Par un arrêt du 14 octobre 2020, n° 20-82961, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que « la chambre de l’instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s’assurer que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés ».

Elle déduit ce principe du c) du paragraphe 1 de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, suivant lequel « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (…) s’il  a  été  arrêté  et  détenu  en  vue  d’être  conduit  devant  l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ».

En l’espèce, interpellé le 5 avril 2020, le mis en examen avait été placé en détention provisoire par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du 6 avril 2020, dans une information judiciaire concernant des faits d’extorsion, niés par lui, et de violences, alors qu’il reconnaissait simplement s’en être pris verbalement à plusieurs de ses voisins en raison notamment du tapage nocturne qu’il subissait.

Son appel de cette ordonnance ayant été rejeté par la chambre de l’instruction, il se pourvut en cassation contre l’arrêt confirmatif rendu par celle-ci.

Invoquant l’article 5 précité, il soutenait « qu’en énonçant que « la discussion des indices graves ou concordants, voire des charges, est étrangère à l’unique objet du contentieux dont la chambre de l’instruction est saisie », se refusant ainsi à examiner l’existence contestée par M. X... d’indices graves ou concordants permettant son placement en détention et de contrôler les éléments de preuve pesant sur le mis en examen, la chambre de l’instruction a privé sa décision de motifs au regard des articles précédemment visés et a méconnu l’étendue de ses pouvoirs.  »

Au visa de cette disposition et du principe, cité plus haut, qu’elle en a déduit, la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la chambre de l’instruction en censurant son refus d’examiner, « dans le cadre de l’appel du placement en détention provisoire et de la contestation par l’appelant d’une quelconque participation aux faits, l’existence d’indices graves ou concordants de sa participation, comme auteur ou complice, à la commission des infractions qui lui sont reprochées ».

Impliquant de ne plus opposer au détenu provisoire la théorie de « l’unique objet de l’appel » pour restreindre sa possibilité de contester, dans le cadre d'un contentieux en matière de détention provisoire, la valeur des charges retenues contre lui (cf. Crim. 5 mai 1998, n° 98-80875), l’arrêt du 14 octobre 2020 se conforme à l’interprétation que la Cour européenne des droits de l’homme fait de l’article 5, paragraphe 1, c), de la Convention européenne des droits de l’homme.

La condition première de sa conformité à cette disposition exige, en effet, que la détention provisoire se « (fonde) sur des « raisons plausibles de soupçonner » que la personne concernée a commis une infraction, ce qui présuppose l’existence de faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que cette personne peut avoir accompli l’infraction. Ce qui est « plausible » dépend de l’ensemble des circonstances, mais les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation » (CEDH, Grande Chambre, 28 novembre 2017, Merabishvili c. Géorgie, n° 72508/13, § 184).

De même, « la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne détenue d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention » (CEDH, Grande Chambre, 3 octobre 2006, McKay c. Royaume-Uni, n° 543/03, § 44 ; 28 novembre 2017, Merabishvili c. Géorgie, n° 72508/13, § 222).

« Ainsi, si des soupçons plausibles doivent exister au moment de l’arrestation et de la détention initiale, il doit également être démontré, en cas de prolongation de la détention, que des soupçons persistent et qu’ils demeurent fondés sur des « raisons plausibles » tout au long de la détention » (CEDH, 22 mai 2014, Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan, n° 15172/13, § 90).

Conformément à ces exigences et aux principes de l’arrêt du 14 octobre 2020, il appartient donc à la chambre de l’instruction d’apprécier l’existence d’indices graves ou concordants qui rendraient vraisemblable l’imputation au mis en examen des faits reprochés et justifieraient sa détention provisoire.

Comme la chambre criminelle de la Cour de cassation le précise explicitement, cette vérification devrait s’effectuer à tous les stades de la procédure.

Elle concernerait ainsi le placement initial en détention provisoire, le refus de mise en liberté, la  prolongation de détention provisoire en cours d’information judiciaire et, sans doute aussi, le maintien en détention provisoire par le juge d’instruction en règlement de l’information judiciaire dans l’attente de la comparution du mis en cause devant la juridiction de jugement.

Il serait cohérent qu’elle incombe également au juge des libertés et de la détention ou au juge d’instruction statuant en matière de détention provisoire, dès lors que l’Etat qui instaure un double degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention et celui des demandes d’élargissement, doit, en principe, « accorder aux détenus les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance » (CEDH 23 novembre 1993, Navarra c. France, n° 13190/87, § 28).