Le droit, souvent présenté comme une architecture rigide, sait parfois s’assouplir pour répondre à des nécessités sociales. Tel est le sens des deux décrets du 7 août 2025, publiés au Journal officiel le 8 août (n° 2025-779 et n° 2025-780), qui viennent donner corps à la loi du 15 avril 2024 sur l’engagement bénévole. Ils ouvrent aux organismes sans but lucratif (OSBL) un champ inédit : celui du crédit et de la trésorerie intragroupe, jusqu’alors réservé aux sphères bancaires et financières.
Le principe est ancien et cardinal : nul ne peut consentir à titre habituel des opérations de crédit sans être établissement de crédit ou société de financement. Pourtant, les associations, fondations et coopératives, acteurs de la société civile organisée, portent souvent des projets communs et souffrent d’un cloisonnement financier qui bride leurs élans.
Le législateur de 2024 a donc taillé, dans le roc du monopole bancaire, une brèche étroite mais réelle. Désormais, un organisme peut, à titre accessoire, prêter à un autre avec lequel il partage une communauté d’intérêts ou de gouvernance (C. mon. fin., art. L. 511-6, 1° bis). De même, des entités sans but lucratif apparentées peuvent organiser entre elles des flux de trésorerie, dès lors que leurs relations croisées sont régulières et structurelles (C. mon. fin., art. L. 511-7, I ter).
Encore fallait-il encadrer ce nouveau pouvoir, pour prévenir tout risque de dérive ou de dépendance financière. Les décrets d’août 2025 fixent des conditions strictes :
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Formalisation : tout prêt ou convention de trésorerie doit être soumis à la procédure des conventions réglementées, avec approbation des organes dirigeants.
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Contrôle externe : une attestation du commissaire aux comptes (ou, à défaut, d’un expert-comptable) devient le sceau de légalité et de transparence.
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Plafonds et durées : le prêt ne peut excéder cinq ans, ni représenter plus de 50 % de la trésorerie nette disponible du prêteur. Quant aux taux, ils sont bornés par la référence objective des obligations privées.
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Transparence : les opérations doivent figurer dans les rapports de gestion et, le cas échéant, dans les annexes aux comptes.
Ainsi, le droit autorise mais surveille, permet mais encadre : il ménage un espace de solidarité financière sans basculer dans la confusion avec les métiers bancaires.
Les vertus et les limites d’un mécanisme solidaire
Le dispositif a des vertus évidentes :
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offrir aux associations et fondations structurées la possibilité de fluidifier leurs liquidités ;
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consolider les fédérations, unions et réseaux associatifs par une véritable inter-dépendance financière ;
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répondre à l’exigence d’autonomie du secteur non lucratif face aux aléas de la subvention publique.
Mais il porte aussi ses limites : la technicité des conditions, l’obligation d’un contrôle par commissaire aux comptes, la brièveté de la durée des prêts en restreindront l’usage aux grandes structures professionnalisées. La petite association de quartier, sans CAC ni trésorerie excédentaire, restera en marge de ce mécanisme.
Il n’en demeure pas moins que ces décrets introduisent, au cœur du droit des associations et fondations, une innovation majeure : la reconnaissance implicite que le financement peut être solidaire, intramuros, sans nécessaire recours aux institutions bancaires. C’est une mutation silencieuse, mais qui consacre le rôle des OSBL comme acteurs économiques à part entière, capables non seulement de porter un projet social mais aussi d’organiser, entre pairs, leur propre respiration financière.
Ainsi, la réforme d’août 2025 invite chaque organisme sans but lucratif à réfléchir à son autonomie, à ses alliances et à la mise en place de procédures internes rigoureuses. Le droit, en ouvrant une brèche, n’offre pas seulement un outil technique : il trace la perspective d’une économie associative plus intégrée, plus responsable, et peut-être demain plus souveraine.
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