Par un arrêt du 16 juillet 2020 (n° 437113), à paraître aux Tables, le Conseil d’Etat a jugé que l’article L. 521-3 du code de justice administrative permet au juge administratif des référés d’enjoindre aux  gens du voyage qui s’y sont installés sans titre avec leurs véhicules et résidences mobiles, d’évacuer des parcelles du domaine public d’un département, sans qu’y fasse obstacle le paragraphe II de l’article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage prévoyant une procédure spéciale de mise en demeure de quitter les lieux.

Selon un constat d’huissier du 14 novembre 2019, des personnes s’étaient installées avec vingt-trois caravanes et trois véhicules particuliers ou utilitaires sur les terrains cadastrés section AH n° 322 et 323, entre les 8-10 rue Lafayette et le quai de l'Apport Paris, propriété du département de l’Essonne, à Corbeil-Essonnes.

Le département de l’Essonne avait saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles d'une demande tendant à ce qu’il ordonne, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative et sous astreinte, l'expulsion de ces personnes et de toutes autres personnes qui occuperaient ces terrains et n'auraient pu être identifiées, ainsi que l'évacuation des biens des intéressés.

Sa demande avait été rejetée par une ordonnance n° 1908894 du juge des référés du Tribunal administratif de Versailles du 10 décembre 2019.

Par arrêt du 16 juillet 2020, le Conseil d’Etat a fait droit au pourvoi en cassation du département de l’Essonne.

Réglant l’affaire au fond, il a enjoint aux défendeurs et à tout autre occupant de libérer sans délai les terrains en cause, ainsi que l'évacuation de leurs biens, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de sa décision.

L’article L. 521-3 du code de justice administrative prévoit :

« En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative. »

Sans exposer les raisons de l’appartenance des parcelles en cause au domaine public du département de l’Essonne, le Conseil d’Etat juge que, « saisi sur ce fondement d'une demande qui n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l'urgence justifie, dont l'expulsion d'occupants sans titre du domaine public, à la condition que ces mesures soient utiles et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse. »

Il ajoute que les dispositions du paragraphe II de l’article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage « ne sauraient faire obstacle, alors même que les conditions à leur application se trouveraient réunies, à la saisine du juge des référés de conclusions tendant à ce que, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion d'occupants sans titre du domaine public soit ordonnée ».

Les deux mécanismes diffèrent d’ailleurs sensiblement.

Le paragraphe II de l’article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage dispose en effet qu’en cas de stationnement en violation d’un arrêté du maire prévu au I ou au I bis du même article, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux.

Cette mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.

Elle est assortie d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures.

Elle est notifiée aux occupants et publiée sous forme d'affichage en mairie et sur les lieux.

Le cas échéant, elle est notifiée au propriétaire ou titulaire du droit d'usage du terrain.

La mise en demeure reste applicable lorsque la résidence mobile se retrouve à nouveau, dans un délai de sept jours à compter de sa notification aux occupants, en situation de stationnement illicite sur le territoire de la commune ou de tout ou partie du territoire de l'intercommunalité concernée en violation du même arrêté du maire ou, s'il est compétent, du président de l'établissement public de coopération intercommunale prévu au I et de nature à porter la même atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques.

Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effets dans le délai fixé et n'a pas fait l'objet d'un recours dans les conditions fixées au II bis de l’article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles, sauf opposition du propriétaire ou du titulaire du droit d'usage du terrain dans le délai fixé pour l'exécution de la mise en demeure.

« En raison de l'existence de la procédure spéciale de mise en demeure de quitter les lieux prévue » par ces dispositions, le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles avait opposé une irrecevabilité au département de l’Essonne et jugé qu’il « ne pouvait pas solliciter de lui l'expulsion des occupants de ses terrains sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative ».

Son ordonnance du 10 décembre 2019 a été annulée pour erreur de droit.

Réglant directement l’affaire au fond, le Conseil d’Etat a souligné qu’il résultait du constat d’huissier du 14 novembre 2019 et de photographies d’avril 2020, « que de nombreuses personnes équipées de véhicules et de résidences mobiles ont pris possession, après en avoir brisé les accès, (des) terrains » en cause, dont il n’était pas « contesté (qu’elles n’avaient) aucun titre à cette occupation. »

Il a ajouté que :

  • « ces personnes alimentent leurs résidences mobiles en électricité à partir d'une armoire électrique qui a été forcée, au moyen de relais et de câbles posés à même le sol » ;
  • elles « n'ont accès, dans des conditions adéquates, ni au réseau de distribution d'eau potable, ni au réseau d'assainissement, ni à un dispositif de collecte de déchets » ;
  • « les seules installations sanitaires qui leur sont accessibles sont situées dans les bâtiments désaffectés implantés sur les terrains concernés, dont la porte a été fracturée » ;
  • selon « un rapport du président de la commission permanente du département daté du 16 septembre 2019, cette occupation compromet, d'une part, le projet de commune de Corbeil-Essonnes d'acquérir certains terrains afin d'y construire un parc de stationnement public, d'autre part, le projet du département d'affecter les bâtiments dont elle demeurera propriétaire à des services publics départementaux, dont une maison des solidarités. »

Il en a dès lors conclu que « la libération des terrains occupés présente un caractère d'utilité et d'urgence au sens des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative ».

Si les conditions de cet article sont bien réunies, le maître du domaine public est ainsi en mesure d’exercer lui-même et avec célérité l’action en expulsion, sans avoir à solliciter du préfet la mise en œuvre de la procédure spéciale prévue par le paragraphe II de l’article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, ou à s’en remettre à une action pénale au titre de l’article 322-4-1 du code pénal (« Le fait de s'installer en réunion, en vue d'y établir une habitation, même temporaire, sur un terrain appartenant soit à une commune qui s'est conformée aux obligations lui incombant en vertu du schéma départemental prévu à l'article 1er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage ou qui n'est pas inscrite à ce schéma, soit à tout autre propriétaire autre qu'une commune, sans être en mesure de justifier de son autorisation ou de celle du titulaire du droit d'usage du terrain, est puni d'un an d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende. »).

Cela étant, dans le cas où les occupants sans titre d’une dépendance du domaine public ne l’évacueraient pas d’eux-mêmes pour se conformer à l’ordonnance d’expulsion prise à leur encontre par le juge administratif des référés au titre de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, le concours de la force publique n’en devrait pas moins être sollicité auprès du préfet.