Par plusieurs arrêts récents (27 janvier 2021, n° 20-85990 ; 9 février 2021, n° 20-86339 ; 24 février 2021, n° 20-86537), la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé la manière dont doit s’exercer le contrôle de la chambre de l’instruction sur les soupçons qui justifieraient le placement ou le maintien en détention provisoire d’un mis en examen, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, c), de la Convention européenne des droits de l'homme, depuis son arrêt du 14 octobre 2020 (n° 20-82961).

Selon ce dernier, « la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés ».

L’arrêt du 27 janvier 2021 (n° 20-85990) précise que « la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l'existence de tels indices ».

Dans cette affaire, le mis en examen, des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, d’association de malfaiteurs et de non-justification de ressources, avait été placé en détention provisoire le 12 septembre 2019.

Il avait été libéré le 18 juin 2020 sous contrôle judiciaire, aux fins de la révocation duquel le juge d'instruction avait saisi le juge des libertés et de la détention le 2 octobre 2020.

Sur appel du Procureur de la République contre le refus d’y faire droit, un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz du 15 octobre 2020 avait révoqué ce contrôle judiciaire et ordonné le placement en détention provisoire du mis en examen, au motif de la violation, à de nombreuses reprises, de l'interdiction de se rendre dans certains départements et à l'étranger, résultant d'interceptions téléphoniques et d’une géolocalisation de ligne, et reconnue par l'intéressé, ayant expliqué avoir agi pour des motifs familiaux, sans toutefois justifier de la maladie alléguée de son fils.

Le pourvoi du requérant reprochait à la chambre de l’instruction d’avoir ordonné « la révocation (de son) contrôle judiciaire (…), après avoir considéré que la décision de placement en détention provisoire prise pour sanctionner l'inexécution par le mis en examen des obligations du contrôle judiciaire, n'a pas à être motivée au regard des exigences de l'article 144 du code de procédure pénale ».

Or, selon l’article 141-2 du code de procédure pénale, « si la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire, le juge d'instruction peut décerner à son encontre mandat d'arrêt ou d'amener. Il peut également, dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l'article 137-1, saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de placement en détention provisoire. »

Par suite, conformément à sa jurisprudence antérieure (Crim. 13 octobre 1998, n° 98-84260 ; 30 janvier 2001, n° 00-87284 ; 25 novembre 2003, n° 03-85386 ; 8 avril 2014, n° 14-80741), la chambre criminelle de la Cour de cassation a écarté ce moyen, « dès lors (que la chambre de l’instruction) a caractérisé l'existence d'un manquement entrant dans les prévisions de l'article 141-2 du code de procédure pénale, et souverainement estimé qu'il devait donner lieu à révocation du contrôle judiciaire, la décision de placement en détention provisoire prise pour sanctionner l'inexécution par la personne mise en examen des obligations du contrôle judiciaire (n’ayant) pas à être motivée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences de l'article 144 du même code ».

Par ailleurs, le pourvoi du requérant faisait également grief à la chambre de l’instruction d’avoir, dans son arrêt du 15 octobre 2020, violé l’article 5, paragraphe 1, c), de la Convention européenne des droits de l'homme, tel qu’interprété par la Chambre criminelle dans son arrêt du 14 octobre 2020, « en ne recherchant pas si, au jour où elle se prononçait, il existait des indices graves ou concordants de participation aux infractions pour lesquelles (il) avait été mis en examen, un an plus tôt, le 12 septembre 2019 ».

Mais la chambre criminelle de la Cour de cassation l’a rejeté en jugeant :

  • « il résulte des articles 80-1 et 137 du code de procédure pénale que les mesures de sûreté ne peuvent être prononcées qu'à l'égard de la personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi » ;
  • « il se déduit de l'article 5 1. c de la Convention européenne des droits de l'homme que la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l'existence de tels indices » ;
  • « ce contrôle, propre à la matière des mesures de sûreté, est sans incidence sur la validité de la mise en examen, laquelle ne peut être critiquée que dans le cadre des procédures engagées sur le fondement des articles 80-1-1 et 170 du code de procédure pénale » ;
  • « l'obligation susvisée de constater l'existence des indices graves ou concordants cesse, sauf contestation sur ce point, en cas de placement en détention provisoire sanctionnant des manquements volontaires aux obligations du contrôle judiciaire » ;
  • « en l'absence de contestation, un tel placement en détention provisoire ne doit être motivé qu'au regard des manquements de la personne à ses obligations ».

Par suite, « en l'espèce, la chambre de l'instruction, qui n'était pas saisie d'une contestation sur ce point, n'avait pas à s'assurer de l'existence de tels indices ».

S’il le croit possible et opportun, le mis en examen doit donc veiller à les contester devant la chambre de l’instruction, voire, avant que celle-ci ne soit saisie, devant le juge des libertés et de la détention qui aurait à statuer sur sa détention provisoire.

La nature du contrôle qu’il incombe à la chambre de l’instruction d’exercer a été plus précisément envisagée par l’arrêt du 9 février 2021 (n° 20-86339).

Dans cette information judiciaire, le 8 octobre 2020, l’intéressé avait été mis en examen des chefs de complicité de vol en bande organisée et association de malfaiteurs, et placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention, confirmée par un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris du 26 octobre 2020.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté son pourvoi en cassation contre cet arrêt, en posant les principes suivants :

  • le contrôle incombant à la chambre de l’instruction « fait obligation aux juges de vérifier, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure au moment où ils statuent, que les pièces du dossier établissent, d'une part, l'existence d'agissements susceptibles de caractériser les infractions pour lesquelles la personne est mise en examen, selon la qualification notifiée à ce stade, et, d'autre part, la vraisemblance de leur imputabilité à celle-ci » ;
  • « les juges, lorsqu'ils concluent souverainement à la vraisemblance de la participation de la personne à la commission d'une ou plusieurs infractions, ne sont tenus, en cas de contestation, que d'exposer les éléments du dossier par lesquels ils se déterminent ».

En l’espèce, la chambre de l’instruction avait relevé l’existence « des indices graves ou concordants rendant vraisemblable (que le mis en examen) ait pu commettre les infractions de complicité de vol en bande organisée par fourniture de moyens et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime », à savoir :

  • sa (mise) en cause par les investigations téléphoniques le faisant apparaître, sous (un) surnom (…), comme fournisseur de badges (…) copiés, ainsi que par les surveillances et filatures couplées avec la téléphonie qui ont mis en évidence que le lieu de revente des badges se trouvait être le box dont il était locataire » ;
  • « les éléments découverts en perquisition, ses rencontres régulières avec une autre personne mise en examen dont le rôle consistait à copier les badges litigieux, les déclarations de ses co-mis en examen et enfin l'inadéquation de sa situation au regard de ses avoirs mobiliers et immobiliers ».

Selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, la chambre de l’instruction n’a pas « à suivre la personne mise en examen dans le détail de son argumentation relative à la pertinence d'un indice particulier », non plus qu’elle n’a, « à ce stade, à caractériser au-delà de sa vraisemblance la circonstance aggravante (contestée) ».

Il n’en reste pas moins que le contrôle incombant à la chambre de l’instruction devrait respecter les exigences de l’article 5, paragraphe 1, c), de la Convention européenne des droits de l'homme, tel que, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme en a rappelé les principes dans son arrêt Fernandes Pedroso c. Portugal du 12 juin 2018, n° 59133/11, suivant lequel, cette stipulation « n’autorise à placer une personne en détention que dans le cadre d’une procédure pénale, en vue de la traduire devant l’autorité judiciaire compétente lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis une infraction » (§ 87).

« La « plausibilité » des soupçons sur lesquels doit se fonder l’arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par cet article. L’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou de renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir commis l’infraction. Ce qui peut passer pour plausible dépend toutefois de l’ensemble des circonstances » (idem).

Par ailleurs, « la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention » (§ 89 ; cf. CEDH 9 février 2021, Hasselbaink c. Pays-Bas, n° 73329/16, § 69).

Au cours de l’information judiciaire, et en fonction des investigations accomplies, le cas échéant à la demande du mis en examen, il n’est donc pas exclu que les soupçons qui auraient initialement justifié sa détention provisoire, s’allègent, et que leur amenuisement ne fassent perdre à celle-ci sa raison d’être (cf. CEDH 12 juin 2018, Fernandes Pedroso c. Portugal, n° 59133/11, §§ 99 à 102).

Eu égard à la discussion qui peut ou doit ainsi s’instituer devant la chambre de l’instruction sur la valeur des indices qui justifieraient la détention provisoire d’un mis en examen, la chambre criminelle de la Cour de cassation vient également, par un arrêt du 24 février 2021 (n° 20-86537), de modifier sa jurisprudence sur la notification du droit de garder le silence sur les imputations ou accusations portées contre lui.

Elle avait ainsi jugé que, « lorsque la chambre de l'instruction est appelée à statuer sur la détention provisoire d'une personne mise en examen, l'audition de celle-ci a pour objet non pas d'apprécier la nature des indices pesant sur elle, cette appréciation ayant déjà eu lieu à l'occasion de la mise en examen, après que le juge d'instruction l'eut expressément informée du droit de garder le silence, mais d'examiner la nécessité d'un placement ou d'un maintien en détention au regard des conditions particulières posées par les articles 144 et suivants du code de procédure pénale, dont aucune ne suppose une appréciation des éléments à charge » (Crim. 18 mars 2015, n° 14-88410 ; 1er avril 2015, n° 15-80101 ; 24 août 2016, n° 16-83717 ; Crim. 7 août 2019, n° 19-83508 ; cf. Crim. 19 décembre 2018, n° 18-84303, à propos d’un appel de l'ordonnance d’un juge d'instruction ayant statué sur la restitution d'objets placés sous main de justice).

Elle en avait déduit que « l'absence de notification du droit de se taire dans cette phase de la procédure ne méconnaît pas (l’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme) » (Crim. 7 août 2019, n° 19-83508).

Le renversement de cette jurisprudence par l’arrêt précité du 24 février 2021 ne devrait cependant pas avoir d’incidence sur la régularité de la détention provisoire du mis en examen dont le droit au silence ne lui aurait pas été notifié par la chambre de l’instruction avant que celle-ci ne l’entende dans une affaire de détention provisoire.

Certes, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle qu’il « se déduit des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du code de procédure pénale qu’une juridiction prononçant un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité ne peut tenir compte, à l’encontre de la personne poursuivie, de déclarations sur les faits effectuées par celle-ci devant cette juridiction ou devant une juridiction différente sans que l’intéressé ait été informé, par la juridiction qui les a recueillies, de son droit de se taire, lorsqu’une telle information était nécessaire. »

Elle indique juger « désormais qu’il se déduit de l’article 5 1. c de la Convention européenne des droits de l’homme que la chambre de l’instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s’assurer, même d’office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation comme auteur ou complice de la personne mise en examen à la commission des infractions dont le juge d’instruction est saisi ».

« Il s’ensuit que l’existence de ces indices est dans les débats devant la chambre de l’instruction saisie du contentieux des mesures de sûreté. »

« Dès lors, la personne concernée peut être amenée à faire des déclarations qui, si elles figurent au dossier de la procédure, sont susceptibles d’être prises en considération par les juridictions prononçant un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité. »

« Il résulte de ce qui précède que le droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire doit être porté à la connaissance de la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction saisie du contentieux d’une mesure de sûreté. »

« Toutefois, l’évolution de la jurisprudence rappelée aux paragraphes 12 à 14 n’implique pas que la chambre de l’instruction soit amenée à statuer sur le bien-fondé de la mise en examen, qui relève d’un contentieux distinct de celui des mesures de sûreté. »

« Dans ces conditions, le défaut d’information du droit de se taire est sans incidence sur la régularité de la décision rendue en matière de mesure de sûreté. »

« En revanche, à défaut d’une telle information, les déclarations de l’intéressé ne pourront, en application du principe posé au paragraphe 11, être utilisées à son encontre par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité. »

On signalera enfin que, par un arrêt du 9 février 2021 (n° 20-86533), la chambre criminelle de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« Les dispositions de l'article 199 du code de procédure pénale, telles qu'interprétées par la jurisprudence en ce qu'elles ne prévoient pas que, devant la chambre de l'instruction statuant sur la détention provisoire d'une personne, cette dernière lorsqu'elle est comparante, doit être informée de son droit, au cours des débats, de se taire alors que la chambre de l'instruction doit s'assurer que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés (Crim. 14 octobre 2020, n° 20-82.961, publié au bulletin), ne méconnaissent-elles les droits et libertés constitutionnellement garantis et plus particulièrement les articles 6, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »

Elle l’a jugée sérieuse, dès lors que :

  • « la comparution personnelle de la personne détenue devant la chambre de l'instruction a pour objet de permettre à la juridiction de lui poser les questions qui lui paraissent utiles à l'instruction du dossier » ;
  • « la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales de la mesure de détention provisoire sont réunies, en constatant expressément l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable que la personne mise en examen ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi » ;
  • « il s'ensuit que l'existence de tels indices est nécessairement dans les débats devant la chambre de l'instruction » ;
  • « il en résulte que la personne détenue peut être amenée à faire des déclarations sur ce point, déclarations qui resteront au dossier de la procédure » ;
  • « dès lors, en l'absence d'une notification préalable à la personne détenue de son droit de se taire, il pourrait être porté atteinte à son droit de ne pas s'accuser ».

C’est au vu de ces évolutions jurisprudentielles récentes ou en cours que le mis en examen doit apprécier l’opportunité de discuter, en matière de  détention provisoire, la valeur des soupçons qui la fonderaient, ou leur qualification juridique, et dont le contrôle pourrait être limité, ou, le cas échéant et s'il y a matière à le faire, d’exercer un recours en nullité contre sa mise en examen ou les actes ayant conduit à celle-ci ou lui servant de support nécessaire, et alors que les déclarations faites par lui dans ce cadre pourraient ensuite lui être opposées à charge.