L’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 « relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période » ne précise pas clairement son applicabilité aux congés et demandes de renouvellement des baux commerciaux.

On regrette que ces dispositions, prises dans l’urgence, ne soient pas expressément adaptées à la spécificité de ce statut et laissent persister des zones d’ombres qui devront nécessairement être éclairées par la suite.

Praticiens et justiciables doivent s’aventurer sur le terrain d’une analyse par extension qui n’est pas dénuée de toute insécurité juridique.

L’article 1er de l’ordonnance précise que « Les dispositions sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire »

On parle de « période juridiquement protégée » qui s’étend du 12 mars 2020 à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, laquelle date n’est à ce jour pas encore déterminée.

L'article 2 dispose : « Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».
 

L'article 5 poursuit : « Lorsqu'une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu'elle est renouvelée en l'absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s'ils expirent durant la période définie au I de l'article 1er, de deux mois après la fin de cette période ».

Or si les articles L 145-9 et suivants du Code de commerce prévoient que le contrat ne cesse que par l'effet d'un congé ou d'une demande de renouvellement, adressés au moins 6 mois avant l’expiration du bail, à défaut, le bail se prolonge tacitement pour une durée indéterminée.

Il n’est donc que partiellement exact d’assimiler le bail commercial à une convention qui « ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu'elle est renouvelée en l'absence de dénonciation dans un délai déterminé » au sens de l’article 5 précité.

Est également discutable la caractérisation de la « sanction » de l’article 2 de l’ordonnance puisque contrairement aux baux d’habitation, pour lesquels le congé est nul s’il n’a pas été signifié dans le délai requis, le congé d’un bail commercial signifié en dehors du préavis de 6 mois voit ses effets reportés.

En revanche, il sera aisé de faire une interprétation extensive de l’ordonnance pour l’appliquer à la faculté de résiliation triennale du bail (article L 145-4 du Code de commerce).

Si l’on retient néanmoins l’interprétation extensive de l’ordonnance du 25 mars 2020 au bénéfice des congés et demandes de renouvellement, il faut en conclure que ceux-ci pourront encore être délivrés valablement deux mois après la fin de la période juridiquement protégée.

Il existerait donc une prorogation exceptionnelle de deux mois suivant la fin de la période juridiquement protégée :

Pour assurer la régularité de l’acte, celui-ci devra viser l’ordonnance du 25 mars 2020 n°2020-306 autorisant la prorogation des délais.

Attention toutefois aux baux se trouvant en tacite prolongation proche des 12 ans du bail, la prudence la plus élémentaire consiste, pour les preneurs, à ne pas se prévaloir de l’ordonnance du 25 mars et de notifier sans attendre leur demande de renouvellement s’ils veulent éviter le déplafonnement du loyer de renouvellement, sauf à considérer que ce déplafonnement automatique constitue un « régime particulier » au sens de l’article 2 de l’ordonnance.

Des interrogations persistent enfin sur les effets du report sur le délai préavis : Si la date de délivrance du congé est prorogée, doit-on en déduire que la durée du bail l’est également ? Et dans l’affirmative, sa durée supérieure à neuf ans pourrait-elle constituer un motif de déplafonnement ?

Assurément non vu le contexte dans lequel l’ordonnance du 25 mars a été adoptée (sa lecture littérale n’envisage à aucun moment le report du terme du contrat), mais l’on sait, plus que jamais, que l’imagination des praticiens sera débordante lorsque les contentieux naitront.

Rodolphe AUBOYER-TREUILLE  ar@bret-bremens.com