L’ancien homme d’affaires rwandais, présenté comme le « financier du génocide » commis contre les tutsi au Rwanda et qui a fait plus d’un million de victimes a comparu le 27 mai, devant la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, après son arrestation le 16 mai à Asnières Sur Seine dans la banlieue de Paris. Sur le plan juridique, de quoi a-t-il été question lors de cette audience ?

Félicien KABUGA a été arrêté par la gendarmerie française en vertu d’un mandat d'arrêt international en date du 29 avril 2013 adressé à la France par le Mécanisme International chargé d’achever les travaux du Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Ce mandat fait suite à l’acte d’accusation du 17 mars 2011 émanant du Procureur auprès de ce Tribunal visant pas moins de six crimes, dont le crime de génocide, punis en France de la peine de réclusion criminelle à perpétuité (article 211-1 du Code pénal).

La Chambre de l’instruction de Paris devant laquelle il a comparu hier est l’organe judiciaire chargée de se prononcer sur son transfèrement vers cette juridiction international. Dans la mesure où Félicien KABUGA a déclaré ne pas vouloir être jugé par ce Tribunal, sa défense avait donc la charge de convaincre la justice française que cet homme qui a échappé à toutes les polices du monde pendant plus de 20 ans (Le 1er acte d’accusation le visant a été confirmé le 26 novembre 1997).

ne devait pas être renvoyé devant la juridiction internationale créée spécialement pour juger les crimes dont il est accusé. Elle a donc sorti tous les moyens juridiques qui étaient à sa disposition et qui, à défaut de convaincre la Cour, seraient au moins susceptibles de retarder sa décision.

Le premier moyen soutenu par sa défense et rapidement balayé par le Parquet Général de Paris est que ses droits n’auraient pas été respectés lors de son arrestation et dans les heures qui ont suivi.

Ensuite, la défense a dégainé la question prioritaire de constitutionalité, la fameuse QPC qui aujourd’hui précède quasiment toutes les affaires médiatiques en France, de l’affaire Cahuzac à Balkany, en passant par le Mediator, Fillon, etc... A noter par ailleurs, que ce n’est pas la première fois qu’une QPC est invoquée concernant le génocide commis contre les tutsi au Rwanda puisqu’il s’agit de cette procédure qui a permis à la Communauté Rwandaise de France d’obtenir la pénalisation en France de la négation de ce génocide. https://www.jeuneafrique.com/444225/societe/genocide-tutsis-rwanda-interview-lavocat-a-change-loi-francaise-negationnisme/  

Il s’agit du droit reconnu à toute personne, partie à un procès, de soutenir qu'une disposition législative est contraire aux droits et libertés que la Constitution garantit. Ce contrôle est dit a posteriori, puisque le Conseil constitutionnel examine une loi déjà entrée en vigueur.

Pour la défense de Félicien KABUGA donc, l’article 13 de la loi du 2 janvier 1995 qui régit la coopération entre de la justice française et la juridiction pénale internationale est contraire à la constitution française car elle transforme la Chambre de l’instruction en « chambre d’enregistrement » selon la défense.  Le Parquet Général de Paris s’est opposé fermement à cette procédure, faisant valoir notamment que le fait que le législateur ait prévu des degrés de contrôle de différentes intensités en cas de demande d’extradition ou de transfèrement n’a rien de contraire à la constitution.

Sur le fond, la défense a tenté de justifier son opposition au transfert de Félicien Kabuga vers la justice internationale au motif que celui-ci ne pourrait pas bénéficier des soins médicaux dont il a besoin en Tanzanie puisque le Procureur du Mécanisme Résiduel a indiqué qu’il serait jugé à Arusha en Tanzanie et au motif que ce même mécanisme risquerait de l’envoyer au Rwanda pour y être jugé. Le Parquet Général de Paris a retorqué qu’il ne s’agissait pas de le transférer à la Tanzanie mais à une juridiction internationale quoique opérant en Tanzanie en partie a été créée par les Nations Unies et qu’il pourra y bénéficier des conditions de détention très satisfaisantes, eu égard à son état de santé. Quant au risque de le voir transféré au Rwanda que la défense craint, le Parquet a fait remarquer que cette question ne se pose pas pour l’instant puisque la juridiction qui entend le juger est clairement identifiée.  

Dans sa dernière intervention, la défense de Félicien Kabuga a sollicité sa remise en liberté et a proposé son placement dans des lieux qu’elle a proposés invoquant, pour soutenir cette demande, les tristement célèbres Maurice Papon, Paul Touvier, ni René Bousquet qui, d’après elle, n’auraient pas été placés, à leur époque, en détention provisoire.

Dans sa décision rendue après un délibéré de presqu’une heure, la Chambre de l’instruction a rejeté cette demande de remise en liberté en tenant compte, sans surprise du fait que Félicien Kabuga s’est soustrait à la justice pendant plusieurs années avec l’aide de ceux-là même qui se proposent de l’héberger et au motif, comme le Parquet l’a soutenu, du trouble à l’ordre public qu’une telle remise en liberté pourrait créer. La Chambre a également rejeté la demande d’expertise médicale demandée qu’elle a estimée non justifiée.

La Chambre de l’instruction se prononcera le 3 juin sur le reste des demandes. S’elle rejette la QPC, elle se prononcera sans difficulté sur le transfèrement demandé. Dans le cas contraire, s’elle juge la QPC fondée, elle devra la transmettre à la Cour de cassation pour examen et celle-ci devra, à son tour, soit la rejeter soit la transmettre au Conseil Constitutionnel. Dans cette hypothèse, la question qui risque de se poser est de savoir ce qu’il en sera de la demande de transfèrement pendant ce temps puisque l’article 13 de la loi du 2 janvier 1995 contestée par la défense impose au Juge de statuer dans les 15 jours tandis que la procédure de QPC veut qu’en principe, que la juridiction qui accepte cette procédure ne statue pas sur le fond du litige dans l'attente de la décision de la juridiction supérieure sauf s'il s'agit d'une instance dans laquelle la personne est privée de liberté ou s'il y a urgence. La Chambre devra donc aussi trancher sur ce point et décider soit de se prononcer sur le transfèrement, soit de de sursoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure de QPC.

Affaire donc à suivre le 3 juin prochain.