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Deux récentes décisions de la juridiction administrative (CE, 1er octobre 2015, req. n° 374338 et CAA Nantes, 17 avril 2015, Société protectrice des animaux, req. n° 14NT00537) offrent l’occasion de revenir sur un mécanisme globalement peu usité en défense par les bénéficiaires d’une autorisation de construire ou de démolir : l’annulation partielle de la décision.

On sait qu’une fois accordées, les autorisations d’urbanisme au sens large (permis de construire, permis d’aménager, permis de démolir) sont susceptibles d’être contestées, le plus souvent par un voisin, parfois un concurrent, soit devant l’autorité administrative qui l’a délivrée (on parle alors de recours gracieux), soit devant la juridiction administrative (on parle alors de recours contentieux).

Il existe alors plusieurs stratégies pour se défendre face un recours prétendant faire annuler l’autorisation en raison de son irrégularité supposée. On peut citer, de façon non exhaustive, sachant que ces stratégies peuvent se combiner, celles-ci :

  • Etablir les irrecevabilités de la requête en annulation (requête introduite hors délai, défaut d’intérêt pour agir, absence de la décision attaquée…),

  • Argumenter en faveur de la régularité de l’autorisation, c’est-à-dire démontrer qu’elle est tout à fait régulière et ne saurait donc être annulée,

  • Obtenir un permis de construire modificatif en cours d’instance de façon à régulariser les irrégularités alléguées (quand bien même elles ne seraient pas établies) et ainsi obtenir le rejet du recours, en mettant en ouvre, le cas échéant, le mécanisme prévu par l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme,

  • Obtenir un nouveau permis de construire dans le même objectif, rendant sans objet le recours,

  • Solliciter la condamnation indemnitaire de l’auteur du recours en soutenant que son recours serait abusif sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme,

  • Démontrer qu’à supposer l’autorisation irrégulière à certains égards, il serait inutile de l’annuler en totalité et qu’une annulation partielle serait possible.

C’est à cette dernière stratégie que je m’intéresserai dans la présente note.

La première des deux décisions précédemment évoquées est une décision du Conseil d’Etat du 1er octobre 2015 (CE, 1er octobre 2015, req. n° 374338), qui présente le mérite de rappeler que la stratégie de l’annulation partielle s’appuie sur deux mécanismes distincts et complémentaires, puisque ne s’appliquant pas à des situations analogues. Ces deux mécanismes seront évoqués tour à tour.

1. Sur le mécanisme dit de « droit commun », issu de la jurisprudence Epoux Fritot (CE, 1er mars 2013, req. n° 350306)

Ce mécanisme, rappelle le Conseil d’Etat dans sa décision du 1er octobre 2015, fonctionne de la façon suivante :

« 2. Considérant que lorsque les éléments d'un projet de construction ou d'aménagement auraient pu faire l'objet d'autorisations distinctes, le juge de l'excès de pouvoir peut prononcer l'annulation partielle de l'arrêté attaqué en raison de la divisibilité des éléments composant le projet litigieux ».

Cette hypothèse de l’annulation partielle par le juge administratif est rendue possible lorsqu’il apparaît que les éléments d’un seul et même projet (ayant donc fait l’objet d’une seule et même autorisation) auraient pu faire l’objet d’autorisations distinctes parce que ces éléments sont divisibles : dans ce cas, s’il apparaît que l’un des éléments divisibles est irrégulier, le juge peut limiter l’annulation de l’autorisation à ce seul élément.

Le surplus s’en trouve ainsi « sauvé » et le bénéficiaire de l’autorisation pourra, s’il le souhaite solliciter une nouvelle autorisation, distincte, concernant l’élément annulé.

La limite de ce mécanisme apparaît donc évidente : il suffit que les éléments d’un projet ne soient pas divisibles pour que l’annulation partielle ne puisse être prononcée. Le juge administratif ne peut faire autrement que d’annuler la totalité de l’autorisation accordée.

Le mécanisme prévu par l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme complète ce dispositif.

2. Sur le mécanisme prévu par l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme

L'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, issu d’une ordonnance du 18 juillet 2013, prévoit que :

« Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation ».

