Le Conseil d’État a rendu le 9 novembre dernier une décision importante dans le dossier de l’amiante au terme de laquelle la responsabilité de l’État est retenue pour la période antérieure à 1977 aux motifs que :
« la négligence des pouvoirs publics et celle de la société requérante ont toutes deux concouru directement au développement de maladies professionnelles liées à l’amiante par plusieurs salariés de cette société ; qu’eu égard à la nature et à la gravité des fautes commises, d’une part, par la société requérante et, d’autre part, par l’État, il sera fait, dans les circonstances de l’espèce, une juste appréciation du partage de responsabilités en fixant au tiers la part de l’État ».
Ce dossier est à la fois délicat et particulier :
Particulier car l’apparition des pathologies liées à l’exposition aux poussières d’amiante intervient parfois plusieurs décennies après l’exposition, rendant ainsi difficile la reconstitution chronologique des lieux sur lesquels la personne a pu être exposée. Cela a notamment donné lieu à des décisions de pure opportunité afin de ne pas priver les victimes et/ou leurs ayants-droit d’une indemnisation de leur préjudice corporel ;
Délicat car elle implique les pouvoirs publics à différents niveaux et époques.
C’est bien cela qu’a jugé le Conseil d’État en retenant la responsabilité de l’État lequel est sanctionné pour n’avoir pas pris la mesure du risque sanitaire lié à l’amiante avant 1977 et n’avoir donc pas pris les dispositions réglementaires et/ou législatives nécessaires à prévenir ce risque et les conséquences y afférentes.
Il sera en effet rappelé que depuis la fin du XIXème siècle, des publications anglo-saxonnes établissaient un lien entre la fibrose pulmonaire et l'exposition à l'amiante. Par ailleurs, dès 1931, la Grande-Bretagne adoptera une réglementation prévoyant l’indemnisation des personnes atteintes de maladies professionnelles liées à l’amiante et les conditions de travail pour les personnes potentiellement exposées.
En France, ce n’est qu’en 1977 que le décret n° 77-949 permettra de donner un cadre pour la protection des travailleurs exposés aux poussières d'amiante : la concentration moyenne en fibres d'amiante de l'atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne devait pas dépasser 2 fibres/millilitre.
Ce n’est toutefois qu’en 1997 que, par décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996, l’usage de l’amiante sera interdit.
Face à cette chronologie, le Conseil d’État tranche de manière nuancée en retenant comme année charnière l’année 1977 alors qu’il reconnaît lui-même que l’interdiction totale n’interviendra que 19 années plus tard. Certains diront qu’il s’agit d’un choix a minima du Conseil d’État qui a toutefois le mérite de mettre l’État face à ses responsabilités.
Dans le contexte des « scandales sanitaires » toujours plus nombreux, le Conseil d’État semble ainsi adresser un (nouveau) rappel à l’ordre à l’État quant à la nécessaire prévention des risques.
L’État a également un rôle d’arbitre : si, à l’évidence, il ne s’agit de prendre des mesures de précaution excessives au seul vu de quelques publications dont la méthodologie est parfois discutable, face à un risque avéré, il lui incombe de trancher et d’imposer des règles de prévention adaptées à l’état des connaissances scientifiques.
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