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Les agents publics sont parfois confrontés à l’impossibilité de saisir la juridiction administrative d’un recours dirigé contre une décision administrative dont ils font pourtant l’objet.

En effet, si par principe les décisions administratives sont susceptibles de recours en excès de pouvoir (REP) devant le juge administratif, les mesures qualifiées d’ordre intérieur font exception. Le juge refuse de les examiner, au motif qu’elles ne font pas grief aux agents.

La principale conséquence attachée à cette qualification est l’impossibilité de les contester devant le juge administratif : saisi d’une décision qu’il qualifierait de mesure d’ordre intérieur, le juge n’examinerait pas son bien-fondé mais rejetterait plus simplement la requête comme étant irrecevable, car dirigée contre une décision dont il ne peut être saisi.

Fin de l’histoire.

Pour autant, elles ne sont pas nécessairement sans conséquence sur l’exercice professionnel des agents. Ainsi, par exemple, des décisions de changement d’affectation, par exemple pour mettre un terme, dans l’intérêt du service à des difficultés relationnelles avec des collègues.

Ces mesures d’ordre intérieur dont le juge ne peut être saisi peuvent être définies comme « les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief » (voir par exemple, décision commentée, CE, 8 mars 2023, n° 451970).

Et le Conseil d’Etat de préciser, dans la décision commentée, que :

« Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent de perte de responsabilités ou de rémunération ».

La limite déterminée par la juridiction administrative entre la décision ne faisant pas grief à l’agent et celle lui faisant grief, tient donc à l’atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ou à la perte de responsabilités ou de rémunération.

Faute d’une telle atteinte ou d’une telle perte, le juge n’examinera pas la mesure contestée.

Ici encore, il existe pourtant des exceptions…

Ainsi, une mesure qui serait objectivement qualifiable de mesure d’ordre intérieur pourra néanmoins être soumise au juge administratif si elle devait traduire « une discrimination ou une sanction ».

Le juge administratif avait déjà introduit depuis plusieurs années l’exception tenant à l’absence de discrimination (CE, 25 septembre 2015, n° 372624) et vérifiait si la mesure ne constituait pas une sanction déguisée, donc illégale.

L’apport de la décision du 8 mars 2023 commentée est d’ajouter que l’exception concerne également les situations de harcèlement moral.

Le Conseil d’Etat a en effet sanctionné la décision par laquelle « la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir souverainement relevé que le changement d'affectation litigieux n'avait entraîné aucune modification de la situation professionnelle de la requérante tant en ce qui concerne la nature de ses fonctions que ses conditions de travail, n'avait pas porté atteinte à sa situation personnelle et n'avait pas présenté, dans les conditions où il était intervenu, le caractère d'une mesure discriminatoire, a jugé que cette décision d'affectation constituait une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours pour excès de pouvoir ».

En effet, précise le Conseil d’Etat, il ressortait « cependant des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... faisait valoir que cette affectation d'office, alors qu'elle n'était pas candidate à ce poste, avait été retenue, parmi des agissements répétés et excédant les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique qui ont eu pour effet d'altérer sa santé, comme faisant partie des éléments caractérisant un harcèlement moral à son encontre par un jugement du tribunal administratif de Bastia devenu définitif du 25 juin 2020. En ne recherchant pas, au vu de cette argumentation, si la décision contestée portait atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l'intéressée tenait de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit ».

 

En conclusion, la décision du Conseil d’Etat du 8 mars 2023 rappelle et précise que :

- Les décisions modifiant l’affectation ou les tâches que les agents ont à accomplir et qui ne portent pas atteinte à leurs droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ou qui n'emportent pas de perte de responsabilités ou de rémunération, constituent des mesures d’ordre intérieur,

- Ces mesures d’ordre intérieur ne peuvent être contestées devant le juge administratif, sauf si elles traduisent :

o Une discrimination, notamment une situation de harcèlement moral,

o Une sanction déguisée.