Par un arrêt du 19 avril 2023 (n° 23-80675), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé recevable l’appel d’une ordonnance de règlement formé par un avocat non régulièrement désigné conformément à l’article 115 du code de procédure pénale, mais regardé par le juge d’instruction comme personnellement choisi par une partie civile, et qu’une chambre de l’instruction ne saurait lui opposer, au stade de l’appel, l’irrégularité de ladite désignation, sans faire preuve d’un formalisme excessif et méconnaître l’article préliminaire du code de procédure pénale et le paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l’exigence d’équité de la procédure découlant de ce dernier.

N’en est cependant pas moins maintenue, en principe, l’exigence d’une désignation régulière et préalable, par son client, de l'avocat auprès de la juridiction d'instruction comme condition de la recevabilité de l'appel interjeté par celui-ci.

L’affaire concernait une information judiciaire ouverte le 17 mars 2008, des chefs d'escroquerie, abus de biens sociaux et complicité, recel et blanchiment, à  la suite d'un signalement de TRACFIN relatif aux mouvements de fonds observés entre les comptes de sociétés et ceux du dirigeant de ces sociétés et de sa mère.

Une société s’était constituée partie civile le 11 mars 2009.

Le juge d'instruction avait rendu une ordonnance de requalification, de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal correctionnel le 29 juillet 2021, dont appel avait été formé, le 6 août 2021, par un avocat pour le compte de la société constituée partie civile.

Cet appel avait été déclaré irrecevable par un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 12 janvier 2023, contre lequel la partie civile s’était pourvue en cassation, et dont la Chambre criminelle rapporte que :

  • « l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles 115 et 502 du code de procédure pénale que I'avocat qui fait une déclaration d'appel ne peut exercer ce recours au stade de l'instruction que si la partie concernée a préalablement fait le choix de cet avocat et en a informé la juridiction d'instruction, que cette désignation doit être nominative et porter sur une personne physique régulièrement inscrite à un barreau et que l'appel a en l'espèce été interjeté par un avocat non régulièrement désigné » ;
  • « les juges rappellent, notamment, que la société [2] a informé le juge d'instruction le 11 mars 2009 qu'elle se constituait partie civile en désignant comme avocats M. [S] [H], avocat à [Localité 3], et M. [K] [J], avocat à [Localité 4], que par application de l'article 89 du code de procédure pénale, la société [2] a déclaré le 27 mars suivant au juge d'instruction l'adresse de M. [H], à laquelle lui ont été notifiés les droits liés à sa qualité de partie civile et qu'à I'issue de sa première audition, le représentant de la société [2] a confirmé avoir fait le choix de deux avocats, M. [F] [B], avocat à [Localité 4], étant désigné comme nouvel avocat aux côtés de M. [H]. » ;
  • « ils ajoutent que le 27 janvier 2015, la partie civile a informé le juge d'instruction qu'elle désignait M. [I] [U], avocat à [Localité 4], aux lieux et place de M. [B], en précisant que la situation de M. [H] demeurait inchangée, que le 1er juillet 2019, elle a avisé le juge d'instruction du choix d'un nouvel avocat en la personne de M. [Z] [W], avocat à Lyon, aux côtés de M. [U] et de la SCP [H]-[O] et qu'ainsi à ce stade de la procédure, les avocats régulièrement désignés par la société [2] étaient MM. [W], [U] et [H] » ;
  • « ils relèvent que la société [2] n'a jamais fait connaître au juge d'instruction dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale le nom de Mme [O], avocat à Metz, comme étant I'avocat choisi par elle et que le seul courrier du 1er juillet 2019 faisant référence à la personne morale SCP [H]-[O] ne peut être considéré comme désignant un avocat personne physique, ayant seul le titre d'avocat au sens de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques » ;
  • « ils concluent que la désignation d'un avocat dans le cadre de l'information n'emporte pas désignation de ses associés ou collaborateurs et qu'à aucun moment, Mme [O] n'a fait l'objet d'une désignation nominative dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale, et ce, alors même que M. [H], avocat honoraire depuis le 1er janvier 2018, n'était plus associé de la SCP [H]-[O] ni autorisé à représenter des clients depuis le 31 décembre 2017 et que Mme [O] était devenue la seule associée de cette SCP ».

