouvait légalement, sans manquer à l'impartialité, se prononcer lui-même sur la demande de protection fonctionnelle dont l'établissement public de santé était saisi par le praticien. »

Ces considérations paraissent se limiter à confirmer le motif d’annulation retenu par le jugement du Tribunal administratif de Saint-Martin du 3 décembre 2015, sans que l’on doive y voir une appréciation du bien-fondé du refus de la protection fonctionnelle, sur lequel il devrait appartenir au directeur général de l’agence régionale de santé territorialement compétente de statuer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir que le praticien hospitalier viendrait à saisir d’un recours contre une nouvelle décision de refus.

Sur ce point, la Cour administrative d’appel de Bordeaux, dont l’arrêt du 10 juillet 2018 vient d’être censuré, avait jugé qu’au vu des pièces du dossier et notamment des éléments recueillis au cours de l'information judiciaire, le requérant n’était « pas fondé à soutenir qu'il aurait fait l'objet d'attaques justifiant que la protection fonctionnelle lui fût accordée ».

D’une manière générale, le demandeur de la protection fonctionnelle a intérêt à exposer, avec précision et en s’appuyant sur des éléments de preuve, en quoi son supérieur aurait agi contre lui en dehors de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, pour inciter l’autorité compétente à la lui accorder et ne pas encourir le reproche d’une  dénonciation calomnieuse.

En cas de recours pour excès de pouvoir contre un refus de protection fonctionnelle, il pourra hiérarchiser ses moyens de sorte que le juge administratif doive, si le requérant conclut en ce sens, se prononcer en premier lieu sur le fond de ce refus, ou le saisir également de conclusions d’injonction qui lui imposeraient d’examiner prioritairement les moyens permettant d’y faire droit (CE, Section, 21 décembre 2018, n° 409678).