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Les faits à l’origine d’une décision du Conseil d’Etat du 7 mai 2015 (CE, 7 mai 2015, Mme A., req. n° 371915), prise en matière de préemption étaient pour le moins classiques.

M. et Mme A. avaient signé avec des acquéreurs intéressés, un compromis de vente portant sur leur maison, située dans une zone soumise au droit de préemption urbain, au prix de 131.000 €.

Alors que le service des domaines l’évaluait à 138.000 €, le maire de la commune n’avait pas hésité à préempter la maison au prix de 70.000 € seulement. Si le Tribunal administratif d’Orléans a suspendu en référé l’exécution de la décision, cela n’a pas empêché les acheteurs de renoncer à leur projet (les compromis comportent généralement une clause suspensive relative à la préemption du bien).

Confrontés à une situation financière très difficile du fait d’un déménagement lointain, les époux A., ont accepté, contraints après avoir perdu leurs acheteurs, de vendre leur bien à la commune au prix de 70.000 €, moyennant donc une perte financière considérable de 61.000 €.

La décision de préemption a par la suite été annulée par le Tribunal administratif, en raison de son illégalité.

Forts de cette décision, les époux A ont alors engagé la responsabilité de la commune pour faute (le principe juridique étant que toute illégalité est fautive). La Cour administrative d’appel de Nantes leur a toutefois refusé une indemnisation, aux motifs, d’une part, que la suspension de la décision par le juge des référés ne faisait pas obstacle à la vente en dehors de la procédure de préemption, d’autre part, que les époux A. n’avaient pas usé de leur faculté, soit de maintenir le prix de vente figurant dans la déclaration d’aliéner (refusant ainsi le prix de 70.000 € proposé par le maire) avec pour effet de laisser au juge de l’expropriation le soin de fixer le prix, soit de renoncer à la vente.

Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 7 mai 2015, a censuré ce raisonnement, jugeant que :

« 2. Considérant (…) toutefois, eu égard aux circonstances particulières qu'elle avait elle-même relevées, notamment au fait que la décision de préemption illégale avait seule été à l'origine de l'échec de la transaction qui devait être conclue le 12 septembre 2008 en vertu d'une promesse valable jusqu'au 18 septembre et des difficultés particulières auxquelles M. et Mme A...avaient dû faire face du fait de cet échec, elle a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant qu'il n'existait pas de lien de causalité direct et certain entre la décision de préemption illégale du 2 septembre 2008 et le préjudice dont les intéressés se prévalaient ».

Par voie de conséquence, après avoir annulé la décision de la Cour administrative d’appel de Nantes, le Conseil d’Etat a renvoyé l’affaire devant cette juridiction afin qu’elle la juge de nouveau à la lumière des précisions ainsi apportées.

Cette affaire présente le mérite de rappeler que les contentieux indemnitaires sont, au-delà du droit, affaire d’espèce puisque ce sont les circonstances propres à chaque affaire qui sont susceptibles d’ouvrir, ou non, droit à indemnisation.

Il n’est en effet pas inutile de rappeler que le succès d’une action indemnitaire devant la juridiction administrative (pas uniquement en matière de préemption), si elle n’est pas prescrite, suppose la preuve de la réunion de 3 éléments :

1. L’existence d’une faute de l’administration (en l’espèce, la faute résultait de la prise d’une décision de préemption illégale par le maire),

2. L’existence d’un préjudice (en l’espèce, le Conseil d’Etat ne se prononce pas sur cet élément puisqu’il a renvoyé à la Cour administrative d’appel de Nantes le soin de réexaminer l’affaire, mais il pourra consister, notamment en la perte de la somme comprise entre 70.000 €, prix d’achat par la commune, et 131.000 €, prix qui aurait dû être retiré de la vente avec l’acquéreur initial, soit 61.000 €, somme à laquelle pourront s’ajouter d’autres préjudices, frais bancaires, préjudice moral…),

3. Enfin, l’existence d’un lien de causalité entre la faute commise par l’administration et le préjudice subi par les requérants.

Force est de constater que, d’une manière générale, l’indemnisation est souvent rendue difficile par l’absence de lien de causalité établi, alors même que la faute et le préjudice subi seraient démontrés.

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision commentée, le défaut de lien de causalité a manifestement été retenu par la Cour administrative d’appel de Nantes puisqu’elle a considéré, en substance, que le préjudice des époux A. découlait d’autres facteurs que la seule illégalité de la décision. Dit autrement, la Cour a vraisemblablement jugé qu’alors que la faute et le préjudice pourraient avoir été démontrés, l’absence de lien de causalité faisait obstacle à toute indemnisation.