C’est la question à laquelle dut répondre la Cour de cassation dans cet arrêt du 28 novembre 2018.
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé en février 2006 par une société, en tant que distributeur.
Mais à compter du mois de mai 2012, le salarié ne disposait plus de son véhicule automobile (personnel), celui-ci ayant fait l'objet d'une saisie, et il ne put en acquérir un autre dans les mois suivant.
Le salarié fut licencié le 12 février 2013, la lettre de licenciement, fixant les limites du litige, était ainsi rédigée (extraits) :
« En date du 5 septembre 2012, M. B..., votre supérieur hiérarchique à cette date, nous a fait part de ce que vous ne possédiez plus de véhicule pour distribuer et qu'il vous fallait un peu de temps pour en acquérir un autre. Par courrier du 18 septembre 2012, nous vous avons informé que nous suspendions votre contrat de travail jusqu'au 31 décembre 2012 car nous estimions qu'il s'agissait d'un délai raisonnable. Lors de l'entretien, vous nous avez indiqué que vous n'étiez pas en mesure d'acquérir un nouveau véhicule ni d'indiquer une date concernant la future acquisition d'un véhicule. Nous sommes au regret de vous rappeler que la possession d'un véhicule est une condition impérative pour pouvoir effectuer votre travail. Il s'agit d'une obligation contractuelle qui vous lie à la société…. En outre, la société … ne dispose d'aucun poste adapté à votre situation. Par conséquent, nous sommes contraints de vous licencier par défaut de véhicule rendant impossible l'exécution de votre contrat de travail. Le présent licenciement interviendra dès réception de la présente comme étant entendu que vous n'êtes pas en mesure d'effectuer votre préavis ; celui-ci ne sera donc pas rémunéré ».
Le salarié saisit la juridiction prud’homale, soutenant que son licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse, car selon lui :
- le motif tiré de l'absence de véhicule ne pouvait justifier le licenciement : il pouvait et avait d'ailleurs effectué d'autres tâches que la distribution proprement dite ;
- la lettre de licenciement fixe les termes et les limites du litige, et aucune clause du contrat ne pouvait valablement décider qu'une circonstance quelconque constituerait en elle-même une cause de licenciement ;
- il appartenait à l'employeur soit de fournir du travail au salarié, fût-ce autre chose que de la distribution, soit de le licencier, et qu’il fallait donc condamner la société à lui payer les sommes de 1.987,84 euros et 198,78 euros au titre du rappel de salaire d'octobre 2012 au 12 février 2013 et des congés payés afférents.
La société répondait que :
- la possession d'un véhicule était une obligation contractuelle résultant tant de la convention collective que du contrat de travail du salarié ;
- le salarié privé de son véhicule se trouvait dans l'impossibilité d'exécuter ses fonctions de distributeur ;
- ce n'est qu'à titre exceptionnel et temporaire qu'on lui avait confié la préparation de poignées de documents publicitaires ;
- la situation n'ayant pas évolué, son contrat de travail avait été suspendu pour lui laisser le temps d'acquérir un nouveau véhicule ;
- le salarié ayant confirmé par courrier le 19 octobre 2012 qu'il n'en avait toujours pas, la société s'était trouvé contrainte de le licencier ;
- l'article 8 du contrat de travail du salarié stipulait que « le salarié reconnaît expressément que l'exercice de l'activité implique l'usage professionnel de son véhicule personnel assuré à cet effet par ses soins et d'un permis de conduire de cours de validité. Il reconnait que ces deux conditions constituent un élément essentiel du contrat de travail dont l'absence ne permet pas l'exécution du contrat de travail de son seul fait (…). L'absence de ces deux conditions suspendra immédiatement le contrat de travail qui pourra, le cas échéant être rompu par l'employeur en cas d'inapplication de ces deux conditions du fait du salarié pour une durée supérieure à un mois » ;
- le salarié ne contestait pas qu'à compter du mois de mai 2012, il n'avait plus disposé de son véhicule, celui-ci ayant fait l'objet d'une saisie, et qu'il n'avait pu en acquérir un autre dans les mois qui ont suivi ;
- il s'ensuivait que ne pouvant plus se déplacer pour effectuer ses tournées, le salarié s'était trouvé dans l'impossibilité de remplir ses fonctions de distributeur ;
- la circonstance selon laquelle il avait été affecté pendant quelques temps à des tâches différentes ne saurait lui permettre de se prévaloir d'une obligation de l'entreprise de le convertir ;
- il en résultait que le grief tiré du défaut du véhicule pendant plus de 8 mois constituait bien un manquement à ses obligations contractuelles et en conséquence, une cause réelle et sérieuse de licenciement.
La Cour d’appel prit deux positions différentes :
- d’abord, elle donna raison au salarié, en condamnant la société à payer au salarié, les sommes de 1.987,84 euros et 198,78 euros au titre du rappel de salaire d'octobre 2012 au 12 février 2013 et des congés payés afférents ;
- mais, elle donna raison à la société en jugeant que le salarié avait manqué aux obligations résultant de son contrat de travail, qui lui imposait de disposer d'un véhicule, et que ce manquement rendait impossible la poursuite de ce contrat.
Au final, la Cour de cassation donne pleinement raison à la société, en motivant ainsi :
- la cour d'appel, s'en tenant aux termes de la lettre de licenciement, a constaté que le salarié avait manqué aux obligations résultant de son contrat de travail, qui lui imposait de disposer d'un véhicule, et ce manquement rendait impossible la poursuite de ce contrat ;
- lorsqu'un salarié n'est pas en mesure de fournir la prestation inhérente à son contrat de travail, l'employeur ne peut être tenu de lui verser un salaire que si une disposition légale, conventionnelle ou contractuelle lui en fait obligation ; en statuant comme elle a fait, alors qu'il résultait de ses constatations que la possession d'un véhicule était exigée par le contrat de travail, qu'elle était nécessaire à l'activité professionnelle du salarié et que ce dernier, du fait qu'il ne disposait plus d'un véhicule automobile à la suite d'une saisie-attribution, était dans l'impossibilité d'exécuter sa prestation de travail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, et l’article L.1221-1 du code du travail,
en conséquence, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, mais seulement en ce que l’arrêt a condamné la société à payer au salarié les sommes réclamées,
et ce, en raison du caractère synallagmatique du contrat de travail : le salaire étant la contrepartie de la prestation de travail, aucun salaire n’est dû lorsque le travail n’est pas accompli, et dans cette affaire même en cas de suspension du contrat de travail, parce que la possession du véhicule exigée et stipulée dans le contrat de travail, était ici indispensable à l’activité professionnelle du salarié.
Stéphane VACCA
Avocat au barreau de Paris
22, avenue de l'Observatoire - 75014 Paris
tél.: +33.(0)9.67.39.51.62
fax.: +33.(0)1.45.38.57.10
web: www.vacca-avocat.fr
blog: www.vacca-avocat-blog.com
Pas de contribution, soyez le premier