Dans son arrêt du 31 juillet 2015 (n° 14PA04146), la Cour administrative d’appel de Paris a caractérisé l’inertie fautive de l’État dans l’affaire du Médiator en constant que :
« l’abstention de prendre les mesures adaptées […] doit être regardée comme une faute de nature à engager la responsabilité de l’État […] ».
Les laboratoires pharmaceutiques ont longtemps été les seules personnes pointées du doigt en matière de responsabilité du fait des médicaments. Certes, ils sont au premier chef concernés par les effets indésirables des produits qu’ils commercialisent ; cependant, cette réalité ne doit pas masquer l’autre réalité de la chaîne sanitaire et les éventuels partages de responsabilité en la matière.
C’est ce que rappelle l’arrêt du 31 juillet 2015 en précisant les éléments qui auraient dû inciter les pouvoirs publics à agir dès 1999 : des prescriptions hors indication, des interrogations sur le bénéfice même du médicament et des alertes en matière de pharmacovigilance. Il vise donc les autorités sanitaires françaises, et plus particulièrement, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ; il vise peut-être aussi, dans une interprétation volontairement extensive, les personnels de santé qui banalisent parfois la prescription de médicaments en dehors de l’indication pour laquelle ils ont obtenu leur autorisation sur le marché.
La Cour administrative d’appel a notamment relevé qu’une étude de l’Union régionale des caisses d’assurance maladie de Bourgogne invitait les pouvoirs publics, en mai 1998, à s’interroger sur le remboursement d’un produit prescrit en dehors de son indication, ce qui ne répondait pas à un « souci de qualité, de sécurité et d’efficacité ».
Puis, au terme d’une étude détaillée des éléments chronologiques du dossier, la Cour d’appel a considéré que :
« alors que le bénéfice médical de ce médicament était devenu hypothétique et qu’il était au surplus notoire qu’il était largement prescrit comme anorexigène, sans motif légitime et hors autorisation de mise sur le chargé, le signalement, en février 1999, d’un cas d’hypertension artérielle pulmonaire et celui, en juin 1999, d’un cas de valvulopathie cardiaque imputables au benfluorex auraient dû faire tenir les dangers du benfluorex pour suffisamment caractérisés pour déterminer une intention de l’AFSSAPS (désormais ANSM, « Agence nationale de sécurité du médicament »).
L’État n’est évidemment pas celui qui commercialise le médicament, il dispose en revanche de l’autorité suffisante pour tirer les conséquences d’un renversement du rapport bénéfice / risque d’un médicament en particulier. C’est ce que rappelle l’arrêt dans son 4ème considérant en relevant que :
« quand bien même cette commission ne disposait elle-même d’aucun pouvoir de décision, la date du 7 juillet 1999, à laquelle s’est tenue une séance de la commission nationale de pharmacovigilance où a été évoquée la situation du benfluorex, peut être retenue comme celle à laquelle aurait dû, au plus tard, avoir lieu cette intervention [de l’AFSSAPS] ».
La Cour administrative d’appel poursuit sur la responsabilité de l’État en ces termes :
« l’abstention de prendre les mesures adaptées, qui ne pouvaient être que la suspension ou le retrait de l’autorisation de mise sur le marché du Médiator, auxquels il n’a été procédé respectivement qu’en 2009 et 2010, doit être regardée comme une faute de nature à engager la responsabilité de l’État […] et à impliquer que celui-ci doive être, le cas échéant, condamné à réparer les conséquences dommageables en ayant résulté ».
Par ce considérant, la Cour administrative d’appel de Paris fait preuve d’un certain courage en s’écartant du débat binaire : le patient contre le laboratoire. Elle offre ainsi une mise en perspective des responsabilités des différents intervenants de la chaîne sanitaire qui nous paraît devoir être approuvée. Elle ouvre également la voie à un contentieux non plus uniquement devant le juge judiciaire mais également devant le juge administratif.
Si dans le dossier particulier dont était saisie la Cour administrative d’appel de Paris, elle a finalement conclu que l’administration de Médiator jusqu’en 2000 n’était pas établie, il n’en reste pas moins qu’elle pose le principe d’une responsabilité de l’État pour les prescriptions postérieures au 7 juillet 1999.
Il convient ainsi d’attendre les prochaines décisions qui pourraient être rendues par les juridictions administratives concernant la prescription de Médiator après cette date, pour apprécier dans quelle proportion la responsabilité de l’État sera effectivement retenue.
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