Ici encore, la décision du Conseil d’Etat du 1er octobre 2015 explicite tout l’intérêt de ce deuxième mécanisme, complémentaire du premier, en ces termes :

« 2. Considérant (…) que les dispositions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme lui permettent en outre de procéder à l'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme qui n'aurait pas cette caractéristique [la divisibilité des éléments du projet], dans le cas où l'illégalité affectant une partie identifiable d'un projet de construction ou d'aménagement est susceptible d'être régularisée par un permis modificatif ; qu'il en résulte que, si l'application de ces dispositions n'est pas subordonnée à la condition que la partie du projet affectée par ce vice soit matériellement détachable du reste de ce projet, elle n'est possible que si la régularisation porte sur des éléments du projet pouvant faire l'objet d'un permis modificatif ».

Par voie de conséquence, la mise en œuvre de ce mécanisme d’annulation partielle suppose la réunion de 2 conditions :

  • que le vice n'affecte qu'une partie du projet (sans forcément que cette partie soit divisible de l’ensemble, comme l’exige le mécanisme issu de la jurisprudence Epoux Fritot),

  • que le vice puisse être régularisé par un permis modificatif (et non par un permis intégral, comme l’exige le mécanisme issu de la jurisprudence Epoux Fritot), l’obtention d’un tel permis étant lui-même soumis à 2 conditions.

Le Conseil d’Etat a encore profité de cette décision pour rappeler quelles sont les conditions de délivrance d’un permis de construire modificatif, en ces termes :

« 2. Considérant (…) qu'un tel permis [modificatif] ne peut être délivré que si, d'une part, les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés - sans que la partie intéressée ait à établir devant le juge l'absence d'achèvement de la construction ou que celui-ci soit tenu de procéder à une mesure d'instruction en ce sens - et si, d'autre part, les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d'illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale ; qu'à ce titre, la seule circonstance que ces modifications portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu'elles fassent l'objet d'un permis modificatif ».

Un permis de construire modificatif ne peut donc être délivré qu’à 2 conditions :

- si les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés (cette circonstance s’appréciant objectivement),

- si les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d'illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale (cette condition est ici à étudier au cas par cas).

Si les deux conditions de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme sont réunies (vice n’affectant qu’une partie du projet et possibilité d’un permis de construire modificatif), alors le juge administratif peut limiter l’annulation qu’il prononce à la seule partie viciée du projet. Et il appartient alors au bénéficiaire du permis de construire de solliciter la régularisation de son permis en demandant un permis modificatif, éventuellement dans un délai fixé par le juge.

Dans l’affaire ayant abouti à la décision du 1er octobre 2015, le Conseil d’Etat a censuré le raisonnement de la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui avait refusé d’appliquer le mécanisme d’annulation partielle de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme au motif que les constructions autorisées méconnaissaient les règles d’implantation par rapport aux limites séparatives : la Cour a considéré que le vice n’était pas régularisable puisque les balcons, qui dépassaient en surplomb la distance minimale par rapport aux limites séparatives, étaient indissociables des immeubles.

Or cette notion d’indissociabilité n’est pas exigée par l’article L. 600-5 précité : il suffit que le vice n’affecte qu’une partie du projet. Le Conseil d’Etat a donc censuré ce raisonnement et annulé l’arrêt de la Cour.

Le Conseil d’Etat n’a toutefois pas apporté la solution définitive à ce litige : après avoir annulé la décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux pour cette erreur de droit, il a renvoyé l’affaire devant cette même Cour afin qu’elle examine si les conditions de l’article L. 600-5, correctement appliquées, sont ou non satisfaites pour que l’annulation partielle puisse être prononcée.

Toutefois, dans la seconde décision récente que j’évoquais au début de cet article (CAA Nantes, 17 avril 2015, Société protectrice des animaux, req. n° 14NT00537), la Cour administrative d’appel de Nantes a donné une illustration d’un vice susceptible d’être régularisé par un permis de construire modificatif.

Dans cette affaire, le projet autorisé ne prévoyait que 12 places de stationnement, au lieu des 20 qu’il aurait dû comporter : la Cour, jugeant que ce vice n’affectait qu’une partie du projet (le stationnement) et qu’il était régularisable par un permis de construire modificatif, a fixé à 3 mois à compter de la notification de la décision de justice, le délai dans lequel le bénéficiaire du permis pourrait demander sa régularisation.

On perçoit dons, à la lecture de cette dernière décision, toute l’étendue des régularisations rendues possibles par les dispositions de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme.

En conclusion, la stratégie consistant, pour le bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme contestée devant le juge administratif, à solliciter en défense l’annulation partielle de son autorisation en réponse à une demande d’annulation totale de son adversaire, doit être étudiée avec soin, au même titre que les autres, voire en complément des autres. Cette stratégie, si elle aboutit, est susceptible de procurer un bénéficie non négligeable au bénéficiaire de la décision.