L’article 2 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires a affecté au Sénat le palais du Luxembourg, l'hôtel du Petit Luxembourg, leurs jardins et leurs dépendances historiques.

Le Sénat a confié l’exploitation de six courts de tennis dans le Jardin du Luxembourg à la Ville de Paris, par un arrêté du 15 décembre 2010 et pour cinq ans, puis à la Ligue de Paris de Tennis, par une convention d’autorisation d'occupation temporaire du domaine public conclue le 12 janvier 2016, d’une durée de quinze ans.

Par un jugement n° 1603843 du 16 mai 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours en annulation de cette convention formé par la société Paris Tennis sur le fondement de la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne (CE, Assemblée, 4 avril 2014, n° 358994).

La Cour administrative d’appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement, par un arrêt n° 17PA02728 du 10 juillet 2019.

Par un arrêt du 10 juillet 2020 (n° 434582), à publier au Recueil, le Conseil d’Etat vient d’annuler l’arrêt d’appel et de renvoyer l’affaire à la Cour administrative d’appel de Paris.

Il a estimé que la juridiction administrative était bien compétente pour statuer sur le recours contre un tel acte d’une assemblée parlementaire.

Existait, à cet égard, le précédent de l’arrêt d’Assemblée du 5 mars 1999, n° 163328, Président de l’Assemblée nationale, qui avait admis, « sans qu’y fassent obstacle les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 », la compétence de la juridiction administrative pour « connaître des contestations relatives aux décisions par lesquelles les services (des assemblées parlementaires) procèdent au nom de l'Etat à (la) passation (des marchés conclus par elles en vue de la réalisation de travaux publics ayant le caractère de contrats administratifs) », « de même (que) des décisions relatives aux marchés conclus en vue de l'exploitation des installations des assemblées lorsque ces marchés ont le caractère de contrats administratifs ».

L’article 8 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 avait été modifié par l’article 60 de la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, pour disposer désormais :

  • « L'Etat est responsable des dommages de toute nature causés par les services des assemblées parlementaires. » 
  • « Les actions en responsabilité sont portées devant les juridictions compétentes pour en connaître. » 
  • « La juridiction administrative est appelée à connaître de tous litiges d'ordre individuel concernant (les agents titulaires des services des assemblées parlementaires), et se prononce au regard des principes généraux du droit et des garanties fondamentales reconnues à l'ensemble des fonctionnaires civils et militaires de l'Etat visées à l'article 34 de la Constitution. »
  • « La juridiction administrative est également compétente pour se prononcer sur les litiges individuels en matière de marchés publics. »
  • « Dans les instances ci-dessus visées, qui sont les seules susceptibles d'être engagées contre une assemblée parlementaire, l'Etat est représenté par le président de l'assemblée intéressée, qui peut déléguer cette compétence aux questeurs. »

Malgré cette rédaction apparemment restrictive et sous l’influence du droit de l’Union européenne, le Conseil d’Etat a néanmoins jugé :

« Si l'article 60 de la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, qui a complété l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, n'a explicitement mentionné, au titre des litiges en matière de contrats sur lesquels la juridiction administrative est compétente pour se prononcer, que les litiges relatifs aux marchés publics, il résulte des travaux parlementaires que l'intention du législateur a été de rendre compatibles les dispositions de l'ordonnance avec les exigences de publicité et de mise en concurrence découlant notamment du droit de l'Union européenne. Elles ne sauraient donc être interprétées comme excluant que le juge administratif puisse connaître de recours en contestation de la validité de contrats susceptibles d'être soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence. »

Ayant ainsi admis la compétence de la juridiction administrative, il a ensuite écarté l’erreur de qualification juridique de la convention du 12 janvier 2016 reprochée à la Cour administrative d’appel de Paris, dès lors que le Sénat ne s'y était réservé aucun droit de contrôle sur la gestion même de l'activité sportive de la Ligue de Paris de Tennis, dans des conditions qui l’auraient fait regarder comme une concession de service public, et qu’il s’agissait bien d’une convention d’occupation du domaine public.

Mais il a censuré l’erreur de droit de la Cour administrative d’appel qui, « saisie d'un moyen tiré de ce que la réglementation édictée par le Sénat en matière de contrats d'occupation du domaine public méconnaissait le droit de l'Union européenne à la fois au regard du principe de non-discrimination issu de l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et des dispositions de la directive du 12 décembre 2006, (s’était) bornée à relever que la convention contestée ne présentait pas d'intérêt transfrontalier certain, pour en déduire que le requérant ne pouvait utilement se prévaloir du principe de non-discrimination (et avait jugé) que l'absence d'intérêt transfrontalier certain avait pu légalement dispenser le Sénat d'organiser une procédure de mise en concurrence avant la signature du contrat, alors qu'une telle circonstance était sans incidence sur l'application de la directive du 12 décembre 2006 ».

En effet, le paragraphe 1 de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, qui devait être transposée en droit français au plus tard le 28 décembre 2009, a prévu :

« Lorsque le nombre d'autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, les États membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d'impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l'ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture. »

Le Conseil d’Etat a relevé que ces dispositions étaient « susceptibles de s'appliquer aux autorisations d'occupation du domaine public », ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l’avait jugé dans son arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl et autres, C-458/14 et C-67/15.

De plus, le chapitre III de la directive du 12 décembre 2006, dont fait partie son article 12, et consacré à la « liberté d’établissement des prestataires », a été jugé applicable « également à une situation dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre » (CJUE, Grande chambre, 30 janvier 2018, College van Burgemeester en Wethouders van de gemeente Amersfoort contre X BV et Visser Vastgoed Beleggingen BV contre Raad van de gemeente Appingedam, C-360/15 et C-31/16).

Comme le relevait le rapporteur public (Madame Mireille Le Corre), il appartiendra à la Cour administrative d’appel de Paris, à laquelle l’affaire a été renvoyée, de rechercher « si les critères posés par l’article 12 (de la directive du 12 décembre 2006) conduisaient, en l’espèce, à une exigence de publicité préalable » à la conclusion de la convention du 12 janvier 2016.

Elle soulignait le caractère « essentiellement historique » de cette question particulière, dès lors que, pour les titres délivrés à compter du 1er juillet 2017, l'article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, énonce désormais que, sauf dispositions législatives contraires, la délivrance par l'autorité compétente d'un titre permettant à son titulaire d'occuper ou d'utiliser le domaine public en vue d'une exploitation économique doit être précédée d'une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester.