Par arrêt du 10 octobre 2022 (n° 454460, publié aux tables du Recueil), le Conseil d’Etat a jugé que la demande du président de la formation de jugement, au cours de l’audience d’une cour administrative d’appel, à une partie, de produire une pièce supplémentaire, emporte réouverture de l’instruction.

Le litige portait sur la décision des membres d’un consortium hospitalo-universitaire du 5 mai 2017 de mettre fin à la relation les liant à une société, notifiée par un courrier du 13 juin 2017, contestée par un recours gracieux, rejeté par un courrier du 27 juillet 2017, puis par un recours en annulation rejeté par un jugement du tribunal administratif de Rouen du 11 octobre 2019, dont l’appel de la société avait été rejeté par un arrêt n° 19DA02753 de la cour administrative d'appel de Douai du 11 mai 2021.

Sur le pourvoi en cassation de la société, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la cour administrative d'appel de Douai en raison d’un vice de procédure en ayant entaché la régularité.

Il a rappelé les textes régissant la clôture de l’instruction devant les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel :

  • «  Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close (...) » (article R. 613-1 du code de justice administrative) ;
  • « Postérieurement à la clôture de l'instruction ordonnée en application de l'article précédent, le président de la formation de jugement peut inviter une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l'instruction. Cette demande, de même que la communication éventuelle aux autres parties des éléments et pièces produits, n'a pour effet de rouvrir l'instruction qu'en ce qui concerne ces éléments ou pièces » (article R. 613-1-1 du code de justice administrative) ;
  • « Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. Cet avis le mentionne » (article R. 613-2 du code de justice administrative) ;
  • « Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction » (article R. 613-3 du code de justice administrative) ;
  • « Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. Cette décision est notifiée dans les mêmes formes que l'ordonnance de clôture. / La réouverture de l'instruction peut également résulter d'un jugement ou d'une mesure d'investigation ordonnant un supplément d'instruction. (...) » (article R. 613-4 du code de justice administrative).

Le Conseil d’Etat a déduit « de l'ensemble de ces dispositions que, lorsqu'au cours d'une audience, le président de la formation de jugement d'un tribunal administratif ou d'une cour administrative d'appel invite une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l'instruction, il doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Dans une telle hypothèse, en l'absence de dispositions lui permettant de différer la clôture de l'instruction au-delà de l'appel de l'affaire à l'audience ou, le cas échéant, de la formulation par les parties ou leurs mandataires de leurs observations orales, et dès lors que la formation de jugement ne saurait sans irrégularité statuer tant que l'instruction est en cours, il lui revient de rayer l'affaire du rôle et d'informer les parties de la réouverture de l'instruction. »

Or, en l’espèce, par une ordonnance du 19 janvier 2021, la présidente de la deuxième chambre de la cour administrative d'appel de Douai avait fixé la date de la clôture de l'instruction au 19 février 2021, 12 heures.

L'instruction avait été rouverte à cette date par la communication du mémoire en réplique de la société.

Par un courrier du 1er avril 2021, le greffier avait informé les parties de ce que leur affaire serait inscrite à l'audience du 20 avril 2021, de sorte que l'instruction était à nouveau close trois jours francs avant cette dernière date.

Au cours de l'audience du 20 avril 2021, la présidente de la formation de jugement avait demandé aux parties la production d'une pièce supplémentaire, effectuée le 29 avril 2021, à la suite de quoi la cour avait rendu son arrêt le 11 mai 2021.

Par suite, le Conseil d’Etat a jugé qu’en « statuant dans ces conditions, alors que l'instruction était toujours en cours et ne pouvait plus être à nouveau close sans que l'affaire, ne relevant d'aucune disposition permettant de différer la clôture au-delà de l'audience, soit rayée du rôle, la cour a entaché son arrêt d'irrégularité ».

En conséquence de la cassation prononcée pour ce motif, il a renvoyé l’affaire à la cour administrative d'appel de Douai.