L’arrêt du 19 avril 2023 en a déduit que « la chambre de l'instruction a fait une exacte application des articles 115 et 502 du code de procédure pénale, lesquels ne sont pas contraires aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme », dès lors que :

  • « d'une part, le courrier du 1er juillet 2019 par lequel la société [2] a fait le choix de M. [W], avocat, afin d'assurer la défense de ses intérêts aux côtés de M. [U], avocat, et de la SCP [H]-[O], n'a pas eu pour effet de désigner l'ensemble des avocats exerçant au sein de cette société civile professionnelle en leur permettant de former appel des ordonnances du juge d'instruction au nom et pour le compte de cette partie » ;
  • « d'autre part, il ne résulte d'aucune disposition conventionnelle ou légale qu'un avocat qui n'a pas été personnellement désigné dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale serait recevable à interjeter appel d'une ordonnance du juge d'instruction, quand bien même il exercerait au sein de la même société civile professionnelle que l'avocat régulièrement choisi et serait l'associé ou le collaborateur de ce dernier ».

Il avait déjà été jugé qu’il « résulte des dispositions combinées des articles 115 et 502 du code de procédure pénale que, si l'avocat, qui fait une déclaration d'appel, n'est pas tenu de produire un pouvoir spécial, il ne peut exercer ce recours, au stade de l'instruction, que si la partie concernée a préalablement fait choix de cet avocat et en a informé la juridiction d'instruction » (Crim. 9 janvier 2007, n° 06-84738 ;  26 octobre 2010, n° 10-80912 ; 27 novembre 2012, n° 11-85130 ; 18 juin 2013, n° 12-86390 ; 16 septembre 2014, n° 13-82758 ; 14 avril 2015, n° 13-87136 ; sur la jurisprudence relative au droit antérieur à la modification de l’article 115 du code de procédure pénale par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cf. Crim. 9 novembre 2004, n° 04-84236).

L’article 115 du code de procédure pénale prévoit ainsi :

« Les parties peuvent à tout moment de l'information faire connaître au juge d'instruction le nom de l'avocat choisi par elles ; si elles désignent plusieurs avocats, elles doivent faire connaître celui d'entre eux auquel seront adressées les convocations et notifications ; à défaut de ce choix, celles-ci seront adressées à l'avocat premier choisi.

Sauf lorsqu'il s'agit de la première désignation d'un avocat par une partie ou lorsque la désignation intervient au cours d'un interrogatoire ou d'une audition, le choix effectué par les parties en application de l'alinéa précédent doit faire l'objet d'une déclaration au greffier du juge d'instruction. La déclaration doit être constatée et datée par le greffier qui la signe ainsi que la partie concernée. Si celle-ci ne peut signer, il en est fait mention par le greffier. Lorsque la partie ne réside pas dans le ressort de la juridiction compétente, la déclaration au greffier peut être faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Lorsque la personne mise en examen est détenue, le choix effectué par elle en application du premier alinéa peut également faire l'objet d'une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. Cette déclaration est constatée et datée par le chef de l'établissement qui la signe ainsi que la personne détenue. Si celle-ci ne peut signer, il en est fait mention par le chef de l'établissement. Ce document est adressé sans délai, en original ou en copie et par tout moyen, au greffier du juge d'instruction. La désignation de l'avocat prend effet à compter de la réception du document par le greffier.

Lorsque la personne mise en examen est détenue, le choix peut également résulter d'un courrier désignant un avocat pour assurer sa défense. La déclaration prévue au deuxième alinéa doit alors être faite par l'avocat désigné ; celui-ci remet au greffier une copie, complète ou partielle, du courrier qui lui a été adressé, et qui est annexée par le greffier à la déclaration. La personne mise en examen doit confirmer son choix dans les quinze jours selon l'une des modalités prévues aux deuxième et troisième alinéas. Pendant ce délai, la désignation est tenue pour effective ».

L’article 502 du code de procédure pénale prévoit par ailleurs  que « la déclaration d'appel doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée » et qu’elle « doit être signée par le greffier et par l'appelant lui-même, ou par un avocat, ou par un fondé de pouvoir spécial ; dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à l'acte dressé par le greffier. Si l'appelant ne peut signer, il en sera fait mention par le greffier ».

Quoi qu’il puisse en être l’interprétation des deux dispositions en cause, l’application du principe ainsi posé ne doit pas conduire à opposer à l’appelant un « formalisme excessif » de nature à faire échec à son droit de recours devant la chambre de l’instruction, en méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité de la Cour de cassation du 26 octobre 2010 (n° 10-80912), la Cour européenne des droits de l’homme avait d’ailleurs constaté, par un arrêt du 30 juin 2016 (Duceau c. France, n° 29151/11), la violation de cette stipulation, « s’agissant du grief tiré du droit d’accès à un tribunal ».

Elle y avait rappelé que :

  • « le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (voir, entre autres, García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000II, et Walchli c. France, no 35787/03, § 28, 26 juillet 2007). Néanmoins, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, ces limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Nedzela c. France, no 73695/01, § 45, 27 juillet 2006, Kemp et autres c. Luxembourg, no 17140/05, § 47, 24 avril 2008, et Henrioud c. France, no 21444/11, § 56, 5 novembre 2015) » (paragraphe 35) ;
  • « qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Cela est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux de règles procédurales. La réglementation relative aux formalités et aux délais à observer pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, les règles en question, ou l’application qui en est faite, ne devraient pas empêcher le justiciable d’utiliser une voie de recours disponible (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil des arrêts et décisions 1998VIII, Barbier c. France, no 76093/01, § 26, 17 janvier 2006, et Poirot c. France, no 29938/07, §§ 38 et 45, 15 décembre 2011) » (paragraphe 36).

Ces principes lui avaient paru méconnus en l’espèce, dès lors que :

  • « l’application de l’article 115 du code de procédure pénale n’est pas systématique. Elle note en effet que la Cour de cassation a considéré comme valable une procédure dans laquelle ces formalités n’avaient pas été respectées, dès lors que cela n’avait pas porté atteinte aux intérêts de cette partie » (paragraphe 39) ;
  • « le juge d’instruction était parfaitement informé du changement d’avocat. De plus, et surtout, après avoir dans un premier temps jugé la désignation irrecevable, ce magistrat l’avait ensuite validée, ainsi qu’en attestent expressément les termes de son ordonnance du 29 juin 2009 (…). La Cour note d’ailleurs à ce titre que, dans son avis sur le pourvoi formé par le requérant, l’avocat général à la Cour de cassation a également souligné le fait que l’avocat du requérant était fondé à considérer que sa désignation était régulière, le juge d’instruction n’ayant rien trouvé à redire à la notification de sa désignation, alors qu’il l’avait critiquée une première fois » (paragraphe 40) ;
  • « la décision d’irrecevabilité de la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, a été de nature à entraver l’exercice des droits de la défense, le requérant et son avocat ne pouvant plus, à ce stade, régulariser une désignation validée par le juge d’instruction. De plus, compte tenu de la position de ce dernier dans son ordonnance du 29 juin 2009, constatant la validité de la désignation de Me L., le risque d’annulation de la procédure pour cause d’ambiguïté ou de confusion quant au nom de l’avocat chargé d’assister le requérant durant l’instruction avait nécessairement disparu » (paragraphe 41) ;
  • par suite, le requérant a « été privé d’un examen au fond de son recours », puisque, « dans les circonstances de l’espèce, où il avait notifié l’identité de son nouvel avocat au juge d’instruction et à son greffier, il s’est vu imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour désigner un nouvel avocat durant l’instruction et, d’autre part, le droit d’accès au juge » (paragraphe 42).

C’est dans le fil de cette jurisprudence que, par son arrêt du 19 avril 2023, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a tempéré la rigueur qu’aurait pu avoir le principe qu’elle a par ailleurs maintenu.

Pour cela, elle vise l’article préliminaire du code de procédure pénale et l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pour déduire « du premier de ces textes que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties » et « du second de ces textes que si le droit d'exercer un recours peut être soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure » (cf. Crim. 9 février 2021, n° 20-84703 ; 16 février 2021, n° 20-84445 ; 7 février 2023, n° 22-83134).

Elle observe ensuite « que la copie du dossier d'information avait été délivrée à Mme [O], avocat, par le greffe de la juridiction d'instruction et que l'avis de fin d'information, le réquisitoire définitif et l'ordonnance de règlement dont elle a formé appel lui avaient été notifiés, ce dont il résulte que le juge d'instruction a considéré que cet avocat avait été personnellement choisi par la partie civile, la chambre de l'instruction, en opposant à cette dernière, au stade de l'appel, l'irrégularité de la désignation de Mme [O], a fait preuve d'un formalisme excessif et a méconnu les textes et les principes ci-dessus rappelés ».

Par suite, l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 12 janvier 2023 a ainsi été cassé, et l’affaire, pour qu'il soit à nouveau jugé, renvoyée devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy.

La prohibition du « formalisme excessif » par la Chambre criminelle de la Cour de cassation permet d’assurer le respect du droit à un tribunal garanti par le paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mais sa mise en œuvre paraît impliquer une appréciation au cas par cas, d’où une part d’incertitude inévitable, voire la nécessité d’exercer un ou des recours supplémentaires pour en faire sanctionner la méconnaissance, ce qui devrait inciter la partie concernée ou son conseil, dans la mesure du possible, à respecter le formalisme applicable à l'acte ou au recours nécessaire à la défense de ses droits.